Ch06 §3 Pourquoi a-t-on écrit les « mémoires » de la dynastie

Josias devait, pour réussir sa réforme religieuse, l'enraciner plus en amont. Il devait montrer que le modèle proposé par Ézéchias et poursuivi, au-delà de Manassé, par Josias, renouait avec le souvenir, gardé dans les mémoires les plus lointaines, d'un temps idéal où Nord et Sud étaient déjà réunis dans le Royaume de David et de Salomon.
A. Une dynastie culminant en Ézéchias
L'historiographie mise en œuvre par Josias pour consolider la dynastie montrait comment, depuis David, tous les héritiers du trône avaient tant bien que mal gravi les échelons de la lutte anti-Baal jusqu'à son apogée, symbolisée par Ézéchias. « C'est lui, (Ézéchias) qui fit disparaître les hauts lieux » (2 R 18,4). C'est avec lui que la centralisation du culte à Jérusalem avait pu commencer. C'est donc aussi sous son ancêtre emblématique David que l'arche d'Alliance volée par les Philistins était censée avoir pu rejoindre Jérusalem (1 S 4-6).

Relue ensuite par les deutéronomistes (flèches en violet), cette historiographie est glosée par le récit des péchés d'idolâtrie des rois expliquant le désastre de l'Exil.
Josias enracine cette historiographie royale dans les livres de Samuel (1S et 2S) puisés aussi dans les annales ou les mémoires.
Il introduit enfin le tout par le livre des Juges (Jg) précédé d'un prologue à l'ensemble, le livre de Josué, tiré lui aussi des mémoires, et reflétant la théologie du Deutéronome (Dt). David est ainsi situé au fondement des deux royaumes du Nord et du Sud. »
Comme l'a montré L.W. Provan dans son étude du livre des Rois, l'ascension de toute l'histoire de la dynastie vers le roi Ézéchias et sa réforme est sensible dans la suite des panégyriques royaux: Abiyam « ne fut pas intègre à l'égard du Seigneur son Dieu contrairement à ce qu'avait été le cœur de David son père. Néanmoins, à cause de David, YHWH lui donna une lampe à Jérusalem lui suscitant un fils pour maintenir Jérusalem » (1 R 15,3s). Après lui vint Asa. « Il fit ce qui est droit aux yeux de YHWH comme David son père. Il élimina du pays les prostitués sacrés et supprima toutes les idoles (comme le fera Ézéchias)... Et même il priva sa mère Maaka de sa fonction de reine mère parce qu'elle avait fait une idole d'Ashéra... Mais les hauts lieux ne disparurent pas » (1 R 15,11). Josaphat « fait ce qui est droit aux yeux de YHWH, cependant les hauts lieux ne disparurent pas » (1 R 22,43). De même Amasias (2 R 14,3). Ou encore Azaria (2 R 15,3), puis Yotam (2 R 15,34) On arrive enfin au sommet avec Ézéchias: « Il fit ce qui est droit aux yeux de YHWH, exactement comme David son père. C'est lui qui fit disparaître les hauts lieux » (2 R 18,3). Cette fresque historique se présente comme une procession qui se dégage petit à petit de l'idolâtrie et monte cahin-caha jusqu'au sommet de la dynastie, représenté par Ézéchias.
Une relecture complétera, après l'Exil, la fresque historique ainsi entreprise. Elle s'inspirera de l'esprit de la réforme, et fera l'inventaire des péchés des rois pour tenter de comprendre ce qui a pu causer le désastre de l'Exil quelques décennies après Josias. Le péché dénoncé sera alors celui de l'idolâtrie, que les rois n'ont jamais su éradiquer au sein de la piété populaire. Les principaux acolytes de cette descente aux enfers sont stigmatisés en la personne d'Achab (1 R 16,30) et de Manassé (2 R 21,2-9), dont Josias s'est efforcé de neutraliser l'héritage.
B. Une dynastie remontant jusqu'aux Juges
Si tout culminait avec Ézéchias, jusqu'où pouvait-on enraciner la dynastie? Revenons aux premiers rois. Quel qu'ait été le zèle des rois descendants de David à tendre vers le cœur de la réforme inaugurée par Ézéchias, il y avait loin entre leur foi encore entachée de péché et l'idéal - professé par Josias - qui consistait à retrouver la foi des Pères supposés avoir vécu la grande épopée de l'Exode. Il fallait ménager les transitions jusqu'à eux.
Josias l'a fait en plaçant, en prélude à son historiographie, le livre des Juges précédé du livre de Josué, qui offrait une vision idéalisée de l'entrée en Terre promise. Ainsi introduite, l'histoire de la dynastie retrouvait sa racine profonde. Restait à renforcer le maillon faible de ce panorama : l'histoire qui reliait les Juges avec les débuts de la Royauté. Josias y pourvut en insérant à la suite des livres de Josué et des Juges les livres du prophète Samuel culminant dans le sacre de David. L'ensemble pouvait se recommander des toutes premières annales gardées dans les cours des cités-états, correspondant à ce que les populations avaient dans les « mémoires ». Cet appui sur les « mémoires » populaires était essentiel pour qu'une telle rétrospective historiographique de la dynastie soit crédible et opérationnelle.