Seuil 02-séquence-19 Troisième Isaïe -l'éveil de l'apocalyptique.
« Tout semblait vide ! ...
On se mettait à transposer en rêve... »
La douceur des images ne masque pas leur tristesse :
le retour sans gloire, sans victoire,
présage de nombreux problèmes.
Qui mène le jeu, Cyrus ou YHWH ?
Qu'en est-il du Roi, du Temple, de la Terre ?
Face à cela, le rêve naît d'une intervention céleste.
« On retournait chez soi sans gloire. »
Contexte : Situation politique
Cyrus a besoin d’une "tête de pont" pour ses expéditions en Egypte, et Israël est pour cela la terre rêvée. Dans sa logique, il va utiliser à son avantage les sentiments religieux des peuples.
La vague des rapatriés de 520 est conduite par Zorobabel et le grand prêtre Josué, avec les encouragements de certains prophètes. Le retour va s’étaler sur plusieurs années. Le projet des prêtres et des lévites est de reconstruire le Temple et de remettre en route le service liturgique.
Les rapatriés sont aidés par les dons de ceux qui restent à Babylone (Esd 1,4.6). Bon nombre de ces renseignements nous sont conservés par le travail de compilation du Chroniste dans les livres d’Esdras et de Néhémie
Juda appartient à la cinquième Satrapie (Transeuphratène) et dépend plus directement des autorités basées à Samarie. Les judéens restés au pays acceptent difficilement que les nouveaux venus, qui bénéficient de la bienveillance du pouvoir perse, prennent les places de commandement.
La langue devient l’araméen, la langue internationale de l’empire perse. Seuls les prêtres et les scribes connaissent l’hébreu.
Contexte : Situation religieuse
Au pays, la théologie deutéronomiste voit dans les exilés qui rentrent, des coupables punis par l’Exil. D’autre part, la présence des Samaritains et d’étrangers ayant cumulé le culte de YHWH avec leurs croyances, génère un syncrétisme ambiant.
Les arrivants sont monothéistes, cela leur donne une supériorité spirituelle sur ceux qui sont restés au pays.
L’unité et l’identité du peuple s’avèrent difficiles entre ceux du pays, ceux qui reviennent (représentant eux-mêmes plusieurs tendances) et ceux de la diaspora (Égypte et Babylonie notamment).
Le roi perse Darius 1er nomme Zorobabel, prince de Judée (520). Mais il sera vite mis un terme aux prétentions de ce dernier et ce sont de fait les prêtres qui auront le pouvoir (Za 4).
La reconstruction du Temple traîne (Esd 5,16), mais financée par Darius (6,8), l’édifice sera enfin terminé en 515 (6,15-18).
"Était-on délivré par le bras du YHWH ?»
Écrits et prophètes :
Les événements, l’histoire seront désormais relus dans la foi au Dieu unique.
C’est à cette époque que s’écrivent les livres d’Esdras et de Néhémie (Cf. séquence suivante) et que commence la relecture sacerdotale (Cf. séquence précédente).
Aggée
Il invite avec véhémence à la reconstruction du Temple (Ag 1).
Il met son espoir dans la royauté de Zorobabel, le descendant de David : « En ce jour-là (...) je te prendrai, Zorobabel... je t’établirai comme l’anneau à cacheter, car c’est toi que j’ai élu. » (Ag 2,23)
1er Zacharie(1-8) : Référen-ciel : Za 3
Le 1er Zacharie écrit vers 520 en période perse. C'est un auteur différent du 2ème Zacharie qui écrit vers 330 en période grecque.
Au centre, le chapitre 4 avec le message essentiel : un gouvernement bicéphale avec les deux "oints" que sont le prêtre Josué et le roi Zorobabel.
Gam 2d seuil / 153
"On transportait au ciel les espoirs de paix..."
Éveil de l'apocalyptique: La littérature apocalyptique est divisée en deux types : l’une s’intéresse au déploiement de l’histoire en différentes époques (eschatologie); l’autre est centrée sur les mystères du monde céleste (tables célestes, livre scellé et leur révélation). Le terme apocalyptique (souvent confondu avec "eschatologique" : fin des temps) veut dire dévoilement, révélation. Celle-ci peut-être envisagée à la fin des temps, dans le futur (3ème Isaïe), mais aussi dès maintenant (annonce de Jésus).
Ph. ABADIE, « Les racines de l’apocalyptique » in Le judaïsme à l’aube de l’ère chrétienne, Cerf Paris 2001.
Le 3ème Isaïe pousse à l'extrême la théologie de recréation d’un nouveau monde inaugurée par le 2nd Isaïe, dont il est l’héritier. Cependant, rien ne se réalise effectivement de ces espérances : le Temple a piètre allure, les théologies sont multiples et divergentes, les cultes païens voisinent avec le culte de YHWH (63,18-19a). D’où cette exclamation formidable, livrant la seule issue possible : « Ah ! Si tu déchirais les cieux et si tu descendais ! » (Is 63,19b).
Le péché a amené Dieu à se retirer et provoque le retard du salut (59,9-11 ; 59,2-8.12-15a) ; Dieu, lui, est fidèle (59,15b-20). Seul son retour, dans une apocalypse, une révélation du ciel, pourra réaliser le plan qu’il a sur le monde.
Accents théologiques de l'apocalyptique :
Pour le 3ème Isaïe, Dieu fait un monde totalement nouveau : Voici que je vais créer des cieux nouveaux et une terre nouvelle (65,17). Alors que pour le 2ème Isaïe, Dieu transfigure, c'est-à- dire transforme l’humble réalité et la renouvelle.
Dieu est le Seigneur et le Dieu de tous (56,7 ; 66,18), en même temps que le Saint d’Israël. Il est Père, fidèle à aimer (63,8.16 ; 64,7), montrant des délicatesses maternelles (66,12-13), puissant pour sauver, plein de compassion, prêt au pardon et fidèle à ses promesses.
Jérusalem sera la capitale religieuse du monde, elle sera lumière comme le Seigneur est lumière (60 : Debout, resplendis, car voici ta lumière...).
L’ouverture aux nations : Dieu jugera les Israélites et les étrangers qui sont invités à se prosterner devant le Seigneur (66). L’accueil de Dieu suppose conversion, joyeuse louange et crainte de Dieu, service du Seigneur à la fois dans le culte et dans l’amour et la justice. Les étrangers convertis seront admis dans le Temple (56,3-7) et peut-être même au sacerdoce (66,21).
Comme les prêtres, le prophète rêve d’un peuple uni et saint ; il sera composé des rapatriés, des Juifs restés au pays, de la diaspora, mais il y inclut les étrangers installés entre-temps en Juda.
Il dénonce le péché : sacrifices humains, prostitution sacrée, nécromancie, il souligne l’impuissance des faux dieux (57,3-20). Il clame que le profit, la querelle, l’exploitation du pauvre, sont incompatibles avec le culte authentique (58), affirmant ainsi les conséquences éthiques du monothéisme absolu : Partage ton pain... ta lumière éclatera comme l’aurore... (58,6-8). Le cœur de son message (61) : « L’Esprit du Seigneur est sur moi, carie Seigneur m’a oint, m’a envoyé pour porter la bonne nouvelle? aux pauvres... » C’est le prophète qui reçoit de Dieu un message de consolation pour reconstruire, guérir, appeler à la conversion. C’est aussi le couronnement du pauvre (61,3) et celui du prophète (61,10).
Le troisième Isaïe et Jésus (Cf. 3ème seuil)
Le 3ème Isaïe est aux fondements du christianisme :
- L’annonce de Jean le Baptiste est une théologie de fin des temps, proche de celle du 3ème Isaïe.
- Jésus annonce cette "apocalypse" arrivée. Durant son ministère, il se présente souvent en reprenant les termes du prophète: le baptême de Jésus réalise l'aspiration d'Isaïe (63, 19b); Jésus à la synagogue de Nazareth (Lc 4,16-21); les Béatitudes (Mt 5); réponse aux envoyés du Baptiste (Lc 7, 22)
Gam 2d seuil / 156
"En lisant Isaïe..."
Le troisième Isaïe : Le second Isaïe se distinguait dans le traitement des « mémoires de l'Exil » par plusieurs caractéristiques: [1] Le Dieu amour et créateur régnait sur toutes les nations et non plus sur le seul Israël (Is 40,15-17.28, etc.). [2] Il avait pardonné le péché qui avait eu l'Exil pour conséquence (Is 40,2). [3] La communauté isaïenne avait un rôle prophétique pour tout Israël et son futur roi (Is 42). [4] C'est dans la persécution que la communauté isaïenne avait fini par être reconnue (Is 53) du reste d'Israël. [5] Dieu Amour/créateur allait faire du neuf qui ferait oublier l'ancien (Is 43 ; 51,9).
Dieu Amour/créateur dirigeait Cyrus et avait les clefs de l'avenir (Is 45.46).
Tous les espoirs étaient donc permis. Et pourtant, que de déceptions ! Le Royaume de Juda était réduit à sa plus simple expression, sous la tutelle juridique de Samarie. Zorobabel avait été évincé. Isaïe n'apparaît nulle part dans l'édition de la Torah (Pentateuque). Il fallait donc attendre de l'Amour créateur qu'il « fasse du neuf ». Il devait réaliser un nouveau « dévoilement » de sa tendresse créatrice. Ce rêve était à contre-courant de la tendance officielle, pour laquelle l'Alliance restait inconditionnellement présente. Il fallait en crypter le langage aux autorités susceptibles de déclencher une persécution contre le « serviteur souffrant » ou tout autre Zorobabel. Il fallait aussi implorer cette intervention divine dans la prière et le jeûne. Lorsqu'elle se révélerait au prophète sur qui reposerait l'Esprit, alors la Torah et la Jérusalem cachées dans le ciel feraient irruption sur la terre et brilleraient de tous leurs feux. Et Jérusalem serait la lumière qui rassemblerait toutes les nations à la colline de Sion. Tels seraient les thèmes principaux de l'apocalyptique (du mot grec signifiant « dévoilement »). Ils déterminent la structure littéraire du troisième Isaïe.
Ce modèle, préconisé par une partie des rapatriés héritiers du troisième Isaïe, poursuivrait son chemin parallèlement à la voie officielle représentée par le Temple et la Torah (Pentateuque).
Il serait relié à l'ensemble d'Isaïe et ainsi antidaté - à l'instar de la plupart des apocalypses - il hériterait de son charisme prophétique.
(Jacques Bernard, LFB/276)
Référen-ciel : l'éveil de l'apocalypse
- Présentation vidéo de la structure littéraire du 3ème Isaïe
« ... rebâtir le Temple. »
Le seconde Temple : Le deuxième temple va garder une fonction fédérative. Et il va être de plus en plus considéré comme le lieu de la sainteté, et de Dieu et d'Israël. À vrai dire, aucune créature - et donc aucune construction humaine - ne peut prétendre être de soi divine. Dieu seul est Dieu. Dieu seul est saint - c'est-à-dire séparé, transcendant, sans commune mesure avec le monde, « hors course, hors catégorie ». La présence de Dieu nécessite donc que nous reconnaissions symboliquement cette distance spirituelle qui nous sépare de la présence divine. Nous ne pouvons avoir accès à Dieu de plain-pied, en nous appuyant sur une chose naturelle ou culturelle, sur une œuvre humaine - fût-elle sublime - pour exiger de Dieu qu'il nous reçoive chez lui. Le temple va installer des distances pour exprimer cet accès impossible. Nous connaissons évidemment la signification du Saint des saints (le Debîr) où nul ne peut entrer, hormis le prêtre de service le jour du Yom Kippour pour encenser l'Arche. Mais l'ensemble du domaine est pour ainsi dire soustrait à toute contamination profane, par des exigences de purification, de contrôle (les incirconcis ne sont pas admis), de douane (tout ce qui rappelle le monde profane est banni, en particulier la monnaie de l'occupant, utilisée dans la rue). Le temple est héritier de la sainteté du Sinaï. Et l'offrande de l'encens tente de reconstituer la colonne de fumée signalant la présence de la gloire divine sur la montagne et auprès de son peuple en fuite. Pour certains sages, la terre même d'Israël doit être considérée comme un temple... en tout cas le peuple lui-même, dès lors qu'il garde la Parole de Dieu dans son cœur, doit se considérer comme un espace soustrait à toute compromission avec le profane.
On comprend pourquoi la théologie sacerdotale va tellement insister sur l'interdiction des mariages mixtes - avec un partenaire païen. Ceci est rendu problématique dans la mesure où Israël a perdu son indépendance[1]: des lieux hautement symboliques comme le temple apparaîtront alors d'autant plus comme des espaces identitaires à préserver [2]. L'exigence de sainteté « Soyez saints comme je suis saint » a cependant quelque chose de paradoxal, dans la mesure où l'on a appris que Dieu seul est saint et que ses exigences soulignent toujours plus les péchés et la distance qui sépare de lui. La transcendance de Dieu est à la fois un retrait et un poids de présence qui révèle toujours davantage à Israël sa responsabilité religieuse et éthique devant l'humanité. Nous avons vu la signification de ce joug de l'élection. Nous avons aussi compris dès la première période combien la révélation de sa vocation était tout en même temps celle de son péché. Nous ne pouvons avoir conscience de notre péché que dans la mesure où nous avons fait l'expérience d'un appel... et dans le même temps cette expérience de l'appel éveille en nous la vive conscience de notre indignité, de notre lâcheté, de notre égoïsme. Ainsi, la révélation de la sainteté de Dieu nous dévoile tout ensemble la vive lumière de l'appel et l'ombre où nous nous tenons. La loi du temple rappelle à la fois la sainteté de Dieu, notre vocation à témoigner de cette sainteté en devenant saints à notre tour et notre impossibilité à correspondre à ce que Dieu attend de nous. Le temple est donc le lieu de notre sanctification par Dieu lui-même, qui peut seul purifier et remettre le péché
[1] Après l'Exil il ne la retrouvera que très rarement.
[2] Cf. la grave crise provoquée par Antiochus Épiphane.
Jean-Marie Beaurent, RTP / 229-230
Et puis Cyrus était venu, comme on s'y attendait, entrait à Babylone, conviait les prisonniers à retourner chez eux, à rebâtir leur Temple. Le salut était là. Mais était-on délivré par le bras de YHWH ou renvoyé chez soi pour fournir au vainqueur le pain de ses armées en route pour l'Égypte ? On avait beau se dire que Cyrus pour un temps, remplaçait la souche de David, qu'il fallait avec lui rebâtir le pays, le zèle n'y était pas. À trop s'illusionner, la foi se décourage. Et puis, on retournait chez soi sans gloire comme au sortir de prison, on retrouve les siens, devenus étrangers et hostiles. Ils avaient fait de nous les bannis de l'exil, ceux qui étaient pécheurs puisqu'ils étaient punis. Malgré tout deux sceptres s'imposèrent, celui du gouverneur et celui du grand prêtre. Les prophètes Aggée et Zacharie s'attachaient à fonder leur pouvoir et l'on se remettait lentement à rebâtir un temple, mais que tout semblait vide ! En lisant Isaïe, on se mettait à transposer en rêve ce qu'avec trop de force on avait espéré.On transportait au ciel les espoirs de paix, on confiait au futur les lendemains sans haine où les peuples ensemble célébreraient Sion et l'on se consolait d'un quotidien trop lourd et souvent trop injuste.