Seuil 02-séquence-20 Croisée des chemins

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    "Chacun avait raison dans sa théologie."

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    Évocation de deux chemins contemporains : 
    le rêve apocalyptique du troisième Isaïe comme espoir de vie suintant sous les pierres 
    et l'obéissance du Sacerdotal comme tranchée dans le roc.
         

    Médite, creuse, interroge

     

       Exégèse   

     

    «Parfois, un signe de l’histoire réassurait la foi. »

    L'histoire : Fin de la période perse jusqu'à Alexandre

    • 486-465 : « Babylone en révolte contre la Perse venait d’être écrasée » par le roi Xerxès 1er. L’événement sera compris dans la Bible comme l’accomplissement des prophéties contre Babylone [1].
    • 465-424 : Jérusalem n’est que tristesse et désolation. Néhémie, un juif de Babylone, demande au roi perse Artaxerxès 1er de reprendre la reconstruction qui a été interrompue. Néhémie est envoyé comme gouverneur pour remettre de l’ordre (Ne 2,1-8). Malgré les difficultés avec les Samaritains, il parvient à rebâtir les remparts, à restituer les propriétés, à alléger la fiscalité perse. Il lutte aussi contre la vente des Juifs comme esclaves par leurs "frères" (Ne 5,8). Après 433, il réorganise le clergé, rétablit la fonction des prêtres et des lévites, fait respecter le sabbat... Il remet en vigueur la séparation d’avec les étrangers : « Il fallait éviter les païens et se garder du mal. » (Ne 13,27).  Deux courants théologiques s’affirment : le courant "isaïen" est universaliste, "souterrain" (3eme Isaïe, Ruth...). Le courant sacerdotal "officiel" (Esdras, Néhémie...) insiste sur la séparation du peuple d’avec les païens et pose les bases d’une Alliance inconditionnelle, quel que soit le péché d’Israël (Cf. Séq. Dieu de l’univers).
    • 358-337 : Après un dernier sursaut perse, énergique et brutal, sous Artaxerxès III , les Grecs, avec Philippe de Macédoine (337) puis Alexandre (333), vont investir l’Asie et le bassin méditerranéen.

    [1] À cette occasion, un certain nombre d’écrits prophétiques sont réorganisés sur un schéma de "jugement" : malheur des nations / triomphe de Jérusalem (Jr 50-51 ; Is 13 ; 21 ; ces chapitres sont donc postexiliques).

    Gam 2ème seuil / p 161

     

    Pour avoir une idée de "l'ambiance" :
    Les rapatriés, sous la conduite de Zorobabel et de Josué, prirent possession des ruines du Temple et réaménagèrent tant bien que mal l'autel pour y accomplir les actes essentiels du culte, selon les normes "mosaïques" élaborées à Babylone. Ils chassèrent de toute évidence les prêtres qui avaient maintenu le culte pendant la période de l'Exil, et entrèrent en collision avec le "peuple de la terre", c'est-à-dire ceux qui étaient restés, qui avaient continué à se retrouver autour du Temple en ruines. Ces derniers, qu'Esdras (4,1) définit comme "ennemis de Juda et de Benjamin", offrirent leur collaboration pour reconstruire le temple, invoquant la foi commune et la continuité du culte : "Nous voulons bâtir avec vous, car comme vous nous cherchons votre Dieu et lui sacrifions depuis le temps d'Asarhaddon, roi d'Assour, qui nous amena ici." (Esd 4,2). Mais leur proposition fut rejetée, sur la motivation officielle que l'autorisation impériale pour reconstruire ne concernait que les rapatriés. Les "autochtones" ouvrirent alors les hostilités, et firent appel au satrape de Transeuphratène, Tattenaï. Mais la cour impériale confirma l'autorisation et Tattenaï autorisa les travaux, bien plus, il y collabora.
    Mario Liverani, La Bible et l'invention de l'histoire, p450

     

       Théo/Philo   

     

    « Chacun avait raison dans sa théologie. »

    Courants : Les communautés, selon leur situation (diaspora de Babylone ou d’Égypte, revenues d’Exil ou restées au pays) réagissent et interprètent les événements et les traditions reçues.

    La théologie sacerdotale (prêtres revenant d’Exil)

    Elle apparaît à la fois large et étroite.

    • Large : elle démythologise les dieux païens au profit du Dieu d’Israël, unique Créateur et ordonnateur de tout. Son éthique recouvre tous les actes et s’impose comme pouvant répondre à tout. L’Alliance deutéronomiste conditionnelle (fidélité = bénédiction, et infidé­lité = malheur) à cause de l’Exil est fragilisée ; avec les prêtres, l’Alliance sera désormais fondée en Abraham et en Adam, sur le monothéisme ; elle est inconditionnelle.
    • Étroite : elle n’existe qu’en éliminant les autres (théologie de ghetto). L’action de Dieu est toute puissante mais ne transfigure pas. Il s’agit essentiellement pour Israël d’obéir à la Torah et de se garder de tout accaparement en offrant des sacrifices au Temple (signes de l’oblation du peuple), (Cf. Séq.2-18 la Torah des prêtres).

    Le courant deutéronomiste (héritier du Deutéronome)

    Considérant que ceux qui reviennent d’Exil sont punis et donc coupables, ceux qui sont restés au pays n’acceptent pas les grandes découvertes théologiques faites à Babylone, le monothéisme en particulier (Cf. Séq. 2-19 Retour - 3eme Isaïe : l’éveil de l’apocalyptique). Ils reprennent ce qui s’est passé dans l’histoire d’Israël depuis les débuts, de Moïse à Joiakîn, cherchant la faute qui a valu le châtiment de l’Exil. (Cf. Séq. 2-13 Deutéronomiste)  Pour eux, au-delà de l’épreuve purificatrice, l’Alliance reste valide. Bien qu’elle ait, avec l’Exil, perdu de sa fiabilité, elle se propose toujours au peuple (Dt 30,1-4 ; 1 R 8,46-53).

    Le courant universaliste (Juifs en diaspora ou revenus d’Exil)

    Dans la ligne du 2ème Isaïe, ce courant profondément monothéiste intègre les païens appelés, comme eux, au salut. Dieu est maître de l’univers, il est créateur et il ne peut que désirer le salut de tous les hommes qui sont appelés à venir adorer le Seigneur sur la colline de Sion. Ce courant minoritaire reste souterrain.

    Le courant apocalyptique (Juifs en diaspora ou revenus d’Exil)

    Il fait partie intégrante du courant universaliste. Il s’en distingue cependant par sa vision pessi­miste du monde sous l’emprise du péché. Il attend de ce fait, une réouverture du ciel par laquelle la création pervertie sera renvoyée au chaos et restaurée sur de nouvelles bases. Elle pourra renaître toute nouvelle et le cœur de l’homme correspondra enfin à ce que le cœur de Dieu attendait de lui. Dieu seul pourra accomplir cela ; l’homme, étant, lui, dans les mains du Shatân.

    En conclusion, les écrits des prophètes seront repris, relus, interprétés de manières différentes selon les courants;

    Gam 2ème seuil / p 163.

    Parle

     

      Exégèse   

     

    « Quelques-uns. »

    Les Écrits : Cette époque voit fleurir une littérature abondante. Chacun des écrits des prophètes sera repris par des courants théologiques différents qui les interpréteront selon leur visée.

    Malachie (vers 460)

    Le prophète Malachie soutient l’œuvre du gouverneur Néhémie. Au chapitre 3, on y trouve des accents messianiques, l’évocation du "Jour de YHWH", et surtout le rôle du prophète Elie annon­ciateur de l’avènement des temps nouveaux.

    Cet écrit est une référence pour le Judaïsme et pour comprendre Jésus en son temps : « Voici que je vais vous envoyer Elie, le prophète, avant que n’arrive le Jour de Yahvé, grand et redoutable, il ramènera le cœur des pères vers leurs fils et le cœur des fils vers leurs pères » (Mal 3,23-24), derniers versets de l’Ancien Testament selon la Septante.

    Joël (vers400)

    Il propose un grand élan de conversion et de pénitence (Jl 1,13-14; 2,12-17). Dans la ligne populaire de Sophonie et du cœur nouveau annoncé par Jérémie et Ezéchiel, il annonce une effusion de l’Esprit sur tout le Peuple (3,1-5) qui permettra à celui-ci de rester dans la foi avant la venue du jour de Yahvé (4,14-21). Le Peuple, inspiré, peut trouver en lui-même l’unité de la foi.

    On trouve dans cet écrit des accents du judaïsme pharisien repris par les chrétiens (Ac 2,17-21).

    Ruth (vers 450-400 ?)

    Le livre de Ruth rapporte avec délice qu’une étrangère, une moabite, va, par sa fidélité, mériter de devenir la grand-mère de David. S’il y a sans doute une histoire du temps des Juges derrière ce récit romancé, il s’agit surtout d’une protestation contre l’interdiction des mariages mixtes. Que Yahvé rende la femme (Ruth) qui va entrer dans ta maison semblable à Rachel et à Léa qui, à elles deux, ont édifié la maison d’Israël (Rt 4,11 ).

    Job (datation incertaine)

    Bien qu’on place traditionnellement le Livre de Job parmi les écrits de sagesse, l’ouvrage résiste aux tentatives de classification. Il peut avoir ses racines en exil.

    Bien que l’ouvrage ne fasse pas d’allusion explicite à la Torah, certains passages montrent que l’auteur connaît le Pentateuque, Jérémie et les psaumes. C’est donc un écrit profondément biblique et non païen, même s’il part d’un conte populaire ancien. Le choix délibéré de se situer au temps reculé des patriarches, permet à l’auteur d’exprimer avec virulence la révolte face à l’Exil.

    Deux écrits sont à distinguer dans le livre :

    Un poème, exprimant le désarroi face aux théologies de l’Exil, pose la question radicale du pourquoi de l’Exil avec une logique et une force sans égal. Son seul recours reste de crier vers Dieu : seul le cri est à la fois digne de Dieu et de l’homme.
    L’écrit en prose en est une reprise deutéronomiste qui encadre et enrobe le poème dont la hardiesse effraie. Il encadre le cri de Job d’un prologue et d’une conclusion dans la ligne du juste récompensé.

    Littérature apocalyptique

    A l’époque perse, à côté des courants traditionalistes (sacerdotal, deutéronomiste, oeuvre d’Esdras et Néhémie), et des courants missionnaires (Jonas, Ruth) ou de Sagesse, il faut citer la littérature apocalyptique naissante. Ce courant souterrain va se développer dans le judaïsme.

    Malgré leurs apparences, ces écrits traitent bien de la situation présente ; au cœur d’événements graves, ils permettent aux seuls initiés de se comprendre entre eux. Langage extrêmement simple, empruntant à l’imagerie populaire, il reste difficile d’accès pour le lecteur du XXIe siècle. Dans cette littérature, le rêve du futur et le retour au passé aident à franchir l’épreuve.

    L’apocalypse d’Isaïe : les chapitres 24-27 "apocalypse d'Isaïe" et 34-35 "petite apocalypse d’Isaïe", insérés dans le 1er Isaïe, transposent les rêves déçus dans un autre monde. Ces chapitres sont à joindre au 3eme Isaïe.

    Pour les chrétiens, Jésus réalisera, incarnera cette attente, ce "rêve" apocalyptique.

    Gam 2ème seuil / p 161-162

     

       Théo/Philo   

     

    "Vivre la sainteté comme Dieu la vivait."

    Bien avant l'ère chrétienne, le temple apparaît comme une manifestation matérielle d'une réalité mystique, spiri­tuelle, idéale[1]. Ceci pourra à la fois donner des arguments au parti sadducéen accroché à la légitimité du sanctuaire et aux mouvements dénonciateurs de sa décadence. Et même quand le temple sera détruit soixante dix ans après Jésus-Christ, le judaïsme continuera à méditer à son sujet, à ses pratiques rituelles, comme s'il était encore là. Toute sa liturgie va être réinvestie - spirituellement - dans celle de la syna­gogue; et les premières Églises chrétiennes vont garder, elles aussi, le souvenir vivant de la grandeur du sacrifice, même si sa réalisation parfaite va être accueillie dans la mort de Jésus interprétée comme ultime sacrifice d'un vrai Isaac.

    Un lieu « symbolique »

    Le temple de Jérusalem rassemble donc une multitude de significations d'ordre historique et mystique. S'il est l'objet d'un débat à l'intérieur d'Israël, il demeurera un des piliers de la foi, alors même qu'il sera détruit.

    Sa liturgie est principalement sacrificielle. Elle est prémi- cielle: toute la vie pastorale, agricole, culturelle du peuple y est offerte en action de grâce. Elle conserve un caractère apotropaïque dans la mesure où elle évoque l'évitement de la mort du peuple en Exil (les holocaustes permanents) mais aussi le rejet du péché lors du Yom Kippour (le bouc émis­saire). Elle réalise la communion entre Dieu, les offrants et les prêtres.

    Elle ajoute une autre dimension originale: le sacrifice pour les péchés - ceux des fidèles, ceux du peuple, ceux des prêtres eux-mêmes. N'oublions pas que le péché et les péchés sont, en Israël, ruptures de relation avec le Dieu du Sinaï et sa Torah. La littérature prophétique a une vive conscience de cette distance installée entre Dieu et son peuple.

    Appelés à une totale confiance en celui qui nous crée et nous sauve, nous percevons que nous ne vivons jamais à cette profondeur-là, que nous reprenons sans cesse cette confiance pour la mettre en des choses plus tangibles et des valeurs plus rentables. Nous nous installons dans la vie et l'histoire comme si nous en étions les seuls propriétaires. Néanmoins appelés par la voix du Sinaï, nous prenons conscience que seul Dieu peut passer au-delà de cet abîme qui nous sépare de lui et pardonner le péché. Révélant la sainteté divine, la loi du temple souligne ce péché et appelle le pardon de Dieu. Le temple est en quelque sorte la mise en espace et action du psaume 50. Dieu nous y offre de quoi lui demander sa miséricorde; nous ne pouvons l'exiger, mais

    au moins la lui demander. Et, une fois par an, au jour d'Ex- piation (Yom Kippour), Dieu nous fait la grâce quasi « sacra­mentelle » de nous manifester sa pitié.

    Lieu de la louange et de la Parole, centre de pèlerinage, le temple entretient dans la mémoire des fidèles le sens de l'acclamation et le souvenir vivant de l'Alliance. Par la beauté de son rituel, la puissance de son clergé (héréditaire), l'agen­cement catéchétique des lectures proclamées, la splendeur de ses fêtes, la qualité des écoles qui foisonnent sous ses portiques, la présence du sanhédrin en son enceinte, le Lieu saint représente pour Israël un des piliers de sa foi et, même critiqué, une réalité incontournable.

    Jean-Marie Beaurent, RTP / 230-232

    [1]     Cf. la vision du temple parfait chez Ezéchiel 40-48.

    Contemple

     

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    sq-2-20-dia-pro : Croisée des chemins, © Mess'AJE
     

     

    Parfois un signe de l'histoire réassurait la foi. Babylone, en révolte contre la Perse venait d'être écrasée. Dieu s'avérait ainsi seul  maître de l'histoire.Il nous avait punis à cause du péché, maintenant Il frappait ceux qui avaient frappé. Quelques-uns se prenaient à penser Israël aux dimensions du monde. Si Dieu était seul Dieu à régenter les peuples depuis Jérusalem, Moab reconnaîtrait le trône du descendant de Ruth, Ninive accourrait aux appels de Jonas, chacun confesserait son péché et sa foi. En englobant Cyrus dans le plan de Yhwh, Isaïe avait ouvert aux païens, les portes de Jérusalem. De leur côté, les prêtres, triomphaient dans leur foi. Le Dieu de leurs ancêtres dominait Babylone, Marduk Tiamat et les Léviathans s'effondraient devant Lui. L'Alliance avec Dieu demeurait immuable au-delà des chaos dont l'histoire est remplie. Il fallait seulement vivre la sainteté comme Dieu la vivait, éviter les païens et se garder du mal.