Seuil 02-séquence-18 la Torah des prêtres - l'histoire sacerdotale

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« Dieu restait le seul Dieu. »

 

Le culte, lieu de mémoire des événements de salut, fait de toute la vie une liturgie.

 

Médite, creuse, interroge
  Exégèse-problématiques 

 

« Loin du Temple de Jérusalem.. »

Contexte politique : Dans le contrat de rapatriement, les exilés rentrent au pays avec leur clergé. Les ustensiles du Temple sont restitués. Des cadres perses aident les autorités locales à faire régner l'ordre politique tout en assurant éventuellement les bases stratégiques et économiques d'une nouvelle conquête vers l'Égypte. Les prêtres soucieux d'assurer les appuis de leur pouvoir tout en sauvegardant la foi des Pères, vont se servir de cette opportunité et mettre la Torah ébauchée par Josias dans un ensemble qui corresponde aux souhaits des Perses. Dans une lecture politique, on voit là une des raisons de l'édition de la Torah et on comprend pourquoi les Perses s'appuieront sur le pouvoir sacerdotal pour assurer la tranquillité dans la province de Judée, zone frontalière avec l'Egypte.

 

 Le Temple avec ses prêtres pourrait reprendre place au coeur de l'univers. »

Les prêtres et le courant sacerdotal : Les prêtres avaient pris de l'importance avec la réforme cultuelle de Josias, mais l'oeuvre littéraire sacerdotale apparaît avec la fin de l'Exil, où des prêtres exilés vivent dans l'espoir de la restaura­tion du Temple. Au retour d'exil ils auront à coeur de refaire l'identité et l'unité du peuple. Ils organisent la religion à partir du Temple et de la Torah. Ils développent les rites d'identification (circoncision, shabbat hebdomadaire...) et la liturgie pour se démarquer des païens. Ils vont oeuvrer à la reconstruction du Temple (Cf. livres d'Esdras et Néhémie) et mettent en place une liturgie synagogale et les grands pèlerinages au Temple à Jérusalem.

 

« Les prêtres eux aussi, relevaient le défi. »

La littérature sacerdotale : Une oeuvre importante

La littérature sacerdotale encadre principalement les quatre premiers livres de l'Ancien Testament (Genèse, Exode, Lévitique, Nombres) et une bonne partie du Deutéronome. C'est une grande composition théologique qui utilise des traditions de récits anciens qu'elle organise avec des codes législatifs, en insistant sur la dimension communautaire et la foi spécifique d'Israël. Elle est progressivement mise en forme à l'époque des retours tandis que les auteurs deutéronomistes (partie du peuple restée en Judée) retravaillent surtout la rédaction du cinquième livre'.

Sous la domination perse, plusieurs courants pourtant différents élaborent un texte unique (la Torah) qui deviendra au 4ème siècle avant JC le texte traditionnel du Pentateuque ou "Loi de Moïse". De nombreux psaumes et des inserts dans les livres des prophètes viennent du Sacerdotal (ex. : Ps 8 ; 106 ; Am 4,13 ; 5,8-9 ; doxologies) ; l'histoire sacerdotale laissera son empreinte jusque dans les livres dits historiques comme celui de Josué.

Traits typiques de la littérature sacerdotale

Le Sacerdotal a souci de signifier l'importance de l'unité des douze tribus d'Israël en présentant des liens généalogiques entre les traditions d'époques et de lieux différents : la trilogie Abraham — Isaac — Jacob. Il donne beaucoup d'importance aux lois : Ex 20,1-17 (Décalogue). Juxtaposées à ces lois, des prescriptions rappellent le lien indissociable entre culte et attitude vis- à-vis du prochain : Ex 19,1-24,15a ; 22,20-26. Pour le sacerdotal, la Loi doit rappeler à l'homme son statut de créature, tout en lui donnant le moyen de se maintenir pur et saint. Ainsi, l'action créatrice de Dieu pourra-t-elle se prolonger à travers la Torah.

Gam 2d seuil / 143

  Théo/Philo-problématiques 

 

"Dieu restait le seul Dieu, C'est Lui qui, du chaos, pouvait créer le monde, un monde qui fût bon."

La création dans le débat postexilique : La crise de l'Exil a disséminé le peuple de Dieu parmi les nations. Certains vont y voir un retour au chaos, d'autres l'éprouvant passage vers une véritable recréation. Nous avons vu que cette formidable secousse a abouti à la découverte monothéiste, sous ses deux principales formes: sacerdotale et isaïenne.

Si Dieu seul est Dieu, alors, diront certains, les religions et sagesses des peuples ne peuvent prétendre détenir la vérité. Elles y font même obstacle : elles ne sont que constructions, que projections, qu'idolâtries. Et il faut s'en séparer avec vigueur. Cette tendance va se crisper sur la particularité d'Israël. Le peuple du Sinaï est le seul lieu d'oblation et de louange. Seul son culte, débarrassé de tout élément païen, peut prétendre célé­brer le Dieu unique. On comprend que Jérusalem et son temple soient, pour cette tendance, les lieux iden­titaires par excellence qu'il faut préserver de toute souillure.

D'autres affirmeront avec la même ferveur que si Dieu seul est Dieu, il a créé le monde et l'humanité entière en ordonnancement vers lui. Alors même les païens de bonne volonté peuvent participer au plan de salut de Dieu et les nations peuvent posséder au fond de leur mémoire religieuse ce sens de l'ouverture à la transcendance, qu'elles visent gauchement par leurs images et leurs sagesses. On pourra donc dialoguer avec les païens, en convertir, ou en tout cas traduire la Parole de Dieu, de l'hébreu vénérable au grec moderne.

Alors que, pour les premiers, la sagesse est une béquille qui ne les empêche pas d'aller au néant, pour les seconds, elle les amène au seuil de la vraie foi, car elle possède en elle comme des « germes » de la Torah avec laquelle Dieu créait le monde au temps d'Adam ou de Noé.

Comme on le voit, il n'y a pas d'unanimité sur le rôle de cette nature « commune » à laquelle juifs et païens appar­tiennent. L'impérialisme hautain de l'hellénisme, cherchant à soumettre le monde à la vision grecque du cosmos et des dieux, donnera des arguments aux partisans du ghetto, mais la diaspora où Juifs et Grecs apprennent à se connaître, à s'apprécier, à témoigner du meilleur de chacun, permettra aux universalistes de témoigner d'un temps où l'unique et même Dieu pourra rassembler tous les hommes dans la même adoration de son Nom.

Les apocalypticiens attendront du ciel que la création pervertie soit renvoyée au chaos et restaurée sur de nouvelles bases. En effet, si les apocalypses n'espèrent plus rien de la nature souillée ni du peuple de Dieu infidèle, elles attendent tout d'un Dieu qui re-suscite à partir de rien. La création peut renaître toute nouvelle comme au premier matin du monde et le cœur de l'homme correspondre enfin à ce que le coeur de Dieu attendait de lui.

Jean-Marie Beaurent, RTP / 240

« IIs continuaient de tout vouloir offrir. »

Les sacrifices : Présents dans la plupart des religions, les sacrifices ont pour rôle de rendre sacré une partie du don qui nous permet de vivre temps, espace, nourriture. Dans la foi biblique, ils vont perdre leur caractère convocatoire, pour dire la relation particulière d'Israël à son Dieu : relation de partena­riat, relation de la créature vis-à-vis du créateur.

Les prêtres vont développer les sacrifices au Temple, élément essentiel à la foi d'Israël.

  • Israël célèbre la reconnaissance de Dieu comme source de toute existence par un geste d'action de grâce (sacrifices des prémices).
  • Israël connaît l'existence de la violence au coeur de l'homme et sa difficulté à répondre à l'appel de Dieu. Pour rétablir l'harmonie rompue par le péché, Israël sacrifie de son bien comme une part de lui-même (sacrifices d'expiation).
  • Enfin, Israël exprime son désir d'être à Dieu et son attente d'un monde de paix (sacrifices de communion où on mange ensemble ce qui reste de la victime sacrifiée).

Ces trois formes de sacrifice seront conservées jusqu'à la chute du second Temple en 70 ap. JC.

L'exil charge toute la liturgie d'une nouvelle dimension théologique : c'est le peuple juif lui-même qui incarnera à la fois l'offrant et la victime, c'est en ce sens que sera relu Gn 22 : la ligature d'Isaac, figure d'Israël. D'où les témoignages volontaires de désappropriation que sont les "sacri­fices pour le péché" et les offrandes de sang. Cette démarche culmine le jour de Kippour (Lv 16).

Parle
  Exégèse-thèses 

 

Passer de YHWH Dieu des "Pères" de la tribu au YHWH qui garde le primat de l'Amour même quand les tentures de son culte sont brodées a fil de Baal n'avait pas été facile. Il avait fallu ensuite étendre la broderie au Dieu roi assyrien. Voilà qu'il fallait moirer l'ensemble de l'empreinte du nouveau monothéisme. Ceux qui ont écrit le premier chapitre de la Genèse en ont inauguré le défi. (Jacques Bernard, FB/269d)

Dans le contexte de l'exil, affrontée aux fastes de la religion babylonienne, la communauté sacerdotale veut montrer que Yahvé est plus grand que les dieux babyloniens. Prolongeant leurs traditions, ils en font une confession de foi marquée par la démythologisation : on y trouve les thèmes mésopotamiens de la séparation des eaux supérieures et des eaux inférieures, du surgis­sement des astres... Le tout encadré dans une semaine de sept jours. (Gam 2.144)

Référen-ciel

Le Dieu de l'Alliance, souverain créateur, ordonne et gouverne le monde. L'essentiel de la théologie sacerdotale est affiché dans ce récit qui ouvre la Bible. La souveraineté de YHWH sur le principe lumière perse (Mazda) et sur les astres est affirmée.
Dieu crée par sa parole toute puissante qui ordonne et sépare. De même qu'Israël est un peuple séparé des païens - saint- mis à part pour Dieu. Le principe lumière (Mazda), les astres et toute créature risquant d'être sacralisée ou divinisée (reptile, oiseaux...), tout est créé et donné par YHWH. La fécondité provient de la bénédiction de YHWH. Les hommes et les animaux sont végétariens : on ne met pas la main sur la vie (sang).  Adam apparaît, tel un prêtre, en fin de procession liturgique, comme "lieu tenant" de Dieu, comme l'achèvement de la création ; créé en Alliance avec Dieu, sa vocation est la sanctification du monde (le consacrer à YHWH ), ce qui est aux antipodes d'une main-mise sur la création. L'Alliance sera rompue par la corruption de l'humanité et redonnée par Dieu après le déluge (Gn 7-8-9), puis encore à Abraham (Gn 15) et enfin à Moïse (Ex 19-20). Ce poème renverse les dieux pour tout remettre dans l'ordre de l'Alliance : C'est YHWH qui sauve de tous les chaos, celui des origines, comme celui de l'exil. Salut et création sont indissociables. Cette œuvre est fondée sur la relation d'Alliance avec l'humanité.
Elle s'appuie sur la promesse selon laquelle Dieu préservera toujours son peuple qui, lui, doit observer la Torah donnée à Moïse et rendre un culte au Dieu unique.  Dans la foi chrétienne, être image de Dieu, c'est croire à l'Incarnation : Dieu se faisant homme, tout homme est revêtu d'une dignité incommensurable et l'homme en accueillant le Christ devient image de Dieu.  Pour les prêtre, comme le 2° Isaïe , c'est bien YHWH, le Dieu de l'Alliance -relationnel et personnel - qui est l'unique Dieu et non un principe abstrait. Avec le monothéisme d'Alliance, la foi biblique bascule dans une vision du monde toute autre. Il y a là, un seuil de foi. (Catherine Le Peltier, Référen-ciel)

  Théo/Philo-thèses 

 

« Le Temple avec ses prêtres pourrait reprendre place au cœur de l'univers. »

Tandis que les prêtres étaient attachés à garder la sainteté du peuple par une séparation d'avec les païens, les disciples d'Isaïe étendaient la puissance de YHWH à tout l'univers (Is 45), passé ou à venir (46,8-13; 48). Dieu était créateur de la lumière comme des ténèbres, du bien comme du mal (Is 45,7), du juif comme du païen (Is 45,925). Voilà qui ne devait pas faciliter la réintégration de ces rapatriés dans l'ensemble du paysage religieux !
Les prêtres attachés au Kippour, comme les Deutéronomistes détecteurs du péché, devaient reprocher aux isaïens cette originalité, d'autant plus qu'on n'aime jamais recevoir de leçons de gens qui sortent de prison ! Comme le serviteur souffrant, ils étaient « méprisés », « tenus pour rien », « rebut de l'humanité » (Is 53) même si, devant leur témoignage de souffrants, certains se reconnaissaient eux aussi pécheurs: « C'était nos péchés qu'il portait. » Quoique difficile à entendre, ce monothéisme spécifique d'allure universel, opposé à celui des prêtres et des hommes de loi, s'était imposé. Il allait permettre de relire à sa lumière les fondements du passé.

Jacques Bernard, FB/269

Israël au milieu des nations : Les généalogies : elles disent l'appartenance au peuple d'Israël, avec le souci de se séparer des païens. Pour le Sacerdotal, les nations rejoignent le plan de salut de Dieu par l'alliance de Noé, mais une alliance particulière est faite avec Israël, alliance dont le sabbat et la circoncision marquent la particularité.

Les alliances : L'Alliance symbolisée par l'arc en ciel, ne veut plus seulement dire la relation unique entre Dieu et le peuple choisi, mais la puissance créatrice du Dieu de l'univers. Contrairement à l'Alliance deutéronomiste, elle est établie pour toujours de manière indéfectible, quel que soit le péché d'Israël. Avec Noé (cf. Gn 9,3-7) ; avec Abraham (cf. Gn 17) ; avec Moïse (Ex 19-20... ; 34) ; avec le Sacerdoce : Cf. livre des Nombres, version de l'Exode dans laquelle la première place revient aux prêtres (Aaron, Pinhas).

La Parole efficace : Elle fonde les événements, fait ce qu'elle dit, en donnant par exemple postérité à Sara.

Une" royauté de prêtres" : Au retour d'exil, après le règne de Zorobabel, les prêtres vont cumuler les fonctions de gouverne­ment et du culte. C'est ce que veut dire l'expression "royauté (et non royaume) de prêtres". La note sur Ex 19,6 dans la TOB est explicite : on pense souvent que l'expression s'entend du peuple tout entier, chargé d'une fonction sacerdotale entre Dieu et le reste du monde. Mais il semble qu'elle signifie à l'origine : Vous ne serez pas une nation ordinaire, soumise à des rois, mais vous serez dirigés par des prêtres », situation qui fut réalisée au retour de l'exil. Cette expression ne dit pas que tous sont prêtres, mais indique le cumul des fonctions de gouver­nement et de culte.

Gam 2d seuil / 138-139

Contemple
sq-2-18-dia, © Mess'AJE

 

Les prêtres eux aussi relevaient le défi devant les fastes du culte de Mardouk. Loin du temple de Jérusalem, ils continuaient à tout vouloir offrir.En guise de sacrifice, on célébrerait les temps sacrés, les shabbats et la circoncision. Dieu restait le seul Dieu, C'est Lui qui, du chaos, pouvait créer le monde, un monde qui fût bon. Par là commençait l'histoire d'Israël. Les dieux de Babylone, le soleil et la lune et les léviathans n'étaient que créatures du Dieu dont la Parole peut susciter le monde. Dieu saurait nous sauver du chaos de l'exil comme Il avait sauvé Noé des grandes eaux et mis son arc-en-ciel en signe d'alliance. Après l'épreuve à Babylone, Il nous appellerait au pays de nos pères, comme Il avait, après Babel appelé Abraham. Pour nous, Il diviserait les eaux du grand abîme. Comme au jour de Moïse, Dieu était créateur. Il suffisait à Adam d'être image de Dieu au cortège du monde pour transformer la vie en sainte procession. Les peuples ainsi conviés au culte de Yhwh devraient se convertir ou ensemble périr tandis que les fidèles rempliraient par familles, l'immensité du monde remis enfin dans l'ordre. L'Exil après l'Exode, le Déluge et Babel verraient renaître un peuple. Le Temple avec ses prêtres, pourrait reprendre place au coeur de l'univers. Ainsi l'horizon de l'Exil s'éclairait-il un peu. La vision d'isaïe transfigurait l'opprobe et le zèle des prêtres sanctifiait l'infortune.

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