Seuil 02-séquence-15 Second Isaïe, monothéisme
« YHWH seul était Dieu. »
C'est le Saint d'Israël qui sauve son Peuple à travers l'action de Cyrus.
Recréé au plus profond de sa Mémoire, Israël découvre que YHWH,
créateur de tout, est le seul Maître du monde.
Il est l'Unique.
"Le Dieu qu'avaient servi nos pères se trouvait le seul Dieu."
On a longtemps pensé que, dès les origines, la Bible était monothéiste. Il est clair cependant que si elle n'avait dans son culte qu'une seul Dieu pour ses fidèles, elle ne niait pas l'existence d'autres dieux pour les autres peuples comme dans toute monolâtrie : Dt 4, 7.19
Rappel 1er et 2d seuils
- Le Dieu familier des bergers, devenu Yhwh des armées au fil de l'assimilation-rejet, avait pris les attributs de Baal, donnant pluie et sécheresse.
- Avec l'arrivée des Assyriens, on avait reconnu en Yhwh le Roi d'Israël. La réforme de Josias avait permis de passer à la monolâtrie : on n'adorerait plus que Yhwh seul et on avait désormais la perception que sa présence et son action surplombaient le temps : Mémorial.
- Avec Ézéchiel allait s'ajouter la dimension cosmique de Yhwh et la puissance de sa Parole : Il dit et cela est.
- Ce long cheminement allait aboutir, avec la rencontre du monothéisme spirituel et tout-puissant de Cyrus, à la confession de Yhwh comme unique Dieu du ciel et de la terre.
Premières affirmations du monothéisme absolu : Is 40-55
- Les idoles ne sont rien : Is 40, 25; 41, 21-24; 42, 8.17; 43, 10; 44, 6-8; 45, 14-15.20-23; 46, 1-2.6-7; 48, 5.12
- Le vrai Dieu est le Dieu de l'Alliance et il l'est depuis le début.
- Tout ce qui arrive a été préparé, et par un long chemin : Is 44, 6
Un monothéisme d'Alliance
- Dieu a un plan : il se sert de Cyrus comme d'un serviteur, un Messie pour sauver son peuple et le ramener sur sa terre.
- La stratégie de Cyrus est retournée : Is 41, 2-4; 44, 28; 45, 13; 46, 11
- En tout cela, le Dieu d'Israël est le maître de l'histoire. Les nations ne sont rien devant lui : Is 40, 15-17. En lui, elles auront même le salut : 45, 22, car il est le seul Dieu.
- Mais cette rencontre a aussi des effets pervers contre lesquels il faudra lutter : le courant d'Isaïe sera exclu du Pentateuque.
"Il fallut que la foi fît un bond prodigieux ..."
Un Amour créateur
Comment la foi au Dieu de l'Exode pouvait-elle rivaliser avec le mazdéisme de Cyrus ? C'est que, depuis l'origine, Yhwh est un Dieu de l'Alliance amoureuse. S'il était le seul Dieu du ciel et de la terre, il était aussi Créateur du monde (Is 44, 24). Il pouvait tout créer et recréer dans son amour. On pouvait même conclure que le monde n'existait que parce qu'il était aimé : Is 40, 12.22.26.28; 42, 7.12.18; 48, 13; 51,13.16.
Cette théologie prolongeait celle du 1er Isaïe mais en lui faisant franchir un seuil. Si la puissance du Dieu des Armées était déjà à l'oeuvre dans l'Exode (44, 27; 50, 2), de nombreux passages montrent la puissance créatrice de Dieu opérant dans le nouveau salut qu'il va donner (42, 9 ; 43, 18-21; 48, 6-10; 51, 10-11; 54, 1-3).
Création et Rédemption
Les alternances permanentes entre Amour et Création, entre Création et Salut : 40, 12-17; 40, 22-26; 41,4; 43, 14-15 disent la toute-puissance d'un Dieu pourtant proche.
La découverte du monothéisme tel qu'on le trouve en Isaïe ouvre la voie à la grande mystique du rapport entre création et rédemption. De fait, si le Dieu du salut est le seul Dieu existant, c'est à Lui qu'il faut attribuer tout ce qui se passe dans le monde : comportement des nations, des astres... tout comme le salut d'Israël : 45, 5-8; 45, 12-13; 48, 13-14.
La foi de l'Exode était essentiellement conditionnée et mesurée par les événements historiques. Le second Isaïe annonce un nouvel Exode qui est de l'ordre de la rédemption et qui s'inscrit dans l'histoire comme Mémorial. Dieu y exerce en même temps que son amour, toute sa puissance de créateur du ciel et de la terre : 41, 17-20; 43, 1-7; 44, 24-28, 48, 20-21.
Désormais, le lien est établi entre histoire du salut et création, ce lien est de l'ordre de la transfiguration. C'est seulement dans la foi en l'Amour qui recrée que peut se faire l'unité : 40, 28-31; 51, 12-13.14-16.
Gam 2d seuil / 121
"Ce qu'ils ont dû souffrir pour en arriver là ..."
Contexte religieux : La question la plus importante n'est pas de savoir le nombre de dieux, un ou deux ou plusieurs, mais plutôt leur typologie[1], et le rapport qui s'instaure entre le fidèle et la divinité. Le polythéisme, avec sa structure en panthéon, se forme parallèlement à la "révolution urbaine", c'est-à-dire à la naissance de sociétés complexes où les compétences techniques se diversifient, la stratification socio-économique s'accentue, un groupe dirigeant se forme. Le panthéon est l'hypostase[2] et la légitimation de ces sociétés complexes et de ce groupe dirigeant. Chaque dieu se trouve préposé à un secteur spécifique, et le panthéon tout entier se maintient grâce aux offrandes de la communauté, exactement comme celle-ci entretient les spécialistes et le groupe dirigeant de la cité. Or l'apparition du monothéisme n'unifie pas les différentes personnalités du dieu, elle les annule. Elle renonce à leurs traits distinctifs pour miser sur une caractérisation globale du divin qui ne peut être que de caractère éthique. Nous nous trouvons devant un tournant radical.
Au lieu de servir d'hypostase et de justification aux déséquilibres sociaux, à l'inégalité des ressources, la religion devient ainsi expression de valeurs morales partagées, point de référence pour la distinction du bien et du mal, du juste et de l'injuste, du vrai et du faux. Jusque-là, la religion avait été gérée par les détenteurs du pouvoir politique, qui se proposaient comme médiateurs, les seuls légitimes, entre la société des hommes et la sphère divine. Maintenant, on peut se passer de cette médiation politique et rituelle, on cherche des voies de communication directe entre l'individu et le divin. La preuve que la fonction du sacré a changé : dans les religions monothéistes, l'ancienne diversification des compétences, des secours spécialisés, se reproduit en quelque sorte avec la prolifération de "démons" ou de "saints", comme dans le christianisme; inversement, les sociétés qui ont placé les valeurs éthiques dans des codes civils ou royaux, ou dans le savoir philosophique, comme le monde gréco-romain, vont pouvoir garder parallèlement et pendant des siècles, leur religion traditionnelle, leur panthéon, pour les emplois "rituels".
La religion d'Israël contenait déjà en elle-même des éléments éthiques non rituels, comme par exemple l'aniconisme[3] ou l'interdiction de substances enivrantes dans le culte, ou l'interdiction du culte des morts ou l'interdiction de consultations divinatoires, sauf en s'adressant à YHWH. Par la suite, le fait d'avoir instauré un lien direct entre la Loi et Dieu, sans passer par l'intermédiaire d'un roi, imprima une impulsion plus forte vers ce nouveau sens du sacré, vers sa nouvelle fonction: et ceci se produisit à la suite de la stratégie essentiellement politique qui avait consisté à remplacer le "pacte avec l'empereur" par le "pacte avec Dieu".
Une religion éthique tend tout naturellement à devenir une religion universelle, parce que les valeurs éthiques fondamentales sont, ou peuvent être, universellement partagées. le Dieu qui préside non seulement aux destinées du peuple qui le vénère, mais aux destinées de tous les peuples et aux comportements de tous les sujets sociopolitiques, empereurs inclus, doit devenir le Dieu de tous (Cf. Is 43, 10-12)
C'est ainsi que le Deutéro-Isaïe puis le Trito-Isaïe, ouvrent les perspectives du monothéisme universel, avec l'instrument appelé à le réaliser, le prosélytisme. Mais le prosélytisme comporte une grave crise existentielle ou identitaire pour le "peuple élu", une crise dont l'issue reste ouverte: il peut donner lieu à des phénomènes de rejet, à un fanatisme borné, ou à des formalismes exaspérés ; et, de fait, il connut, historiquement, des solutions différentes selon les différents monothéismes.
Mario Liverani, LBH / 280
"Isaïe ..."
L'auteur : le deuxième Isaïe ou Deutéro-Isaïe
Très peu d'informations sur cet auteur anonyme et les événements de son ministère; à la différence de Jérémie ou d'Ézéchiel, il n'a pas de récit de vocation propre. Le Deutéro-Isaïe écrit surtout vers les dernières années de l'Exil, à partir de -550. Il a déjà entendu parler de la montée de la puissance perse, et des nouvelles stratégies de conquête de son chef, Cyrus.
Une oeuvre originale : Is 40-55
Appelé le livre de la consolation d'Israël, il est une oeuvre à part, datée entre -550 et -538: la prédication prophétique s'insère comme toujours dans les préoccupations de l'époque. Le monothéisme d'Alliance y est, pour la première fois dans la Bible, nettement exprimé, avec une théologie du salut originale; on envisage pour la première fois la conversion des nations étrangères.
Un style propre
- Langue redondante et solennelle, parfois toute proche du discours sapientiel et de la composition hymnique.
- nombreux termes affectifs disent l'Amour du Dieu en des accents jamais atteints : Alliance, Annoncer du nouveau, Bonne Nouvelle, Consoler, Créer, Époux, Père, Mère, Nouvel Exode, Salut, Justice, Parole, Réconforter, Rédempteur, Saint d'Israël, Serviteur.
- L'ensemble de ces mots, pour un bon nombre spécifiques du 2ème Isaïe, donne la tonalité de sa prédication.
- Le mot rédempteur, en hébreu "goël", est également un terme de parenté: membre le plus proche de la famille, qui doit venger, épouser, défendre le parent en difficulté, payer ses dettes... (Cf. TOB, sur Is 41, 14)[4]
Caractéristiques communes aux auteurs du livre d'Isaïe
- La dénomination Saint d'Israël qui n'est pas ailleurs dans la Bible.
- Théologie royale.
- Attachement à Jérusalem
- Dieu a un plan sur l'histoire.
Gam 2ème seuil / 119-120
"Yhwh ton rédempteur..."
Conséquences éthiques du monothéisme d'Alliance : Si Dieu est l'unique, créateur de tout, cela implique la responsabilité éthique :
- Comment vais-je regarder le païen qui ne croit pas comme moi, qui est peut-être mon ennemi, si lui aussi est créé par Dieu et si Dieu a tout créé par amour ? Il y a donc quelque chose d'une fraternité entre l'autre et moi.
- Cela implique la reconnaissance qu'un mystère dépasse l'homme : pourquoi tous les hommes ne reconnaissent-ils pas Dieu ?
- Si Dieu a tout créé par amour, d'où viennent le mal, le péché, la mort ? Dieu est au-dessus du Shatan[5] , de toutes forces du mal puisqu'il est créateur de tout.
- Pour l'homme :
- sa liberté est réelle, mais elle n'est pas totale, elle est créée, donc limitée, et elle est aussi soumise en partie aux influences extérieures et spirituelles.
- Dans toute vie humaine il y a un combat d'ordre spirituel : consciemment ou non, l'homme est pris dans ce combat où s'exerce sa liberté.
Si Dieu aime son peuple d'un tel amour et se révèle créateur et sauveur de tous, la vocation du peuple prend une dimension missionnaire : Is 49, 6.
Gam 2d seuil / 121
Il fallut que la foi fît un bond prodigieux pour surmonter l'épreuve. Isaïe prit Cyrus à ses propres paroles : il était pour de bon l'envoyé de Yhwh. Le Dieu qu'avaient servi nos pères se trouvait le seul Dieu au-delà de ce Dieu du ciel auquel Cyrus obéissait. Ce qu'ils ont dû souffrir pour en arriver là, à ce que tout un peuple acceptât l'envers de l'évidence. Mais comment pouvaient-ils retourner aux idoles eux qui avaient connu les tendresses d'un Dieu et la réponse libre de l'épouse à l'époux. La recherche de Dieu, au temps de Josias, l'héritage passé, creusé par la souffrance, leur donnait une foi à vaincre les montagnes. Dieu envoyait Cyrus, comme lui, on rirait des dieux de pacotille, Yhwh seul était Dieu, créateur, origine des mondes, pourquoi resterions-nous rivés sur nos péchés, quand Dieu, derrière Cyrus, venait des bouts du monde, annoncer le pardon, ramener les captifs en leur terre natale, et pour eux, aplanir montagnes et vallées ! Ainsi parle Yhwh ton rédempteur, ton plus proche parent: c'est moi qui ai tout fait, qui seul ai déployé les cieux, c'est moi qui dis à l'océan: "sois sec", qui dis de Cyrus : "mon berger, il accomplira mes volontés". Déjà, un simple amour peut tout transfigurer d'une pauvre vie d'homme, quel serait le salut réservé à Juda dès lors qu'un Dieu l'aimait d'un Amour créateur ?
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- ^ Typologie : c'est-à-dire ici, la conception qu'on en a.
- ^ hypostase : concrétisation, représentation
- ^ aniconisme : interdiction des images
- ^ goël : Ces diverses interventions sont attribuées à Dieu: il "venge" sa nation (Is 49,26), il lui suscite une descendance (Is 54,1-8); il la libère moyennant rançon ( Is 43, 3-4; 45, 14). Pareilles métaphores suggèrent que Dieu se considère comme notre parent; elles rappellent la première "rédemption", celle d'Égypte (Is 51, 10)
- ^ Shatan : nom commun qui désigne l'accusateur à la cour divine (TOB / Jb 1,6), l'espion, ou l'adversaire (BJ / Jb 1,6)