Ch08 §2 La montée des mémoires en écriture

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Les fondements bibliques, J. Bernard Ch 08 §2 p 238

 

    La montée des mémoires en écriture   

Lors des premières mises par écrit des « mémoires » au temps de Jéroboam II, Amos et Osée étaient encore tournés vers la période d'Achab, les cultes au Baal, Sodome et Gomorrhe (Am 4,11) qui rappelaient les tensions persistantes avec Moab (Am 2,2) en même temps que l'alliance Nord-Sud, les richesses de l'intermède de redressement (Am 3,15) et d'expansion (Lo-Debar et Qarnayim en Am 6,13) après les guerres avec Damas (Am 1,3s). Ils rappelaient même la liquidation des restes de culte au Baal dans les deux maisons royales du Nord et du Sud au temps de Jéhu (Os 1,4). Même si ce fond d'écriture des « mémoires » a été relu ultérieurement chez l'un comme chez l'autre à travers Ézéchias, Joslas et l'Exil, l'ancrage du message est clairement antérieur à la reprise des hostilités par le conquérant assyrien en -738. C'est là la meilleure configuration historique de ces premiers écrits prophétiques.

Avec Isaïe 1-39, appelé souvent le premier Isaïe pour le distinguer de Is 40 à 55 écrit au temps de l'Exil et Is 56 à 66 encore plus tardif, on change de décor. On l'a vu, plus haut, au nombre de citations du prophète qui sont venues corroborer l'enquête archéologique tirée des annales étrangères. Plus aucune allusion à la période précédente. Le livre couvre les années depuis -738 (vocation du prophète) jusqu'à -701 (départ de Sennachérib). Évidemment, il sera, comme les autres livres, relu à des époques ultérieures. Le dernier éditeur du corpus isaïen (Is 56-66) a inséré des éléments de sa composition dans les premiers chapitres de l'ensemble, en une sorte d'inclusion donnant au tout une perspective eschatologique globale.

Isaïe a sa vocation l'année de la mort d'Ozias (Is 1,1). Celui-ci est l'un des derniers rois dans l'ascension de la dynastie vers Ézéchias. Son fils Yotam, qui lui succède en -740, est lui aussi agréable à YHWH, même si les hauts lieux ne disparaîtront qu'avec Ézéchias (2 R 15,32-35). Dans le récit de sa vocation, Isaïe voit YHWH installé, à la manière assyrienne, comme un roi dans le temple (Is 6,1). Il est, lui aussi, entouré d'anges qui le disent trois fois « qadosh/séparé » et son manteau remplit tout le Temple, ne laissant aucune place au dieu rival. Encore une fois, pour combattre le dieu ennemi, on emprunte son rituel et on installe YHWH à sa place. Le Dieu du père, qui suivait son peuple au désert après avoir connu les attributs de Baal, est maintenant assis dans son propre temple sur le trône des dieux assyriens. Isaïe, à la manière d'Élie, mais avec un tout autre dieu comme adversaire, préparait son peuple à vivre ce qu'Achaz était en train d'imposer comme épreuve à la foi. Il pallie au danger d'idolâtrie par un nouveau modernisme. YHWH est, comme le dieu assyrien, un roi qui trône dans le Temple. Ces attributs royaux donnés au Dieu des ancêtres semi-nomades en changeaient toutes les dimensions. Il avait maintenant « un plan sur le monde » (Is 6,11-13). Lui aussi n'avait qu'un mot à dire pour que les peuples lui obéissent. Il dirigeait mystérieusement les guerres dont on croyait subir les méfaits. Isaïe accueille cette mission. Il devra veiller à ce que les fidèles acceptent ce nouveau défi de la foi, qu'ils abandonnent les critères d'autrefois, acceptent de « voir sans comprendre », sous peine de « retourner en arrière » en pensant y trouver la guérison (Is 6,9s). Isaïe voit ainsi se dérouler l'histoire devant lui.

Après Damas, Samarie est vaincue à son tour (-721) malgré un appel à l'Égypte rapidement défaite. Les chefs de Samarie sont dispersés sur le territoire assyrien (2 R 17,24-28). La victoire des Assyriens sur la coalition allait amener les réfugiés de Samarie dans le Royaume de Juda, dont ils décupleraient la population. Béthel, l'antique sanctuaire des tribus du Nord, servirait de mirador aux troupes assyriennes pour surveiller la frontière du Sud. Isaïe a maintenant trop confiance en la royauté de YHWH et à son plan sur le monde pour entrer dans le jeu politique. Il sait que Menahem, dans le Nord, a déjà payé tribut à l'Assyrie. Devant les attaques de Péqah et de Raçon, il veut convaincre Achaz : celui-ci n'a rien à craindre de « ces deux bouts de tison fumant » qui veulent entraîner le Sud dans la guerre (Is 7,4-9). C'est pourquoi il s'oppose à Achaz. Il le menace en évoquant la succession du jeune dauphin Ézéchias dont il a la tutelle: « Voici que la "Alma" (la reine à son premier enfantement) va mettre au monde [mettre sur le trône royal] un fils » (Is 7,14). On est en -733. « Avant que l'enfant ait douze ans, elle sera désertée, la terre dont tu redoutes les deux rois », Péqah et Raçon (Is 7,16). C'est ce qui arrivera de fait en -721. L'enfant aura alors douze ans, l'âge où, avec la puberté, on entre en adulte dans la religion, devenant capable de « rejeter le mal et choisir le bien » (Is 7,16) et, de ce fait, apte à exercer la fonction royale.

Sous le règne de cet enfant roi (Ézéchias), après la chute de Samarie (-721), le royaume du Sud connaîtra un essor merveilleux. YHWH roi a un plan sur son peuple. Après qu'il ait été chercher les peuples pour détruire Samarie pour son péché (Is 9,7-20) il a permis au Sud de se reconstruire avec les réfugiés du Nord comme au temps, idéalisé dans les « mémoires », d'un royaume de David avant la séparation (Is 9,1 -6). Ézéchias congédie les sanctuaires tribaux au profit du seul Temple de Jérusalem (2 R 18,4). On réunit les traditions qu'ils avaient conservées et on les rassemble en un héritage commun qui les fixe dans un écrit. Égypte et Assyrie règlent leurs comptes sans toucher à Juda (Is 7,17- 20). Juda regarde l'Égypte et l'Assyrie s'entretuer comme une vengeance exercée par son YHWH roi (Is 19). La prise d'Ashdod par l'Assyrie est commentée (Is 20). Juda échappait à tout cela et restait en paix.

Cette situation idéale dura jusqu'en -705. La prophétie d'Isaïe couvre aussi la période suivante, faite de clair-obscur. Ézéchias est convaincu que YHWH roi a un plan pour Jérusalem ! Son site, perché en haut de monts arides qui n'intéressent personne, ne suffisait pas à expliquer qu'elle ait échappé jusque-là à toutes les incursions assyriennes. Or elle avait grandi considérablement et le fait qu'elle soit restée seule en lice faisait d'elle le pôle de tous les foyers de résistance. Elle est sollicitée par l'Égypte en même temps que par Babylone qui souhaitait avoir des amis dans la place. Ézéchias aimerait se laisser convaincre, d'autant plus que le tribut à verser aux Assyriens est lourd. Isaïe s'oppose à l'alliance avec l'Égypte (Is 30,1-5). Ézéchias fortifie Jérusalem et creuse le canal de Siloé. Isaïe veut une fois de plus éviter la guerre et il dénonce tous ces préparatifs (Is 22).

Hélas, Sennachérib écrase l'Égypte une fois de plus et se dirige sur Jérusalem. Tout semble perdu. Il détruit la forteresse de Lakish et les campagnes environnantes jusqu'à Jérusalem. Ézéchias paye un lourd tribut à Sennachérib pour le dissuader de prendre la capitale (2 R 18,14). Il n'en retire que mépris (2 R 19). Isaïe intervient: YHWH roi défendra sa ville (2 R 19,20-34; Is 37,21-35). Sennachérib assiège Jérusalem. Or, voilà que sans qu'on en sache la raison, il repart dans son pays. C'est le miracle! La victoire, inespérée, est attribuée à YHWH roi. Jérusalem est sauve, seule rescapée de la défaite de l'Égypte et de la retraite précipitée de l'Assyrie. Ézéchias reconnaît à YHWH les attributs royaux de domination sur le monde empruntés aux dieux assyriens. Il peut relire à la lumière de cette foi nouvelle les vieux récits d'Exode et en faire le socle spirituel de la dynastie.