Seuil 02-séquence-24 Les martyrs
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"Il faudrait choisir entre renier sa foi ou bien mourir."
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L'ensemble de cette séquence fait passer de l'ambiguïté de l'inculturation à la persécution qui entraîne l'idolâtrie ou le martyre. Elle dit aussi le lien entre la foi en la Résurrection et la foi en la Création : YHWH, créateur et recréateur, transfigure et ressuscite en son Amour. Le martyre témoigne du fait que ce qui fait vivre le croyant ne vient pas de lui mais d'un Plus Grand que lui.
«Les Grecs de Syrie supplantaient ceux d’Égypte à la tête d’Israël. Ils imposaient leurs coutumes »
Contexte historique : deuxième période grecque : les Séleucides
Entre 200 et 142, la Judée passe de la domination lagide (grecs d’Égypte) à la domination séleucide (grecs de Syrie). De 167 à 164, sous Antiochus Épiphane, grande persécution religieuse : sous la pression romaine, Antiochus III, pour payer le tribut colossal, entreprend de piller les édifices religieux. Son fils Séleucus IV hérite de la dette. C’est dans ce contexte que le chancelier Héliodore veut faire main basse sur le trésor du Temple de Jérusalem (2 M 3).
La persécution des Juifs
Après l’assassinat de Séleucus IV, sous Antiochus IV Épiphane (175-164), la noblesse laïque (Tobiades), à laquelle se joint une partie de l’aristocratie cléricale (2 M 4,14-15), obtient du roi de faire de Jérusalem une cité hellénistique avec gymnase et éphébie (2 M 4,9). Cette métamorphose de Jérusalem en cité grecque met fin au statut particulier du Judaïsme, auquel la Torah servait de constitution. Elle entraîne la marginalisation des milieux conservateurs fidèles à la Torah et, en général, pauvres.
Puis Ménélas, soutenu par les Tobiades, obtient d’Antiochus IV la charge de grand-prêtre à la place de Jason. C’est la première fois qu’un grand-prêtre n’est pas de lignée sacerdotale. Ménélas s’en prend au trésor du Temple, provoquant une révolte à Jérusalem. Jason rallie les milieux conservateurs (Oniades) et chasse les Séleucides de Jérusalem, très vite reconquise par Antiochus IV qui réprime le soulèvement avec cruauté et pille le Temple, avec l’appui de Ménélas (2 M 4-5).
Sous la pression de l’armée romaine, Antiochus Épiphane se retourne définitivement contre Jérusalem un jour de sabbat. Après un massacre, il installe les cultes païens au sein du Temple. Il publie des décrets contre la religion juive (Dn 11,31 ; 1 M 1,44-64 ; 2 M 6,1-11) : Sabbat et circoncision sont interdits sous peine de mort, les livres de la Loi sont détruits et le Temple souillé. On fait des sacrifices de chiens et de porcs et la statue de Zeus est dressée sur l’autel des holocaustes, c’est sans doute là « l’abomination de la désolation » (Dn 9,27 ; 11,31 ; 12,11 ; 1 M 1,54). L’entité juive est dissoute dans un royaume hellénistique absolutiste.
Principaux événements
À la résistance passive des juifs fidèles à la Torah (1 M 2,29), succède une rébellion ouverte contre l’empire séleucide qui aboutit à l’instauration d’un état juif indépendant (2 M 8).
- Vers 167 : Début de la révolte avec le prêtre Mattathias (1 M 2). Guérilla, avec Judas Maccabée qui rallie les Pieux (Assidéens ou Hassidim) d’abord réfugiés au désert (1 M 2,39-48), victoire sur les Séleucides (1M 3,1-26 ; 2 M 8).
- Vers 165/163 : Liberté religieuse rendue aux juifs, purification et Dédicace du Temple (2 M 1,2). Exécution du grand-prêtre Ménélas. Fin de la révolte maccabéenne.
- Vers 161/160 : Reprise du contrôle de la Judée par le parti hellénisant (1 M 9).
- Vers 152, les Maccabées prennent le pouvoir : début de la période asmonéenne, du nom donné aux Maccabées lorsqu'ils sont au pouvoir dans une dynastie. Jonathan, frère de Judas est institué grand-prêtre, bien qu’il ne soit pas de lignée sacerdotale. Son frère Simon est nommé gouverneur séleucide. Certains prêtres font sécession et rejoignent Qumran.
- Vers 143, Jérusalem retrouve l’autonomie politique perdue en 587.
- En 140, Simon est acclamé grand prêtre, cumulant ainsi les pouvoirs.
Cette période d’hellénisation et de persécution ravive la conscience identitaire du peuple. Israël doit choisir entre sa fidélité à la Torah qui peut lui valoir la mort ou l’apostasie et la survie (Cf. le martyre du vieil Eléazar : 2 M 6,18s). Certains trahiront la foi des pères, d’autres réagiront soit par la résistance passive (Hassidim), soit par l’épée (Maccabées) Cf.1 M 2,29s.
Gam 2ème seuil / p 189-190
Face à la mort, la Bible a une position originale
Aux origines d’Israël, la mort naturelle fait partie de la vie ; mourir, c’est rejoindre ses pères. Pas de perspective de vie après la mort : « Dans la mort, nul souvenir de toi : dans le shéol qui te louerait ? » (Ps 6,6). Plus tard, lorsque l’Alliance est établie, la mort sera perçue comme conséquence de l’idolâtrie, comme résultat de la rupture de la relation avec Dieu, d’où l’expression "la mort, salaire du péché" (Rm 6,23). La mort n’est plus "passage", mais "jugement", "vengeance" de Dieu. Si Israël s’insurge contre la nécromancie (1 Ch 10,13), c’est qu’il ne doit pas mettre la main sur la vie, ni sur l’au-delà. Avec le mémorial, Israël commence à percevoir que l’action et la parole de Dieu sont éternelles. Cf. Ez 37,12. Lorsqu’lsraël reconnaîtra que Yahvé est l’Unique, Créateur du ciel et de la terre, et que son Amour fait traverser les eaux et le feu (Is 43,2) et peut re-susciter son peuple de l’Exil, alors il commencera vraiment à envisager la mort comme pouvant être transfigurée. La foi en la résurrection des martyrs est directement héritière de ce monothéisme isaïen.
« Certains se mirent alors à attendre du ciel... » :
Les premières affirmations de la résurrection dans la Bible : Deux conceptions différentes : Dn 12 et 2 M 7.
Daniel
Cet écrit apocalyptique situe les événements quatre siècles en arrière, en exil à Babylone. Cette annonce prophétique veut donner un espoir : si toutes les prédictions précédentes se sont avérées justes et ont eu une issue heureuse, cette fois-ci encore, Dieu aura la victoire (dans un temps et la moitié d’un temps), c'est-à-dire à son heure et celle-ci reste mystérieuse. Cette anti-datation veut également valider la prophétie pour s’adresser à un judaïsme qui ne croit plus que le Ciel peut encore s’ouvrir. Elle est donc située au temps de l’Exil, au temps où il y avait encore des prophètes. Face à Antiochus Épiphane, ennemi de Dieu, la résistance des fidèles hâtera la manifestation de Dieu qui délivrera par des prodiges, ceux qui souffrent pour son nom.
- Chapitres 7 à 12 : quatre visions annoncent la destruction des royaumes impies : quatre vents, quatre bêtes, l’Ancien et un Fils d’homme ; le bélier et le bouc, vision expliquée par l’ange Gabriel ; l’exaucement de la prière de Daniel qui reçoit la signification des soixante-dix années de ruine prophétisées par Jérémie (Jr 25,11-14) ; les guerres qui marqueront la fin des temps et le triomphe final des justes.
Images cosmiques, couleurs et chiffres symboliques, message codé hermétique aux persécuteurs donnent la vision interprétative des événements présents. Par exemple, la quatrième bête désigne l’empire grec et sa onzième corne, Antiochus Épiphane (Dn 7).
Dn 12,2 : première formulation dans la Bible d’une résurrection. Celle-ci se passe au Ciel. Sommet de la prophétie de Daniel : les livres sont scellés, c’est donc au Ciel que tous, vivants et morts seront jugés. Les justes "resplendissent, ils brillent comme les étoiles" (Dn 12,3). Nous avons là une véritable théologie de l’histoire, synthèse puissante du message de l’AT où le dessein de Dieu se déroule jusqu’à son achèvement. Le plan divin s’achèvera par le jugement universel lors duquel ״beaucoup se réveilleront, les uns pour la vie éternelle, les autres pour l’horreur éternelle (12,2) et par l’instauration d’un royaume sans fin réservé aux saints.
2eme livre des Maccabées :« On raconte comment une mère admirable... »
Cet écrit pharisien (courant isaïen) est un hymne à la piété dans une vie transfigurée dès cette terre par la miséricorde toujours agissante de Dieu.
- 2 M 7 est une véritable théologie de la résurrection liée au martyre. C’est donc dès cette terre que l’on peut savoir qui aura part et qui n’aura pas part à la résurrection. La mort alors n’est pas un châtiment, mais un don de soi qui amène la justice et la récompense de Dieu. L’espérance en la résurrection soutient le zèle des fidèles à la Torah
- Cette foi se fonde sur la reconnaissance que la vie est inscrite dans le mystère de l’amour divin dès avant la naissance et continue de l’être au-delà de la mort. C’est aussi la première expression dans la Bible de la création ex nihilo : « Je ne sais comment vous êtes apparus dans mes entrailles, ce n’est pas moi qui vous ai gratifiés de l’esprit et de la vie... Aussi bien le Créateur vous rendra-t-il et le souffle et la vie parce que vous vous méprisez à présent vous-mêmes pour l’amour de ses lois. (...) Regarde le ciel et la terre, et vois ce qui est en eux, et sache que Dieu les a faits de rien et que la race des hommes est faite de la même manière » (2 M 7,22-29). Procréation, création et résurrection sont liées et perçues au même plan.
Gam 2ème seuil / p 192-193
« Les veilleurs avaient su voir l’aurore au milieu de la nuit. »
Textes :
Daniel (vers -150): écrit clandestin en trois parties visant à fortifier la foi en contexte de persécution.
- 1 à 6 : Histoires pieuses et édifiantes (les enfants dans la fournaise, Daniel dans la fosse aux lions...)
- 7 à 12 : Apocalypse : Dans un contexte de détresse et de peur, l’apocalypticien cherche à exploiter les triomphes de Dieu sur le mal pour soutenir la foi et la persévérance du peuple. Le genre littéraire apocalyptique se caractérise par un retour en arrière, vers des faits passés connus, afin de voir se dessiner le plan de Dieu à travers les difficultés présentes et de prophétiser, mais surtout, de regarder plus haut, vers l’eschatologie. La sagesse vient d’En Haut, elle révèle les desseins secrets de Dieu (cf. Is 24-27 ; 34-35). Les prophéties non réalisées ont un sens caché (ainsi Jr 25,11-14 repris en Dn 9).
- 13-14 : Histoires édifiantes de Suzanne, de Bel et du dragon.
Cf. Alexandre MEN Jésus le maître de Nazareth, Nouvelle cité, p. 36.
2ème livre des Maccabées (deutérocanonique, entre 160 et 124) : adaptation de l’ouvrage de Jason de Cyrène (2 M 2,19-24). Théologie hassidim, dans la ligne isaïenne : éloge des martyrs.
1er livre des Maccabées (deutérocanonique, vers -100) : livre plus politique que religieux, de tendance asmonéenne (ou sadducéenne). Apologie - en forme d’histoire sainte - des frères Maccabées, sauveurs et libérateurs du peuple.
Début de la littérature intertestamentaire[2] (livres non canoniques, comportant ne nombreux écrits apocalyptiques) : Livre d’Hénoch, Apocalypse des semaines, Livre des Jubilés, Testament des Douze Patriarches, Testament de Lévi... (Cf. M. Philonenko, A. Caquot, Ecrits intertestamentaires, Avant-propos et Introduction générale, La Pléiade, 1987.)
Judith (deutérocanonique) et Esther (fin du 2eme ou début du 1er s. av JC) : deux récits nationalistes édifiants qui expriment l’enthousiasme soulevé par l’épopée des Maccabées : Dieu agit et sauve ; pour cela, il choisit des instruments faibles et pauvres, comme il l’avait fait avec Déborah. L’intrigue cadre bien avec le début de la dynastie asmonéenne, où l’on recommence à pactiser avec l’hellénisme des Séleucides. (Cf. Cahiers Évangiles 42, p9)
Gam 2ème seuil / p 189-190
« Dieu peut-il refuser ceux qui s’épuisent en Lui ?»
Fondements anthropologiques : La foi en la résurrection dans la Bible est inédite parce qu’elle s'appuie sur une vision de l’homme éminemment relationnelle. L’homme s’interprète toujours au sein d’un réseau de relations ; c’est cela qui fait de lui un vivant :
- L’âme = intimité vivante à laquelle Dieu est présent.
- Le corps = manifestation de la relation aux autres.
- L’esprit = maîtrise et responsabilité dans la relation.
- La chair = limite humaine et fragilité de la relation ; capacité de s’y fermer.
Le juif est un être social et ne peut se comprendre qu’en référence à sa communauté religieuse. Il a une vocation prophétique : destinataire d’un appel, il lui est donné d’être témoin du dessein de Dieu face à son Peuple et face aux nations. La personne ne pourra jamais se comprendre comme une autarcie grecque. C’est avec tout l’homme que Dieu fait Alliance et c’est l’homme dans sa totalité qu’il aime et sauve.
Deux conséquences :
La résurrection ne s’envisage que dans une relation d’amour et de fidélité. Ni automatique, ni due, elle est toujours une grâce, attendue dans l’espérance. Elle n’est d’ailleurs envisagée dans le judaïsme que pour celui qui pratique l’Alliance. Certains courants juifs la nient ou la regardent comme seconde. En tout état de cause, la résurrection fera toujours l’objet d’un débat dans le judaïsme.
Dieu ressuscite la personne dans son intégralité (et non pas seulement son âme, son esprit...) C’est toute la vie du fidèle qui est appelée à être transfigurée et ressuscitée.
« Il vous prendra avec Lui au soir de votre mort... »
Prémices de la foi chrétienne : La foi chrétienne en la résurrection s’inscrit directement dans cette vision biblique de l’homme. Cependant, l’influence grecque y est perceptible : séparation de l’âme et du corps.
Gam 2ème seuil / p 192-193
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Dans ce choix pour ou contre la religion des Grecs, les revers de l'histoire n'allaient pas tarder à mettre Israël au pied du mur. Les Grecs de Syrie supplantaient ceux d'Égypte à la tête d'Israël. Ils imposaient leurs coutumes, le Temple était pillé, l'idole y était installée et nos rites sacrés, tout comme la Torah, nous étaient interdits. On pouvait accueillir la sagesse des peuples en recherche de Dieu, mais à la condition qu'elle ne s'imposât point comme la clé du monde en supplantant la foi. L'heure du grand combat avait sonné où il faudrait choisir entre renier sa foi ou bien mourir. Certains se mirent alors à attendre du Ciel le salut qu'il n'était plus possible d'espérer sur la terre. C'est ainsi qu'avec Daniel, on commença à croire en la résurrection des martyrs. On raconte comment une mère admirable préféra voir mourir ses sept fils plutôt que de les voir sacrifier aux idoles. Elle les soutient dans la torture. Dieu qui transforme tout dans son amour de Père, Dieu qui fait tout surgir du néant des abîmes, Dieu qui vous a fait naître, saura bien vous sauver, vous prendra avec Lui au soir de votre mort, et votre mort vaudra pour le peuple tout entier. Dieu peut-Il refuser ceux qui s'épuisent en Lui ? Les veilleurs avaient su voir l'aurore au milieu de la nuit.