Ch06 §2 l'«histoire Sainte» de la dynastie

La Bible nous rapporte l'Histoire Sainte des rois dans les livres de Samuel et des Rois.
A. L'« Histoire Sainte » avant Achab
Que s'est-il passé entre l'époque des tribus et les débuts de la royauté? « L'Histoire Sainte » de la Bible en fait le récit en plusieurs étapes : il y a d'abord la relève des Juges charismatiques comme Gédéon ou Samuel par l'instauration de la royauté de Saül (1 S) puis par celle de David. Le David de l'Histoire Sainte règne alors sur un royaume unifié du Nord au Sud (2 S). La succession de son fils Salomon sert de prélude à la division du royaume avec Roboam au Sud et Jéroboam au Nord (1 R).
Toute cette période d'« Histoire Sainte » est bien incertaine au plan de l'archéologie. Nous avons déjà signalé le flou dans la chronologie des premiers rois. Celle de Saül est gommée (1 S 13,1), celles de David (40 ans : 1 R 2,11) et Salomon (40 ans également : 1 R 11,42) sont idéalisées. Elles paraissent tout aussi imprécises qu'apologétiques.
En attendant de nouvelles fouilles dont nous savons qu'elles seront forcément limitées par l'impossibilité de creuser sous le Temple de Jérusalem, nous essayons d'articuler de manière crédible ce que la Bible dit de la dynastie à ses débuts et les traces qu'elle a laissées dans les sources extérieures à la Bible.
B. L'« Histoire Sainte » à l'époque d'Achab et de son fils Joram
L'« Histoire Sainte » des premiers rois se poursuit, après Salomon et la division des Royaumes du Nord et du Sud, par l'histoire d'Achab.
Cette « Histoire Sainte » est, cette fois, confirmée en maints endroits par les données extérieures à la Bible. Rappelons-nous. Le roi Achab est héritier de la capitale Samarie bâtie par son père Omri (1 R 16,23). Il poursuit les guerres d'expansion locale menées par son Père en Transjordanie. Grand constructeur, il renforce les murailles et les portes des principales forteresses de Haçor, Megiddo, Yzréel et autres. Tout cela est maintenant vérifié par l'archéologie. En -855, il lutte victorieusement contre les Araméens de Damas. En -853, profitant d'une accalmie sur le front araméen (1 R 22,1), il engage à Qarqar 2000 chars dans la coalition victorieuse de petits états contre l'Assyrien Salmanasar III (Palais de Salmanasar III). On a là, au Nord, un véritable royaume prospère et organisé (1 R 22,39). Il a attaqué Mesha de Moab qui profite de sa guerre contre Aram pour s'étendre. Avec Josaphat, le roi du Sud, il lance en -851 contre Aram une troisième guerre, qu'ils perdent devant Ramot de Galaad et où Achab trouve la mort (1 R 22,29s).
Datant de la même époque, on voit à Jérusalem un morceau d'architecture de facture phénicienne pouvant évoquer un palais. Daterait-il du temps de l'alliance entre Achab et le Sud, ce qui donnerait à penser que Jérusalem s'est alors développée sur le modèle de sa grande sœur du Nord ?
Une première unité se noue alors entre Joram fils d'Achab et Joram fils de Josaphat, lequel épouse Athalie, fille d'Achab et de Jézabel. Le Joram du Sud développe son pays à l'exemple du Joram du Nord. Ils attaquent de nouveau Mesha roi de Moab (stèle de Mesha) (2 R 3,4). Un pouvoir central se stabilise et s'établit sur les cités-états voisines. Dans la seconde moitié du IXe siècle, la guerre se poursuit au Nord avec les Araméens (2 R 6-8). Israël est défait par l'Araméen Ben Hadad III qui lui prend la Transjordanie. Jéhu s'empare du pouvoir et met fin à la dynastie d'Omri/Achab (2 R 9s). Vassal des Assyriens, Jéhu paye un tribut à Salmanasar III (-841). L'obélisque de Kalah en a immortalisé le souvenir. Il exécute les représailles d'Hazaël de Damas contre les héritiers de Jézabel, au Nord comme au Sud. Avec l'aide du prophète Élisée, il en efface toutes les traces dans les deux royaumes (2 R 11-13).
À cette époque d'Hazaël, la « maison de David » est aussi mentionnée sur la stèle de Tel Dan. L'inscription est en araméen et Hazaël mentionne « la maison de David » parmi ses victimes.
La maison royale de David était donc connue des étrangers à l'époque de Jéhu. Elle était donc présente dans les mémoires des gens du Nord comme des gens du Sud.
Les deux Royaumes du Nord et du Sud garderont cette physionomie et leurs relations réciproques jusqu'à la tentative du Nord pour entraîner son allié dans une nouvelle coalition contre l'Assyrie. Achaz, roi du Sud, fait alors alliance avec l'Assyrie contre le frère et tout bascule : Damas et Israël sont battus et c'est la chute de Samarie, puis l'afflux des réfugiés dans le Sud.
C. L'« Histoire Sainte » après la chute de Samarie (-722)
Les gens du Sud sont contraints d'accueillir les réfugiés du Nord. Ceux-ci allaient plus que décupler la population de Jérusalem. Le petit royaume du Sud dut se donner les structures nécessaires pour endiguer ce flux. Certes, au temps où Achab et son fils Joram avaient fait alliance avec le Sud (IXe siècle), le Nord avait déjà apporté beaucoup à Jérusalem. Mais il fallait saisir l'occasion qui se présentait pour enraciner plus en amont la dynastie, qui devait se montrer à la hauteur du nouveau défi.
D. L'« Histoire Sainte » au temps d'Ézéchias
Si l'on voulait garder une unité, il fallait trouver à l'ensemble Nord-Sud, réuni malgré lui, une autorité qui soit à la hauteur de la situation. À la suite des Juges charismatiques, une certaine centralisation avait peut-être pu se faire autour des sanctuaires de Sichem, Silo, Béthel ou Guilgal. Mais, outre le fait que les traces archéologiques ne le confirment guère, il est vraisemblable que le souvenir de tels lieux fédérateurs aurait été effacé volontairement dans le cadre de la réforme entreprise par Ézéchias, visant à mettre en valeur le seul sanctuaire de Jérusalem. En ce qui concerne Béthel, le sanctuaire était devenu, à l'époque de Josias, un mirador assyrien à la frontière du Royaume du Nord. Le lieu n'était donc plus recommandable et il fallait en estomper le souvenir (2 R 23,15).
La grandeur d'Ézéchias, qui avait vu l'écrasement de l'Égypte et le retrait des Assyriens devant Jérusalem, était incontestable. Malgré ses échecs militaires et les concessions qui en avaient résulté (2 R 18,14-16), son prestige religieux était immense: alors que Samarie avait été détruite, Jérusalem était sauve et Sennachérib avait battu en retraite.
Il avait tenté une réforme en mettant hors de service les sanctuaires tribaux (2 R 18,4). Son successeur, Manassé, ne l'avait guère suivi (2 R 21), préférant développer le pays avec le concours de l'Assyrie. Mais Josias, après -640, allait renouer avec l'œuvre d'Ézéchias et la porter à son sommet. Il ferait l'unité autour du seul Temple de Jérusalem.
E. L'« Histoire Sainte » au temps de Josias
Josias reprend la réforme d'Ézéchias. Il suspend tous les cultes autour de Jérusalem. Toutefois, la cité de Sichem, nous l'avons vu au chapitre précédent dans l'étude des codes, bénéficia d'un privilège particulier. Elle devint le lieu emblématique d'un premier rassemblement Nord-Sud, précurseur de celui qui s'instituait à Jérusalem. Elle finira même par recouvrir de son ombre tutélaire l'ensemble de l'histoire deutéronomiste. Certes, la répartition à travers cette histoire de tout ce qui tournait autour de l'ancien code de Sichem, signé « Ebal et Garizim », a pu se faire tardivement après l'Exil. Mais ce premier symbole d'unité recouvrira même la mémoire des patriarches qui seront censés y être passés comme pour y poser une première pierre (Gn 12,6; 33,18; 37,14).
Dans la même mouvance centralisatrice, l'unité des douze tribus devait se célébrer autour de la même Pâque. Aussi, dans le livre programmatique qu'il écrit sur Josué, Josias présente-t-il les tribus déjà au nombre de douze alors qu'on vient juste de passer le Jourdain. Les tribus sont censées avoir célébré ensemble un sacrifice sur douze pierres « encore visibles aujourd'hui » (Jos 4,9) juste avant de célébrer la Pâque à Gilgal (Jos 5,10-12). La seule Pâque des tribus devrait maintenant se célébrer dans la Jérusalem de Josias (2 R 23,21-25). Le sanctuaire de Silo serait très vite supplanté (1 R 2,26) et celui de Gilgal ne serait plus qu'un premier jalon de cette longue histoire.
Pour réussir une telle réforme - on sait combien les habitudes cultuelles sont tenaces - Josias devait accréditer, auprès des populations, le modèle qu'il voulait imposer, en montrant qu'il ne faisait que renouer avec un passé prestigieux.
Un regard en arrière vers les traditions du passé s'imposait. D'abord vers celles qui étaient les plus proches. Ainsi, lors des travaux pour restaurer le Temple, retrouve-t-on miraculeusement le livre de l'ancêtre Ézéchias qui y avait été caché (2 R 22). La réforme de Josias venait donc bien de Dieu !