Ch05 Ouverture spirituelle

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Jacques Bernard, Les Fondements bibliques p 169-170 : Ch 5, Ouverture spirituelle
    Ouverture spirituelle  

On oppose souvent le judaïsme et le christianisme en disant que le judaïsme est la religion de la loi tandis que la religion chrétienne serait celle de l'amour. Il faut toujours éviter les simplismes raco­leurs, surtout quand ils sont inexacts. Toute la Bible exprime une religion d'amour, et tout amour a ses engagements de réciprocité, « pour le meilleur et pour le pire ». L'amour, lui aussi, a ses lois. L'histoire de la constitution des codes est en fait une histoire d'amour. Si nous le comprenons ainsi, nous percevons qu'elle est aussi notre propre histoire. Imaginons-nous quelques instants derrière les semi-nomades ou les autochtones qui tentaient de se réunir au pays de Canaan.

Les semi-nomades immigrés savent depuis toujours que ce qui fait leur identité la plus profonde est cette réciprocité d'amour qui répond au Dieu du père, de qui l'on tient toute son existence. Ceux pour qui cette réciprocité était essentielle se sont interdit toute forme de religion qui risquerait de la compromettre. Ils nous ont laissé leur héritage. Un héritage qui a passé les siècles, rencontré toutes les religions qui aujourd'hui sont mortes, au nom d'un amour qui ne pouvait pas mourir.

Ceux qui se sont assimilés sans retenue, en adoptant les cultes du Baal, ont disparu en même temps que les cités cananéennes. Comme disparaissent, aujourd'hui, les attardés du marxisme athée dans l'Église d'après le concile.

Les autochtones en révolte comprennent, eux, que dans la mesu­re où rois ou prêtres s'attribuent les pouvoirs de l'au-delà, ils ne peuvent tolérer que des flatteurs à leur dévotion ou des esclaves. Ceux pour qui cette révolte était essentielle ont rejeté toute forme de religion qui risquerait de retomber dans ce travers. Ils ont rejoint les semi-nomades de YHWH et nous ont laissé en héritage leurs révoltes. Aujourd'hui, de semblables révoltes font encore naître la foi. Mais souvent, sortis des barricades, les révol­tés ne savent vers quoi diriger leur élan. Il leur manque un Gédéon ou un prophète. Ils errent sans guide, ceux qui, après les pavés de 68, s'adonnent à la drogue ou frappent à la porte des sectes à la recherche d'un gourou.

Les semi-nomades de YHWH, tout en acceptant le nouveau monde du système agraire où ils entraient - vital pour vivre et nourrir ses enfants - ont refusé ce qui tuait leur dignité. Ils ont aussitôt été rejetés par les derniers rois cananéens, fossoyeurs d'un passé qui refusait de mourir. Ils ont cherché des frères et ont fait de leur marginalité, différente mais complémentaire, leur alliée. Ils n'avaient rien à perdre, ils ont gagné. Ils y ont vu la main du Dieu d'Amour et apprirent à se le partager. Ils ont bâti en « credo » ce qu'ils avaient reçu en héritage depuis leurs Pères et qui devenait leur commune raison de vivre et de mourir. Ils ont stigmatisé comme péché tout ce qui les faisait régresser. C'est ainsi que les codes sont nés, aussi vitaux que l'Amour qui les avait engendrés. Ils ont fini par faire un peuple.

Et pourtant, la lutte contre Baal n'était pas terminée. Quand on fait de tels choix, on se demande souvent si ce ne fut pas une régression. On regrette « les oignons d'Égypte ». Tout au long de son histoire jusqu'aux dernières rédactions de la Bible, le peuple élu a lutté contre les offrandes de nouveaux-nés offerts au dieu Baal (Dt 12,31; 18,10; Jr 7,31; 19,6; 32,35; Ez 16,21.21; 20,26; 23,39; Lv 18,21 ; 20,2-5; 2 R 17,17; 2 R 16,3; 21,6.10). Les prophètes s'y sont cassé les dents. On a retrouvé à Carthage des charniers d'enfants offerts au Moloch datant du IIIe siècle de notre ère. Ces cultes venaient des Phéniciens, héritiers des Cananéens, chez qui ils étaient encore vivants. Ces pratiques, sous des formes renouvelées, ont-elles vraiment disparu?

Les codes sont restés, comme les garde-fous de la foi. Comme les nécessaires engagements de réciprocité dans un amour où tout est partagé, « à la vie à la mort ».

Ce manuscrit éthiophien dit à sa manière
le don de la Torah à Moïse