Ch06 §1 Traces de l'institution royale dans les "Mémoires"

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Les fondements bibliques, J. Bernard Ch06 §1  p 176
    Traces de l'institution royale dans les "Mémoires"   

Les lettres d'El-Amarna (-1350) montrent que les rois cananéens étaient installés dans de petites cités-État comme Gézer, Gat, Lakish, Sichem, Jérusalem. Ils rivalisaient les uns avec les autres sous la surveillance de l'Égypte et demandaient volontiers secours dans des missives au Pharaon. Une de ces lettres rapportait l'appel d'Abdi-Hépa, gouverneur de Urushalimu (Jérusalem, « ville du dieu Shalim ») et vassal de l'Égypte, se plaignant du fait que les garnisons égyptiennes avaient quitté la ville alors que les Hapirous (Hébreux ?) s'apprêtaient à l'attaquer.
Cette lettre est écrite par un scribe en akkadien, langue internationale. Ceci montre bien que le roi n'a alors accès à l'Écriture que par le biais de scribes étrangers. On vient de découvrir un abécédaire au sud de Jérusalem remontant au milieu du Xe siècle. On peut donc supposer que certains hommes du Sud savaient lire et écrire, même si ces écrits sont encore loin de pouvoir donner naissance à une littérature et donc à une Bible.
L'archéologie des débuts de l'âge du fer en Israël suggère, nous l'avons vu, des tribus immigrantes rejoignant des tribus autochtones en rupture avec la société cananéenne en perte de vitesse. Quel était donc leur système de gouvernement ?
À l'époque tribale, la direction était confiée naturellement au patriarche. C'est lui qui maintenait vivante la tradition de foi, héritée du désert, après l'installation en Canaan.
Dans le processus d'assimilation/rejet qui a suivi, les tribus se rassemblaient sous la bannière d'un « juge charismatique » porteur de l'identité à laquelle chacun tenait. Elles adoptaient son autorité pour la défense de leur identité face aux Cananéens. La victoire était l'occasion d'un approfondissement de la foi comme de la solidarité. Le combat terminé et le danger passé, chacun repartait chez soi (Jg 2,6; 5,14- 18) et retrouvait l'autorité du patriarche. On échangeait les mémoires jusqu'à mettre en commun les souvenirs d'« exodes » vécus par les Pères. Il se bâtissait un credo commun autour des points forts de l'identité que l'on avait sauvegardée. Dans leur commune marginalité, les tribus se sont donné, avec les codes, des repères conventionnels exprimant leur identité foncière. Ainsi, petit à petit, les liens entre elles se resserraient et l'on harmonisait les nouvelles parentés en un arbre généalogique commun. Mais cela ne suffit pas encore à faire un royaume unifié. L'un des premiers problèmes posé à une société en mutation est celui de son gouvernement. C'était le cas dans le Sud. Mais comment retracer les débuts de cette histoire à partir des écrits et traces archéologiques dont nous disposons ? Quelle place y tenait la vocation par Dieu des chefs mis en place ?
Il y a fort à parier que, comme pour les exodes et les codes, les « mémoires » des premiers balbutiements de royauté dans les cités-états n'ont pu être mises par écrit que bien tardivement. Comme nous l'avons déjà dit, on ne sait pas grand-chose avant le règne d'Achab, le premier à avoir connu une civilisation et une culture assez riches pour que puisse éclore une littérature. L'enquête sur les débuts de la royauté a cependant, sur les autres enquêtes menées dans les deux chapitres précédents, un avantage non négligeable. Il faut, en effet, qu'il existe un royaume et une culture alphabétisée pour que des œuvres littéraires puissent naître. Si nous avons pu situer sous Jéroboam II, un peu après Achab, les premiers écrits ayant pour objet la lutte anti-Baal, c'est qu'il y avait une royauté bien installée dans le Nord à cette époque. Par contre, le Sud devra attendre les apports de l'Alliance avec le Nord puis, plus tard, l'afflux de ses réfugiés pour qu'on assiste à la mise en commun des souvenirs d'Exodes, et des codes résultant de l'assimilation/rejet.

Une fois la Royauté installée, la littérature se met en branle. Le roi doit appuyer sur les « mémoires » les actions qu'il met en œuvre pour diriger son peuple. C'est pourquoi, dès qu'une royauté en a les moyens, elle fouille les annales des ancêtres, celles des conflits avec les autres cités-état, les « mémoires » de sanctuaires, les codes d'alliance, les listes généalogiques ou les « livres des jours » pour appuyer sa politique sur la foi de son peuple. C'est ce qui s'est passé pour la Bible. Il est fait souvent allusion à de pareils recueils d'archives dans les livres de Josué (Jos 10,13), Samuel (1 S 10,25) et des Rois (1 R 12,41 ; 1 R 14,19.29).