Seuil 02-séquence-27 Judaïsme : attentes

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"Ah, si Tu déchirais les cieux et si tu descendais !" (Is 63,19) 

 

 

 

Médite, creuse, interroge

 

  Exégèse  

 

«Et l’on attendait ton retour... »

Contexte : Le contexte religieux du judaïsme à l’époque de Jésus est effervescent et complexe. De nombreux groupes religieux ("sectes"On entend par là : "options", "écoles", "partis", sans connotation péjorative. Cf. Barthélemy, chap. 2, p. 12.) y existent.

  • Les Pharisiens estiment que tous les événements sont l’œuvre du destin (par lequel Dieu agit), mais ils ne privent pas pour autant la volonté humaine de toute initiative à leur égard, car ils pensent que Dieu a fait place, dans le conseil du destin, au vouloir vertueux ou vicieux des hommes Cf.Flavius Josèphe, Antiquités juives XVIII, § 13, cité par D. Barthélemy Pour eux, le règne de Dieu vient dans la mesure où tout Juif prend sur lui le joug de la Torah selon les traditions dont ils sont les porteurs. Ils croient à la résurrection ; celle-ci peut être envisagée de manières assez diverses. Seuls les justes seront récompensés. Pour le parti de Judas le GaliléenJudas le Galiléen ou "de Gamala", appelé encore le "Gaulomite", rassemblera des pharisiens s’insurgeant contre l’occupant, de tendance pharisienne, la venue du règne de Dieu exige d’abord que l’on refuse le joug de Rome. Ce qui implique une rébellion active.
  • Les Sadducéens ont leurs préoccupations d’abord centrées sur la vie terrestre du peuple d’Israël, ce qui implique de savoir manœuvrer pour conserver les privilèges religieux, mais aussi politiques de leur secte en particulier. Pour eux, la résurrection n’est pas inscrite dans la Torah et n’est donc pas de foi ; le corps et l’âme ne subsistent pas après la mort. Cf. Ac 23,8 : Les Sadducéens prétendent qu’il n’y a ni résurrection, ni anges, ni esprit, contraire­ment aux Pharisiens.
  • Les Esséniens considèrent le Temple souillé ; de petits groupes sont organisés en communautés, dont certaines en ville. A Qumran, la communauté se perçoit comme le Temple en attendant la venue du Temple céleste. Pour eux, le règne de Dieu vient dans la mesure où les fils de lumière quittent l’empire du prince des ténèbres pour devenir des "compa­gnons des saints" en s’insérant dans la communauté. Ils croient au jugement dernier et à la résurrection. (Cf. annexe 27.1 sur Qûmran)
  • Les Baptistes ont la perception d’une fin du monde imminente. Il y a alors un jugement pour lequel il faut se ternir prêt par la conversion qui hâte le Jour du Seigneur (Cf. Mt 3,1-11aEn ces jours-là arrive Jean le Baptiste, prêchant dans le désert de Judée et disant : "Repentez-vous car le Royaume des cieux est tout proche."...).

Le peuple est considéré par les sages, les prêtres, les scribes et les pharisiens comme inculte au niveau religieux. Il suit majoritairement l’enseignement des pharisiens dans leurs différentes tendances. En Galilée, il est spontanément apocalypticien. Mais lorsqu’il se rend au Temple pour les grandes fêtes des montées, il est subjugué par la splendeur du grand prêtre, et oublie l’enseignement de ses catéchistes.

Gam 2d Seuil / p225

 

 

  Théo/Philo  
 

 

« Et l’on attendait Ton retour. »

Attentes, espérances : Le judaïsme officiel du temps de Jésus avec le Temple se distingue du judaïsme rabbinique. De même, le judaïsme apocalyptique ne peut être purement et simplement assimilé à ce que vivaient les sectaires de Qûmran, ou les premiers chrétiens. Mais les parentés sont suffisantes pour que se dessinent deux lignes majeures assez parlantes pour servir de toile de fond à la lecture du N.T.

  • Attentes dans le judaïsme officiel

Sadducéens, scribes sont davantage tournés vers les préoccupations immédiates de leur fonction qui induisent des collusions avec l’occupant. La venue du règne de Dieu les laisse insensibles.

Les pharisiens de ce courant attendent un retour de Dieu, avec un messie, mais ce messie est collectif, c’est lorsque tous ceux qui doivent rejoindre Israël viendront adorer Dieu sur la colline de Sion. Pour cela, Élie reviendra, mais comme simple rassembleur des familles divisées (Ml 3,23). Tout cela doit se passer de manière reconnaissable : il n’y aura pas besoin de prophète, ni de signes nouveaux, ni de révélation nouvelle car tout a été donné au Sinaï et Israël n’a-t-il pas la Torah de manière complète et immuable ?

  • Attentes dans le judaïsme apocalyptique

Certains pharisiens en font partie, mais surtout les esséniens, les baptistes... Ils attendent ardemment le règne de Dieu. Le monde étant sous l’emprise des Ténèbres, du Mauvais, Dieu lui- même doit rouvrir le Ciel et donner une nouvelle révélation, "apocalypse". Celle-ci s’accompa­gnera de signes nouveaux : miracles, visions, voix célestes...

Cette "apocalypse" est envisagée de différentes manières selon que l’on est à Qumran, ou dans d’autres groupes.

Par exemple, l’attente d’un messie (oint) : cette attente est plurielle ; le courant officiel n’attend pas un messie personnel ; ce messie peut être Israël, en tant que fils obéissant à la Torah, mais aussi un libérateur politique, fils de David, comme l’a été Ezéchias (Cf. Psaumes de Salomon 17). Dans l’attente apocalyptique par contre, le messie est personnel, même s’il est envisagé comme "prêtre" qui va apporter le vrai culte, et/ou comme prophète qui dévoilera les livres scellés, et/ou comme roi venant pour la restauration du peuple. On s’interroge à son sujet (Cf. Jn 7,26-27.31.42- 53). Cette attente est fluctuante, tâtonnante, en quête continuelle de signes et de confirmations.

Gam 2d Seuil / p227

Parle

 

  Exégèse   

 

« Ta Parole sainte... »

Textes : Livres lus et faisant autorité dans le Judaîsme officiel

En diaspora comme en Palestine, la Torah de Moïse (Pentateuque) est la référence. Même si les autres livres sont connus, ils sont nettement moins utilisés (pour ce courant, depuis Aggée, Zacharie et Malachie, au temps d’Esdras et Néhémie, il n’y a plus de prophète individuel) ; c’est Israël tout entier qui est prophète.

Sadducéens et Samaritains ne reconnaissent que la Torah écrite par Moïse (Pentateuque).

Livres lus et faisant référence dans le Judaïsme apocalyptique

À la Torah qui fait autorité, on ajoute systématiquement les prophètes et les autres écrits (Cf. prologue du Siracide v. 1.8.24 : Loi, Prophètes, hagiographes ou autres écrits).

À Qûmran, Psaumes, Deutéronome et Isaïe sont les livres les plus lus ; puis Genèse, Exode, puis Daniel et les petits prophètes. Notons que ces mêmes livres sont les plus cités dans le NT : Psaumes, Isaïe, Deutéronome, puis Exode, les petits prophètes et Genèse. À cela s’ajoutent le Livre d’Hénoch et le Livre des JubilésRévélation des tablettes célestes faite par les anges à Moïse.

Le clivage est surtout dans l’interprétation des Écritures

Selon le Siracide, les prophètes sont lus dans une perspective de révélation : Isaïe annonça les événements à venir jusqu’à l’éternité des choses cachées avant qu’elles n’advinssent (Si 48,25). Telle est la lecture du courant apocalyptique. En ce sens, Daniel est antidaté à l’époque de l’Exil afin d’être trouvé parmi les prophètes reconnus comme tel (Cf. Séq. Martyrs), c'est-à-dire avant leur cessation.

Pour le courant officiel, le livre d’Isaïe est un écrit mineur qui n’apporte rien à la Torah.

Quelles que soient leurs divergences d’interprétation, ce qui, au début de notre ère, unit tous les Juifs, c’est la reconnaissance de la Torah mosaïque comme code de leur commune appartenance au peuple d’Israël choisi par le Dieu Unique. Le Temple qui, jusque vers le début de l’époque asmonéenne, avait exprimé cette unité ne l’exprime plus aussi nettement à l’époque où les esséniens ne le fréquentent plus et où des Juifs d’Egypte ont édifié un sanctuaire rival à Léontopolis.

D. Barthélémy, Découvrir l’Écriture, Lectio Divina, Paris Cerf, 2000, p. 28.

Gam 2d Seuil / p226

 

   Théo/Philo   

 

" Ou bien s'il te plaisait de nous déconcerter encore ..."

Dieu n'a-t-Il pas tout donné ? Peut-il parler de nouveau ? Quelles en sont les conséquences ?

Le Christ, le Fils de Dieu fait homme, est la Parole unique, parfaite et indépassable du Père. En Lui II dit tout, et il n'y aura pas d'autre parole que celle-là. Saint Jean de la Croix, après tant d'autres, l'exprime de façon lumineuse, en commentant He 1,1-2 : « Dès lors qu'il nous a donné son Fils, qui est sa Parole, Dieu n'a pas d'autre parole à nous donner. Il nous a tout dit à la fois et d'un seul coup en cette seule Parole (...); car ce qu'il disait par parties aux prophètes, il l'a dit tout entier dans son Fils, en nous donnant ce Tout qu'est son Fils. Voilà pourquoi celui qui voudrait maintenant l'interroger, ou désirerait une vision ou une révélation, non seulement ferait une folie, mais ferait injure à Dieu, en ne jetant pas les yeux uniquement sur le Christ, sans chercher autre chose ou quelque nouveauté. » (Montée du Carmel 2,22).

Comment tenir l’ouverture à la nouveauté de Dieu et le fait que Dieu ait tout dit en son Fils ?

Jésus, plénitude de la Révélation n’a rien écrit ; les quatre Evangiles et l’ensemble du NT tentent de rendre compte de l’apocalypse de Jésus, sans prétendre y parvenir :

Ph 3,7-14 : « (...) Non que je sois déjà au but, ni déjà devenu parfait ; mais je poursuis ma course pour tâcher de saisir, ayant été saisi moi-même par le Christ Jésus. Non, frères, je ne me flatte point d'avoir déjà saisi ; je dis seulement ceci : oubliant le chemin parcouru, je vais droit de l'avant, tendu de tout mon être, et je cours vers le but, en vue du prix que Dieu nous appelle à recevoir là-haut, dans le Christ Jésus. »

Et en même temps, Dieu s’est vraiment révélé tout entier en Jésus Christ :

1 Co 2,7-13 : « Nous parlons d'une sagesse de Dieu, mystérieuse, demeurée cachée, celle que, dès avant les siècles, Dieu a par avance destinée pour notre gloire (...) nous annonçons (...) ce qui n'est pas monté au cœur de l'homme, tout ce que Dieu a préparé pour ceux qui l'aiment. Car c'est à nous que Dieu l'a révélé par l'Esprit (...) nul ne connaît ce qui concerne Dieu, sinon l'Esprit de Dieu. Or, nous (...) avons l'Esprit qui vient de Dieu, pour connaître les dons gracieux que Dieu nous a faits. »

Le choix ou l’accueil, le rejet ou l’indifférence vis-à-vis de cette révélation renvoient au mystère de l’homme et à sa part de liberté : certains entreront dans l’apocalypse apportée par Jésus, tandis que d’autres resteront, au bord du chemin, attachés à leur attente... ou à leur non-attente.

Gam 2d Seuil / 228

Document :  Deux grands courants théologiques à l’époque de Jésus

Contemple

 

seq-2-27-dia Judaïsme, espérances, © Mess'AJE

 

Et l'on attendait ton retour. Tu nous avais sauvés au Sinaï, on attendait que tu reviennes, redonner ta Parole au Peuple rassemblé. Tu reviendrais parler sur ta Montagne sainte. Certes on était pécheurs, bien éloignés de Toi, mais on était tes fils, et fils de prophètes, on Te reconnaîtrait dans ta Parole sainte et chacun reviendrait de son péché passé, et l'on Te servirait comme aux jours d'autrefois. Ou bien, s'il Te plaisait de nous déconcerter encore, de Te manifester de façon si nouvelle, que nous ne puissions plus reconnaître ta voix, alors, comme au temps de Moïse, Tu referais des signes, Tu parlerais du ciel, Tu enverrais Élie qui était près de Toi, et l'on T'accueillerait comme un Verbe nouveau. Mais on comprend aussi que certains se soient tournés vers le futur puisque, sur cette terre, rien ne Te mesurait plus. Il restait à attendre ou à s'organiser puisque, sur cette terre, rien ne Te mesurait plus on aurait le courage de vivre sur la terre sans regarder le ciel. Les mystiques de l'urgence attendaient l'apocalypse et que s'ouvre le ciel. L'un d'entre eux invitait au repentir : "La cognée est à la racine de l'arbre, convertissez-vous, faites pénitence." Il baptisait dans l'eau et c'était Jean-Baptiste le prophète, ton précurseur, un précurseur si loin de tout. Il était le plus grand des prophètes de l'Ancien Testament, parce qu'à la veille de l'accomplissement. Et cependant, comme dit Luc, le plus petit dans le Nouveau Testament, est bien plus grand que le Baptiste, depuis que Toi mon Dieu, tu t'es fait l'un des nôtres.

 

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