Ch04 §2 Des "Mémoires d'exode à l'EXODE

version PDF
Ch04 §2 Des "Mémoires d'exode à l'EXODE p 124

Un ensemble d'événements de « passage », portés dans les « mémoires », a fini par être considéré comme le point de départ unique de toute la vie du peuple. Dans la Bible grecque reprise par les chrétiens, on donnera à ce « passage », considéré comme le point de départ de toute la vie religieuse du peuple saint, le nom d'« Exodos », sortie. L'Exode relate alors principalement la sortie d'Égypte et la marche au désert jusqu'à l'arrivée en Canaan. Les Hébreux parlaient plutôt de « pesah » (saut), insistant sur le fait que l'ange exterminateur avait sauté au-dessus des maisons marquées par le sang de l'agneau. Ils avaient ainsi été sauvés. L'événement, qu'il soit Exode ou saut de l'ange, est considéré comme la principale manifestation miraculeuse de Dieu en faveur de son peuple, et comme le fondement de la foi.

  1. L'archéologie et les « mémoires »

Commençons par inventorier, à la lumière de ce que nous révèle aujourd'hui l'archéologie, ce que devaient conserver les « mémoires » des tribus à l'origine de ces récits. L'Égypte occupait le littoral de Canaan jusqu'à Megiddo. D'anciennes villes existaient: Jérusalem, mentionnée au XIVe siècle; au Sud-Ouest, la forteresse de Laqish, au XIIIe; Gabaon, au Nord-Ouest, au Xe. Mais qu'en est-il de l'Exode? Que les Cananéens aient dû émigrer fréquemment en Égypte n'étonnera personne. La tombée aléatoire des pluies exposait le pays à des famines endémiques. Il n'y avait plus, alors, qu'à prendre son bâton de mendiant, pour aller quêter le blé au pays où, immanquablement, le Nil nourrissait ses enfants. Ainsi, à toutes les époques de l'Antiquité, trouve-t- on des récits de Cananéens ou de semi-nomades frontaliers, faisant pèlerinage en Égypte pour trouver leur pâture. La contrepartie était évidemment la réquisition au service des chantiers du pharaon. Tel était l'héritage, immémorial, de tout Cananéen, qu'il soit autochtone ou semi-nomade. Quelle trace ces migrations ont-elles laissé dans les chantiers de fouilles de l'archéologie?

Les écrivains bibliques ont raconté les « mémoires » ou relu les textes en utilisant la géographie de leur temps. Il en résulte dans la Bible certains anachronismes.

Les archéologues cherchaient autrefois à retrouver sur les sites bibliques les vestiges qui cadraient le mieux avec ce que disait le texte. La Bible guidait l'archéologie. Aujourd'hui, les méthodes ont changé; les datations sont affinées; des invraisemblances sont apparues et c'est l'archéologie qui guide la lecture de la Bible. L'enquête est loin d'être achevée et de nouvelles découvertes peuvent réserver des surprises. Néanmoins, tandis que les chercheurs continuent leur travail, nous pouvons tenter de replacer les expressions bibliques de la foi dans les configurations historiques mises à jour, en choisissant celles qui leur conviennent le mieux. Une histoire de la foi peut ainsi apparaître.

  1. Y a-t-il un ou plusieurs exodes de nouveaux immigrants?

Les découvertes archéologiques entreprises il y a cinquante ans, non plus sur les sites privilégiés par une mention dans la Bible, mais sur l'ensemble du territoire, donnent maintenant des résultats évocateurs. Il est clair qu'à l'époque présumée de l'installation des tribus (au xe siècle, naissance de l'écriture et transition entre la période du bronze et la période du fer), la civilisation de Canaan était à son déclin et nombre de ses villes à l'abandon. Deux types de populations étaient aptes à prendre le relais et à s'installer:

  • Les semi-nomades, toujours en recherche d'un territoire qui leur assurerait la stabilité au lieu des permanentes transhumances du troupeau.
  • Les autochtones en révolte contre le pouvoir cananéen décadent.

De fait, les archéologues constatent que 254 sites des hautes terres centrales du Nord ont, en plus des poteries habituelles, des résidus de fer sans qu'aucune trace de bronze les précède. Il s'agit donc de nouveaux occupants qui ne se sont installés qu'à l'âge du fer. Or leurs habitats ressemblent encore à des parcs à moutons. Ce sont donc vraisemblablement des semi-nomades qui, profitant du déclin des cités cananéennes, se sont installés à mi-pente dans les territoires inoccupés. Ils n'ont pas tardé à se répandre, au Nord, dans les terres riches de la plaine de Yizréel, en bordure du « Croissant fertile ». Ils se sont alors convertis à l'agriculture.

Le dépaysement était assuré. Ces tribus, habituées à un Dieu pèlerin - Dieu du père qui suit le troupeau dans le désert et subvient à tous les besoins de la tribu - ont dû, pour cultiver, invoquer les dieux de l'agriculture, implantés sur les hauts lieux, et adorer les dieux Baal. Le livret anti-Baal d'Élie et de Gédéon, évoqué au chapitre précédent, montre qu'ils ont aussi réagi contre ces dieux d'adoption au profit de leur Dieu d'origine.

Des autochtones allaient les rejoindre. Ils étaient depuis longtemps critiques vis-à-vis de l'oppression religieuse et des taxes imposées aux paysans par les princes de la féodalité sacrale qui sévissait en Canaan. Les textes égyptiens, comme les plaintes qu'adressait Abdi-Hépa au pharaon (cf. supra), en font état. Le déclin de Canaan a dû s'accompagner de mouvements de révolte contre le système religieux obsolète.

Ces populations marginales, semi-nomades et autochtones, ont fini par faire front commun. Parmi les semi- nomades, il est vraisemblable qu'il y ait eu, au Nord comme au Sud, des familles revenant d'un des nombreux séjours en Égypte. Il n'est pas impossible non plus que ces derniers aient eu une part prépondérante dans la religion qui finira par s'imposer à l'ensemble. Mais aucune trace d'un Exode massif ou d'un Sinaï conforme au récit biblique n'est aujourd'hui perceptible sur les chantiers de fouilles.

Quoi qu'il en soit, très rapidement dans le Nord, cet ensemble de marginaux disparates va se développer et connaître une croissance économique et culturelle importante dont nous avons vu des témoignages au temps d'Achab (ixe siècle).

Par contre, les implantations des débuts de l'âge du fer (xe siècle) sont plus réduites dans le Sud. La montagne aride en bordure du désert n'a pas permis un niveau de développement comparable à celui du Nord avant l'alliance dont elle bénéficiera au temps d'Achab et de ses successeurs (1 R 22,45). Alors seulement, le Nord et le Sud pourront s'allier contre les incursions de Moab, pays voisin d'au-delà de la Mer Morte, comme en témoignent la Bible (2 R 3,4-8) et la stèle de Mesha (-850).

  1. Les « mémoires » d'Exode au temps des invasions assyriennes

Plus tard (-722), Samarie tombera entre les mains des Assyriens et ses réfugiés afflueront vers Jérusalem.

On se reportera à la carte illustrant la chute de Samarie au chapitre précédent. Nous en rappelons les principales étapes :

Première écriture d'une Bible

La Samarie veut entraîner le Sud dans son alliance avec la Syrie.

Achaz, roi du Sud, fait appel à l'Assyrie.

Sargon II écrase Damas en Syrie. La Samarie risque une alliance avec l'Égypte. L'Assyrie défait Samarie, puis l'Égypte. La Samarie voit ses chefs déportés en Assyrie. Ses réfugiés affluent dans le Sud. Le Sud paye un lourd tribut à l'Assyrie.

Vingt ans plus tard, sous Ézéchias (vme siècle), l'histoire allait se répéter mais cette fois dans le Sud. Ézéchias tente lui aussi de s'allier avec l'Égypte pour n'avoir plus à verser le tribut aux Assyriens. Les Assyriens, après avoir renversé les armées égyptiennes, écrasent les forteresses (comme Laqish) dans la campagne environnant Jérusalem et font le siège de la capitale. Ce siège se terminera par le départ inopiné des armées de Sennachérib. C'était le miracle! Le Sud était sauvé dans une aventure identique à celle où le Nord avait succombé ! La carte suivante précise ce déroulement en 4 étapes.

Telles sont les grandes étapes que l'archéologie et la Bible permettent de baliser.

Le contraste entre la chute de Samarie et le salut de Jérusalem est saisissant. Les deux cités, après une tentative d'alliance avec l'Égypte, ont un sort opposé. Après la défaite des Égyptiens, Samarie était écrasée alors que Jérusalem (malgré le saccage de ses places fortes) était miraculeusement sauvée. Ce « miracle » allait être monté en épingle pour encadrer les réfugiés du Nord qui affluaient vers le Sud: il montrait combien Dieu tenait à la capitale du Sud, qui devenait le seul pôle d'unité entre les deux populations réunies dans l'épreuve. Le choix divin pour Jérusalem était seul à même de consolider le socle de la dynastie davidique. Il ferait même oublier les trahisons antérieures, et tout particulièrement celle d'Achaz qui avait amené la chute de Samarie.

 

*/