Ch06 Ouverture spirituelle

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Les fondements bibliques, J. Bernard Ch06 Ouverture spirituelle p 203
   Ouverture spirituelle  

Passer de la foi à l'institution n'est jamais chose facile. Les juges charismatiques guidaient leurs fidèles dans la foi en YHWH qui était alors le seul roi. Leur succèdent les rois qui, confrontés aux nations, doivent en adopter les règles de fonctionnement. Josias le savait bien. Il mettait les traditions anciennes d'Alliance entre Dieu et son peuple dans le cadre de traités de vainqueurs à vaincus. De nos jours, l'Église n'a-t-elle pas emprunté au code romain le style de son droit canon ? Aux premières heures de la Bible, la foi a connu ces concessions à la politique. Elle ne s'y est pourtant jamais totalement compromise.
Si la conduite d'un peuple doit tenir compte du contexte religieux des autres peuples, elle doit aussi tenir compte de sa population et, si l'on veut que la foi soit adhésion libre à une Alliance avec Dieu, elle ne peut fonctionner comme une dictature idéologique. Ce devait déjà être vrai au temps de Josias. Il lui fallait donc convaincre et, pour cela, faire un travail de « mémoire ». Il l'a fait dans une historiographie somptueuse de liberté.
Les rois, enfin, sont tenus à la réussite, sous peine de voir leur royaume disparaître. Comme David en « roi berger », Josias en « roi de cour » a dû faire des choix. Pour ne prendre qu'un exemple, l'unité du culte à Jérusalem supposait la suspension d'activité dans les sanctuaires tribaux. Qu'on le veuille ou non, si la foi est avant tout liberté de choix, l'action - et tout particulièrement l'action politique - est manichéenne, comme le disait Malraux. Pour diriger un peuple, il faut souvent trancher. Sans attendre que tout le peuple ait fini de faire ses choix.
Il faudra donc toujours accepter que la foi, battue en brèche par le réalisme politique, trouve refuge chez les Prophètes. Si leur témoignage suscite un contre-pouvoir vigoureux, cette marginalité peut finir par faire école et même trouver une majorité que le législateur finira par respecter. Dans le cas contraire, le prophète voit son message marginalisé et confidentiel. On peut même lui interdire de parler ou d'écrire. Le prophète connaîtra alors le martyre. Il mourra avec son acte de foi refusé. « Lorsque le fils de l'homme viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre »? Jésus le savait.
Mais il est un autre aspect encore du pouvoir royal, c'est sa relation avec le sacerdoce. Les grands stratèges sont assez habiles pour ne pas se priver de ce puissant régulateur de la violence. Il est vrai que si les valeurs transcendantes opposent entre elles les communautés d'appartenance, attisent la violence au lieu de l'apaiser, on assiste alors aux guerres de religion ou aux fanatismes d'inquisition. Mais à les évacuer, le législateur prend un risque encore plus grand. Celui de n'avoir plus aucune régulation des intérêts individuels débridés, tout aussi générateurs de violence. La tentation du pouvoir est alors de rechercher une régulation purement humaine dans une idéologie qui, pour ne pas être imposée de force par une dictature, devrait être partagée par tous. Mais tant que le commanditaire d'une idéologie reste humain, son message ne peut s'imposer à tous, même au prix des goulags, et finit toujours par sombrer dans l'esprit de caste ou des apparatchiks. Seules les religions ont une chance de réguler la violence, à la condition qu'on les écoute et qu'elles s'écoutent. Qu'elles puissent, comme l'ont fait les tribus en assimilation/rejet, mettre en commun leurs marginalités et leurs convictions essentielles en laissant Dieu, toujours plus grand que le cœur de l'homme, être la seule clef de leur unité. C'est alors que progressivement naît un « credo » et la conscience d'un « péché ». Le grand art, liturgique, laisse pressentir ce que pourrait être l'unité au plus haut niveau de la conscience humaine, là où il affleure au monde de Dieu.