Seuil 02-séquence-21 Difficile unité
"On réunit les traditions ensemble pour en faire une Bible"
"On réunit les traditions ensemble pour en faire une Bible"
En 398, sous le règne d’Artaxerxès II, Esdras, prêtre juif, secrétaire officiel de la cour perse, reçoit pleins pouvoirs pour réformer la vie religieuse et administrative à Jérusalem (Esd 7,12-26). Il rassemble les traditions littéraires dans le "Pentateuque" qui devient "loi d’Etat" reconnue par les Judéens et les Samaritains.
Esdras tente de réunifier les Samaritains et les Judéens autour du Temple et de la "Loi du Dieu du ciel' (Pentateuque) (Esd 7,21).
Il exige la rupture des mariages mixtes (Esd 9-10).
La liturgie autour de la Torah s’institutionnalise (Ne 8-9) : proclamation solennelle de la Loi en hébreu, suivie de sa traduction en araméen (Targum) et d’un commentaire (midrash[1]).[1] Midrash : commentaire de l’Ecriture (à ne pas confondre avec la Mishna : recueil de traditions orales).
"Chacun avait raison dans sa théologie."
Il ne faut pas s’étonner de la multiplicité des théologies de cette époque. En effet, la manière de réagir et de penser du judaïsme a dû être très différente selon qu’on se trouvait en Égypte dans les communautés d’Éléphantine ou d'Alexandrie, ou bien en Babylonie avec les victimes des exils de 597 et de 587, ou encore chez ceux qui étaient restés sur les ruines du pays envahi par les Samaritains[1], (Cf. séquence précédente : une pluralité de courants théologiques).
Lors de la réunion de l’ensemble des traditions, l’éditeur (Esdras) ne nivellera pas les différences.
La seule unité théologique possible réside dans une relecture interprétative. Ainsi le Judaïsme tentera-t-il, à la suite d’Esdras, de réinterpréter l’ensemble de ses traditions en fonction de l’unité concrète d’Israël qui se dit dans la "pratique" (halakha). Le christianisme, quant à lui, réinterprètera toutes ces traditions en fonction de sa foi dans l’accomplissement de l’Ancien Testament en Jésus.[1] Ce que nous avons appris sur les facteurs de l’inspiration explique cette diversité. L’événement est inspiré et des situations différentes produisent des théologies différentes. (Cf. ÉTAPES, "l'inspiration" ci-contre en Théo/Philo)
Gam 2ème seuil / 168
"On se reconnaissait dans le tout petit reste échappé de l'enfer."
Qu'est-ce qui fonde l'unité de la foi du peuple ?
L’histoire : Elle sépare en même temps qu’elle est un lieu d’unité du peuple ; les différents courants n’ont pas forcément vécu les mêmes événements et ne les interprètent pas de la même manière. Ils ont cependant dans leur mémoire commune, les patriarches (Abraham, Isaac, Jacob), Moïse, les prophètes, le roi David dont la figure est de plus en plus idéalisée ; mais aussi l’Exode (passage des croyances mythiques à la foi au Dieu de l’Alliance qui les distingue des autres peuples). Israël se reconnaît comme le peuple "élu".
Une histoire mémoriale : Cette histoire est de plus en plus perçue comme "mémoriale", c'est-à-dire comme ayant un caractère d’éternité. L’événement fondateur, la parole que Dieu a adressée à son peuple, sont toujours actuels, opérants dans l’aujourd’hui du peuple.
Le monothéisme d’Israël : Ce mémorial prend d’autant plus de poids que Dieu est Unique et créateur du ciel et de la terre.
Le petit reste : Israël se comprendra aussi, toutes situations confondues, comme le "petit reste" demeuré fidèle à l'Alliance, promesse et espérance de restauration.
Gam 2ème seuil / 169
Le judaïsme, une religion à "prophétisme historique"
Le judaïsme, le christianisme et l'islam peuvent être appelées des religions à « prophétisme historique ». Toutes trois, en effet, se réfèrent :
à un événement historique fondateur ;
à un prophète, témoin d'une Parole de Dieu ;
à une communauté qui se laisse interpeller dans son histoire par cette Parole, et qui fait mémoire de l'événement fondateur.
Des événements premiers ont donc enclenché une dynamique. Leur véritable impact n'est perceptible qu'au bout d'un certain temps. Ces événements sont indissociables des paroles qui les portent, les explorent et en transmettent le sens profond. Sans celles-ci les événements demeureraient insignifiants. L'esprit dans lequel sont transmis ces événements leur donne une profondeur d'avènement et de « Parole ». Ils deviennent événement fondateur.
C'est tout ce processus de transmission qui fait accéder les Écritures - sans cesse ruminées par les prophètes et par le peuple - au rang de « Parole de Dieu ».
Catherine Le Peltier, EFB / 61
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Ceux qui reviennent d'exil et ceux qui sont restés sur leur terre : l'invention des Patriarches.
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Rapatriés et étrangers : l'invention de la Conquête.
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Un État sans roi : l'invention des Juges.
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L'option monarchique : l'invention du royaume uni.
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L'option sacerdotale : l'invention du Temple de Salomon.
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L'auto-identification : l'invention de la Loi
Un peuple divisé
L'idéal sacerdotal est de faire un peuple un et saint, comme Dieu est Un et Saint. Mais la population est divisée, les injustices sociales et le syncrétisme règnent; l'unité autour du Temple et de la Torah s'avère difficile. Derrière la théologie sacerdotale qui s'impose, des courants divergents subsistent : disciples d'Isaïe ouverts à une Alliance universelle, courant deutéronomiste pour quo l'Alliance est soumise à des conditions, sans parler du petit peuple qui tente de vivre comme il peut. Le peuple juif est désormais aussi celui de la diaspora, en Égypte à Éléphantine ou Alexandrie par exemple, et en Babylonie. Là encore, chaque communauté a ses tendances propres, avec ses rites, ses traditions et ses écrits préférés.
Catherine Le Peltier, EFB / 194
L'inspiration
En quoi les Écritures sont-elles inspirées ? L'inspiration joue à plusieurs niveaux. On peut en retenir six :
- Événement : la Parole/révélation est issue d'événements, dont l'écho est gardé par des croyants et se traduit dans la vie de communautés.
- Texte : la mémoire de ces événements fixée dans un texte fait référence pour la communauté.
- Auteur : quand la mémoire de ces événements et leur répercussion risquent de s'estomper, des témoins prophétiques en ravivent le souvenir dans une prédication et des écrits.
- Peuple : ces textes sont transmis aux générations suivantes et sans cesse relus avec l'enrichissement que la vie apporte.
- Éditeur : un éditeur, porté lui-même par une conjoncture et des enjeux de foi nouveaux, rassemble les textes, les actualise, les organise et les édite.
- « Sur texte » : enfin l'autorité du texte est telle que celui-ci est lu, proclamé, chanté et aménagé dans le cadre de la liturgie et de la prière. Les insistances sont différentes dans le judaïsme, l'islam et le christianisme. Pour les juifs, ce qui compte avant tout, c'est le peuple qui interprète sans cesse le texte. Pour l'islam, c'est le texte qui, par excellence, est inspiré. Pour les chrétiens, si l'inspiration joue à tous les niveaux, l'événement historique revêt, en raison de l'Incarnation, une importance particulière.
Catherine Le Peltier, EFB / 61
Référen-Ciel : Révision globale des deux courants majeurs
- Courant officiel
- Courant apocalyptique
Chacun avait raison dans sa théologie. Disciples de Josias, disciples d'Isaïe ou disciples des prêtres, sans parler de tous ceux qui tentaient seulement de vivre de leur mieux. La division s'installait au pays. On avait franchi l'impasse de l'exil par tant de voies diverses ! Il fallut à nouveau réaccorder les textes auxquels chacun tenait, puisqu'ils avaient servi à passer la tourmente. On se remit à lire les prophètes, Jérémie, Ézéchiel, Isaïe et on les complétait de tout ce que l'histoire nous apprenait à vivre. On se reconnaissait dans le tout petit reste échappé de l'enfer, sur lequel les prophètes semblaient s'être accordés. Et puis, on réunit les traditions ensemble, pour en faire une Bible. Mais entre les héritiers de l'exil et ceux qui n'avaient pas quitté le pays et s'étaient accomodés des païens, le fossé se creusait chaque jour davantage. Les "purs" allaient se barricader dans la ville. Néhémie redressait les remparts pour protéger la foi. Le petit reste s'enfermait dans le ghetto en butte aux ennemis.