Ch04 §1 Les exodes enfouis dans les "Mémoires"

Un ensemble d'événements vécus comme autant d'interventions divines a d'abord été gardé dans les mémoires, puis mis par écrit dès que le niveau de civilisation l'a permis. Enfin, le tout a été relu au fil des découvertes qui amenaient à approfondir le mystère des origines.
Pour prendre une parabole, imaginons la Bible comme une boule de neige qui, ayant dévalé la pente, arrive en bas grossie de tout ce qu'elle a accumulé dans la descente. Après une nuit de gel, tout devient translucide mais des couches se laissent encore deviner dans la glace. Le noyau originel se perd dans le flou. Ceci d'autant plus que, presque en surface, rayonne le point d'incandescence d'une émeraude ramassée dans la course. On a envie de dérouler les strates figées pour retrouver le chemin qui va du noyau à la pierre précieuse. Mais l'ensemble ne fait plus qu'un dans la lumière de l'émeraude, qui éclipse le noyau et se confond avec lui.
Le lecteur de la Bible se trouve devant la Bible comme devant la boule de neige.
S'il est juif, la perle est pour lui l'événement du Sinaï sur le chemin de l'Exode. Tout, et même l'événement originel finit par se lire à sa lumière.
S'il est chrétien, l'émeraude est Jésus-Christ sur le chemin qui va de Bethléem au Calvaire. Tout, la création comme le Sinaï, s'éclaire en cette lumière nouvelle.
L'islam verra l'émeraude dans le « sceau de la prophétie » qu'est le Coran.
Telle est la parabole! Une question se pose: faut-il vraiment retrouver le noyau originel et pour cela dérouler, autant que faire se peut, toutes les strates accumulées? Elles se fondent dans la lumière du Sinaï pour le juif, dans celle du Coran pour le musulman et dans le Jésus des Évangiles pour le chrétien... Pourra-t-on jamais suivre la boule de neige dans sa course? Et le faut-il vraiment?
Juifs et musulmans, logiques avec la prépondérance de l'Écrit sacré, n'en ont cure. Pour le juif, la Parole donnée au Sinaï porte le mystère de Dieu à chaque appropriation qu'en fait le peuple élu, à la lumière de sa tradition, jusqu'à la fin des temps. Le Coran est la Parole divine à laquelle l'homme doit s'efforcer de devenir transparent, jusqu'à la fin des temps également. Pourquoi, finalement, les chrétiens sont- ils si attachés à retrouver l'histoire, sinon parce que Dieu lui- même a fait irruption dans l'histoire? Rien, ni dans le judaïsme ni dans l'islam, ne vient arrêter le cours du temps comme le fait Jésus lorsque, par sa naissance, il s'y inscrit.
Le judaïsme magnifie le peuple qui s'approprie le mystère de la Parole divine. L'islam magnifie Dieu qui va jusqu'à déconcerter l'homme par son arbitraire. Dans l'un comme dans l'autre Dieu reste en dehors du temps, même s'il se manifeste dans le temps. Seul le Christ arrête le temps, parce qu'avec Lui, Dieu et l'homme se rencontrent en un point d'incandescence qui ne laisse ni l'un ni l'autre poursuivre seul son chemin d'éternité. Jésus arrête le temps parce qu'en Lui Dieu et l'homme se fondent dans la rencontre. Ce miracle de l'Amour ouvre des cieux nouveaux, une terre nouvelle. C'est pourquoi les chrétiens sont si attachés à l'histoire.
Revenons à la parabole. Le chrétien montrera sa dévotion à l'Incarnation de Dieu dans l'histoire en cherchant à retrouver, derrière les strates accumulées, la trace de l'Exode
ou du Sinaï, comme autant de cailloux blancs portant déjà le miracle qui le mène à Jésus. Entreprise impossible il est vrai. Le chrétien ne fait cette enquête que par dévotion.
La catéchèse ne recherchera donc pas de démonstrations exhaustives, mais seulement quelques éléments de crédibilité qui conforteront la foi dans le respect que Dieu a eu de son partenaire humain. Comme le disait saint Augustin, il recherchera les mirabilia inter mirabiliora (les choses merveilleuses au milieu des plus merveilleuses encore). Si le catéchisé peut y lire les premiers pas de celui qui finira par le rencontrer sur sa route, il aura fait révérence à l'Incarnation. Peu importe s'il ne retrouve pas toute l'histoire ! Il lui suffira d'en retrouver assez pour rendre grâce à Celui qui, déjà, l'y visitait. La quête historique du chrétien est donc marquée d'emblée par la spécificité de sa foi.