Seuil 02-séquence-16 2ème Isaïe, transfiguration du Serviteur
« À cause de ta tendresse et malgré ton silence,
tu voulais tout transfigurer.»
En début de séquence, des visages de souffrance, d'angoisse, d'horreur remplissent l'espace.
En fin de séquence, un espace de lumière s'est ouvert à côté du visage.
Yhwh créateur va recréer son peuple, tous les peuples et la Création entière.
"L'humble peuple exilé qui ne savait trop bien pourquoi il était là..."
L'épreuve de l'exil : Matériellement, les exilés ne devaient pas connaître de conditions trop pénibles. Mais au regard du prestige des dieux de Babylone et des prétentions religieuses de Cyrus, les échecs apparents de leur Dieu "sauveur" suffisaient à les humilier. le groupe des exilés était ridiculisé. on comprend que beaucoup se soient installés à Babylone et aient prospéré.
"L'Exil... s'illuminait ..."
La transfiguration chez IsaÏe : Si cette théologie de la transfiguration, comme recréation par l'amour de Yhwh, fut acceptée par une partie du peuple, c'est qu'elle pouvait s'appuyer sur un credo antérieur. Trois références illustrent la transfiguration :
- Is 41,13-15: Israël, vermisseau dérisoire, devient une herse toute neuve qui va déchiqueter les montagnes.
- Is 49,19-21 : Jérusalem, où règne la désolation, devient trop étroite pour contenir tous ses habitants.
- Is 54,1-3 : La stérile élargit l'espace de sa tente... sa race va déposséder les nations.
On y voit le paradoxe entre la réalité visible et ce qui est confessé de l'œuvre de Dieu. Ce contraste sous-tend la théologie du 2ème Isaïe.
La juxtaposition de l'ordre de l'amour et de l'ordre de la création donne le jour à un style particulier qui décrit la réalité avec des couleurs qui la transfigurent.
Cette transfiguration du réel porte déjà en germe la foi en la "résurrection". De fait, si l'amour de Dieu peut tout créer et recréer, il peut alors ressusciter le fidèle qui lui a donné tout son amour jusqu'à mourir martyr; c'est ce qui apparaîtra avec les "martyrs d'Israël" : 2 M 7.
"...un Serviteur totalement donné, innocent, abandonné ..."
Les quatre chants du serviteur : qui est le Serviteur souffrant ?
- Is 42, 1-9 : "Voici mon Serviteur que je soutiens..."
- Is 49, 1-7 : "... Yhwh m'a appelé dès le sein maternel..."
- Is 50, 4-11 :" Le Seigneur Yhwh m'a donné une langue de disciple..."
- Is 52, 13 - 53, 12 : " Voici que mon serviteur prospérera."
Serviteur...
En hébreu 'eved' peut vouloir dire celui qui souffre, celui qui rend un culte, celui qui travaille auprès de quelqu'un.
- Serait-ce Cyrus que la foi du 2ème Isaïe transforme en "Messie de Yhwh" et qui aide les exilés à rebâtir le pays ? Cf. 1er chant : 42,1-7
- Est-ce le petit groupe des fidèles en exil autour du 2ème Isaïe ? Cf. 2èmechant : 49,1-6
- Est-ce le petit groupe des disciples d'Isaïe rapatriés et moqués dans un premier temps ? Cf. 3ème chant : 50,4-9
- Ceux qui, restés au pays et qui, d'abord critiques, ont rejoint le petit reste des disciples d'Isaïe, et sont devenus marginaux à leur tour par rapport à la grande restauration entreprise par les prêtres sur un tout autre registre que le leur ? Cf. 4ème chant : 52,13 - 53,12
Gam 2d seuil / 127
"Tu voulais tout transfigurer ..."
Transfiguration : Épreuve de foi
Toute expérience de transfiguration est liée à l'épreuve, la souffrance, la limite. Devant les fastes religieux babyloniens et au monothéisme pacifique et bienfaisant de Cyrus, les exilés d'Israël sont déstabilisés dans leur foi. Fascinés, beaucoup se sont assimilés, d'autres cherchent. Comment croire encore à Yhwh ? S'il est notre Dieu, est-ce lui qui permet cela ? Et qui est-il ? Telle est l'épreuve du petit reste, fort bien évoquée par Éloi Leclerc dans "Le peuple de Dieu dans la nuit".
Relecture de l'histoire
La relecture de l'événement de l'Exil, relu à la lumière d'un Amour qui transfigure tous les termes de l'Alliance : péché, souffrance, responsabilité, relation aux nations... permet de traverser l'épreuve.
L'expérience d'un amour créateur et recréateur peut seul donner un tout autre regard aux exilés et retourner en grâce la situation apparemment sans issue, absurde, méprisable. Tout est envisagé et reçu de manière autre : l'épreuve, le péché, la relation à Dieu, le Mémorial, le monde, l'histoire, le salut (recréation, rédemption). Seul l'amour de Dieu, un amour infini dont on n'a pas la mesure, est la clé, le moteur de ce retournement.
L'amour de Yhwh transfigure, sauve, crée et recrée
Avec le 2° Isaïe, la présence mémoriale de Yhwh transcende le temps, l'espace et toute réalité. En effet, son amour peut recréer ce qui se déroule dans le temps, puisque le Dieu d'amour est aussi le Dieu créateur.
De ce fait, l'événement du salut n'est pas réductible à ce qu'on en avait perçu dans l'histoire ; avec Isaïe, il dépasse tout ce que l'on voit et ce que l'on a déjà vu. Et il trouve sa source dans l'amour gratuit de Dieu, dont se fait écho le prophète. Dans cet amour, tout connaît une métamorphose incessante.
Liens avec la foi chrétienne
Le texte de Jean-Paul II : « Le sens chrétien de la souffrance humaine. » Lettre apostolique, 11 février 1984, n° 26 peut ouvrir quelques perspectives.
L'analogie entre ordre de la création et ordre de la rédemption permettra à Israël d'intégrer de plus en plus dans sa vision biblique la sagesse humaine et la philosophie : pas d'opposition entre la foi en Dieu et les lois sociales issues de la foi, osmose de la culture juive avec celle des autres peuples. [Cf. Une lecture religieuse du conflit israélo-palestinien]
Dans cette perspective, le serviteur souffrant n'est pas puni mais rédempteur. À cette lumière, on peut comprendre où s'enracinent les sacrements, et le salut dont Paul dit que nous sommes les bénéficiaires en Jésus-Christ. L'union du Fils au Père par l'Esprit n'est envisageable que dans une transfiguration permanente de l'humanité du Fils. Il en découle encore que la foi au Christ Rédempteur de l'homme ne viole pas les lois de la création, mais les transfigure et les achève.
Il s'agit sans doute...
- du groupe isaïen rescapé et reconnu plus tard comme celui qu'on "croyait puni, c'était nos péchés qu'il portait." (53,3-4) Ce "petit reste" d'Israël accepte d'être humilié, de souffrir, alors qu'il est innocent, comprenant, à la suite d'osée, qu'il peut s'agir là d'une pédagogie d'amour ou, mieux encore, d'un amour si puissamment créateur qu'il transfigure toute chose et ne permet plus de juger ni du péché ni du pardon.
- Pour ceux qui étaient restés au pays, les exilés étaient considérés comme punis par Dieu, que ce soit pour leurs propres fautes (Ézéchiel et Jérémie) ou que ce soit pour celles de leurs pères pouvant remonter à quatre générations (Deutéronomiste).
- Mais ceux qui reviennent sont porteurs d'un monothéisme, d'une théologie où l'amour divin transfigure tout acte, mauvais ou bon. Dès lors on ne sait plus qui est pécheur ! Et c'est peut-être leur souffrance qui les a ouverts à cette logique de l'extrême, et leur a fait prendre le contre-pied de l'évidence. L'introduction d'une telle nouveauté dans un pays où l'on raisonne encore sur le mode deutéronomiste provoque des bouleversements.
Il n'est pas impossible que les quatre poèmes du Serviteur, manifestement insérés après coup dans une trama littéraire antérieure, aient déjà pris, lors de cette insertion, un sens différent de celui qu'ils avaient à l'origine et que nous avons tenté de préciser.
Le "Serviteur" "petit reste" est un guide pour les nations : 40,5; 42,1-4; 45,14.22; 54,3; 55,5. Il clame à la face des peuples que l'on peut garder confiance en Yhwh, le seul Dieu; que c'est lui qui conduit Israël, en même temps qu'il dirige l'histoire, comme un Dieu qui aime. La maîtrise de Yhwh s'exerce sur le monde entier. Yhwh veut faire d'Israël son témoin en vue de ramener le monde à son créateur.
Gam 2ème seuil / 127-128
Référen-Ciel : le chant du Serviteur souffrant Is 52,13 - 53,12
Le serviteur souffrant a d'abord été le petit reste exilé.
Puis, ce texte a visé la petite poignée d'exilés, disciples d'Isaïe, revenus au pays, mais tenus à l'écart et humiliés.
Au temps des persécutions grecques, les martyrs se sont reconnus dans le serviteur souffrant, portant le péché du peuple, et dont les souffrances sont mystérieusement rédemptrices.
Très vite les disciples de Jésus ont reconnu les traits de leur maître dans ce serviteur. Et si Jésus a été crucifié la veille d'un grand shabbat, comme le dit saint Jean, alors, il est vraiment la brebis, l'agneau immolé qui n'ouvre pas la bouche alors même qu'il est emmené à l'abattoir.
Une profonde théologie de la transfiguration et de la rédemption émane de ce texte dont le message garde une actualité bouleversante.
"Sa mort deviendrait salut des fils retrouvés."
Souffrance rédemptrice : Dans la transfiguration qu'opère l'amour, la souffrance offerte peut être "expiatrice'" et "rédemptrice", c'est-à-dire contribuer à la plénitude de la relation à Dieu, quel qu'ait pu être le péché. L'apport du 2° Isaïe s'appuie sur le credo d'Israël.
Jusqu'à présent, pour Israël, pour rétablir la relation blessée par le péché, le pécheur s'offrait lui- même à Dieu, par l'intermédiaire du sacrifice rituel. Ne pouvant s'offrir lui-même, il offre quelque chose qui le représente ou lui est particulièrement cher. Tels seront les sacrifices lévitiques.
Il y a dans la souffrance offerte quelque chose du même ordre.
Ce n'est pas la souffrance en elle-même qui aurait valeur expiatrice ou rédemptrice. Mais dans la mesure où, par amour, celui qui souffre ne cherche pas à se justifier et accepte que cette souffrance puisse être liée de quelque manière au péché, la souffrance acceptée et offerte peut rétablir la plénitude de la relation d'amour. C'est ainsi que dans l Psaume 51,19, le « coeur brisé » remplace l'offrande des sacrifices.
Ou encore, dans la mesure où, sans qu'il y ait péché, quelque chose qui coûte est offert par amour pour un frère qui a péché, cette offrande, si l'amour de Dieu accepte de la faire rejaillir sur tous, peut contribuer à restaurer la relation brisée par le péché. La souffrance offerte de celui qui prend sur lui le péché du frère peut, dans la transfiguration que Dieu opère en l'accueillant, conduire à la restauration de l'Alliance pour l'ensemble de la famille.
Solidaire du passé, le serviteur est celui qui, par son accueil, retire l'obstacle posé par le péché entre Yhwh et son peuple (expiation). Par son sacrifice, son acte d'oblation, l'obstacle est levé. La réconciliation que Dieu donne rejaillit sur tous. Tel est le poids que dans son amour Dieu accorde à nos actes.
Dans cette confession de foi, la souffrance est transfigurée, elle est habitée par l'amour, elle a une fécondité. On voit là les germes de ce que l'on découvrira trois siècles plus tard : la souffrance du martyr est expiatrice au sens ou l'expiation, en hébreu, est la levée de l'obstacle. Elle est rédemptrice, au sens où elle offre à Dieu d'être « goël » (proche-parent) pour sauver son peuple (Cf. la résurrection des martyrs d'Israël).
Gam 2d seuil / 131
Et voilà que l'exil, comme tout le passé, s'illuminait d'une infinie et mystérieuse tendresse. Comment pourrait-on croire que Dieu ait pu mentir, Lui qui avait aimé son peuple au premier jour du monde ? On aimait à penser que Tu restais le même et que Tu te taisais comme on aime à se taire quand les mots nous trahissent et ne parviennent plus à signifier l'offrande. Alors peut-être bien qu'au secret de ton cœur, à cause de ta tendresse et malgré ton silence, Tu voulais tout transfigurer, l'offrande ou le péché, le baiser ou l'offense, un peu comme une mère au jour de sa fête, accueille le babil des lèvres de l'enfant, comme le plus beau poème qu'on lui ait jamais fait. L'humble peuple exilé qui ne savait trop bien pourquoi il était là, devenait un témoin, pour montrer aux nations qu'on peut garder la foi même quand Dieu se tait, même quand on ne sait plus le poids de son péché, parce qu'on n'a pas non plus la mesure de l'amour qui vient tout recréer. Et l'on se mit à espérer qu'un jour viendrait où le témoignage d'Israël serait offrande du Serviteur, un Serviteur totalement donné, innocent, abandonné, tout comme la brebis qui se laisse égorger. Dépouillé, sans rien à lui, il offrirait à Dieu la conscience parfaite, porterait nos péchés dans son acte d'amour, et Dieu l'accueillerait avec tant de tendresse, que sa mort deviendrait salut des fils retrouvés. Alors, tout reviendrait, et même que ce serait bien plus beau qu'avant, quand ton amour aurait conquis l'ensemble de tes fils.