Comment entrer en christologie de façon correcte ? [Jean-Marie Beaurent, RTP/282-298] Foi et histoire dans la Bible

La foi biblique n'est pas un simple sentiment religieux; elle utilise la religiosité populaire (les grands symboles d'harmonie cosmique, de stabilité de l'univers créé, de relation avec le divin... cf. début du premier Seuil), pour dire autre chose que la simple confiance dans le réel; elle l'utilise en vue de raconter, dans un récit, une rencontre avec un Dieu que nous ne pouvons cerner par nos seuls concepts, ni saisir par nos sentiments; un Dieu qui intervient et rompt ainsi les cohérences religieuses.
La Bible utilise un langage religieux pour parler d'un Dieu qui vient casser ce langage même: voilà le paradoxe fondamental du premier Seuil qui constitue précisément l'acte de naissance d'Israël.
Le fait qu'lsraël soit formé de tribus qui s'ouvrent au langage religieux les unes des autres, est le symptôme de cette brisure fondatrice.
La foi biblique est une expérience religieuse originale; c'est une expérience de rencontre où la dé-stabilité est vécue comme une promesse et non comme un chaos. (Dans la mentalité primitive, la cassure, c'est le retour au chaos primitif.) Les événements qui arrivent à Israël, libération ou exil, sont vécus comme un avenir donné par Dieu, comme une espérance à lui vouer...
Quand nous rapportons ces événements de rencontre qui suscitent la foi biblique, nous ne faisons pas seulement œuvre d'historien scientifique qui, à partir de documents, essaierait de reconstituer le contexte et de vérifier, à l'aide d'autres documents, si sa reconstitution est solidement établie; nous racontons comment Dieu intervient dans l'histoire de son peuple, comment il la change, la rend possible ou tragique. C'est l'intervention même de Dieu qui est intéressante; habitée par le Saint, cette histoire est sainte.
Le récit que compose le narrateur ne lui reste pas extérieur; ce récit l'engage à répondre; il y reconnaît un appel qui le suscite, l'interroge, lui adresse des reproches. C'est tout le sens du mémorial.
Lorsqu'lsraël évoque la rencontre du Sinaï, il ne raconte pas seulement un événement historique fondateur d'un peuple, en un sens platement historique, susceptible d'être interprété à l'aide de méthodes historico-critique, structurale ou psychanalytique... Non ! Il raconte des événements qui ne sont pas seulement des faits passés d'hier, mais aussi des appels pour aujourd'hui. Raconter, c'est faire exister Israël aujourd'hui, le provoquer à dire et donner sa confiance, ou à la refuser. Ainsi, le Sinaï raconté n'est pas seulement un document historique, c'est un récit qui suscite la foi. Nous sommes enfantés par ces récits.
Par rapport à eux, nous ne pouvons adopter une attitude purement scientifique, les considérer comme du matériau d'expérimentation pour enquête scientifique. Certes, on peut le faire et trouver ce que l'on cherche, une réponse précise à la question précise que l'on a posée - car le récit du Sinaï est aussi un récit humain...
Mais la foi biblique interroge cette attitude, cette prise de position systématique par rapport au réel de Dieu, cette façon de considérer l'Autre comme un matériau de notre enquête. Elle appelle à changer cette attitude-là, à considérer celui qui nous parle par les événements et nous fait signe, comme Quelqu'un que nous ne pouvons maîtriser dans nos catégories; nous avons à le recevoir comme « neuf », comme sans cesse au-delà de l'apparence selon laquelle il vient vers nous.
Les récits bibliques retentissent comme des appels dépas-sant ce que nous pouvons en comprendre; ils nous enfantent à une signification toujours nouvelle.
N'est-ce pas là ce qu'lsraël et, après lui, l'Église ne cessent d'expérimenter? Que ces récits portent, comme dans une matrice sans cesse renouvelée, toutes les générations; et que toutes les générations reçoivent ces récits comme source de signification inépuisable?
Cette articulation entre la foi et l'histoire dans la Bible est à appliquer à l'Évangile de Jésus Christ.