Seuil 02-séquence-13 L'histoire deutéronomiste

version PDF

 

« Relire l'histoire...
pour détecter la faute comme clé du malheur. »

 

Au contraire du Deutéronome, le Mémorial deutéronomiste n'éclaire plus rien.
La Torah s'obscurcit, l'Exil est un "contre-Exode", un Exode à l'envers, un "contre-Sichem". L'histoire du salut est remise en cause..​

 

Médite, creuse, interroge
  Exégèse-problématiques 

 

"Un groupe de fidèles allait se donner pour tâche de relire l'histoire..."

Contexte : situation de ceux qui restent au pays : La catastrophe est totale. Tout comme ceux qui partent en esclavage à Babylone, ceux qui restent au pays sont complètement démunis, dépossédés de leurs biens, de leurs droits, de leur identité. Esclaves sur leur propre terre, ils n'ont que des ruines pour horizon. Il n'y a plus de Temple, plus de "ville sainte", plus de "terre promise", le roi n'est plus celui qu'on avait imploré Dieu de bénir pour son peuple, tous les repères ont disparu pour eux autant que pour les exilés.

Si la relecture deutéronomiste est incontestable et facilement repérable par ses caractéristiques littéraires en termes de mea culpa, il est beaucoup plus difficile de dire qui a fait cette relecture, où et quand. Deux courants sont cependant identifiés. Tous deux relisent l'histoire en restant attachés à Josias et au Deutéronome, ils le font pourtant avec des options opposées, on les appelle "deutéronomistes".

1. Ceux de la famille Shafan (Dtr/Jr - les Chafanides) commencent à relire l'histoire juste après la défaite de Josias en -609. Ils sont dans la même ligne que Jérémie : collaborationnistes "qu'on se livre à Babylone !". Perçus comme collaborateurs, ils ne seront pas déportés. Déjugés par le retour d'exil, ils disparaîtront et leur oeuvre reste en l'état. Pour eux, l'histoire, inconditionnellement ouverte, dépasse toute compréhension.

2. Un courant nationaliste (Dtr/hd -Hilkiyah) s'oppose à eux dès avant l'exil. Nationalistes, ils sont déportés à Babylone où ils reprennent les écrits du Deutéronome, du Dtr/Jr et de Jérémie pour tenter d'éliminer la position collaborationniste. Au retour d'exil, conforté par les événements: la grâce de Joïakin en -561 et plus tard, le retour au pays, ce courant relira peu à peu ses propres écrits, ils ramèneront comme roi Zorobabel, descendant de Josias (lignée royale) et comme grand prêtre Josué, petit fils d'Hilkiyah. Plus tard, avec la théocratie, ce courant sera relativisé par le Sacerdotal.

On perçoit comment les relectures de l'histoire sont dépendantes des événements qui orientent l'interprétation: l'exil valorise Jérémie, la fin de l'exil valorise le courant opposé. Le "groupe de fidèles" (dia 99) renvoie à la fois aux Shafanides et à leurs opposants (Hilkiyah). Leurs positions différentes sont évoquées à travers la dernière partie de la séquence : dias 102 à 104.

Gam 2ème seuil p 103

  Théo/Philo-problématiques 

 

"Dans la mémoire de Dieu qui surplombe le temps."

Mémorial et péché : Avec la découverte fondamentale du Mémorial, la théologie deutéronomiste nationaliste, directement héritière du Deutéronome, verra cette dimension mémorial dans le péché. Tout acte prend un poids et une dimension d'éternité dans la relation, l'Alliance avec Dieu. La faute de l'un se reporte sur les autres et sur les générations à venir, l'infidélité d'un roi porte atteinte à ceux qui vont lui succéder. Si le réflexe deutéronomiste a quelque chose d'enfermant dans son attitude moralisante et culpabilisante, il faut remarquer l'intuition théologique très forte qui y est présente : de manière mystérieuse, mais bien réelle, l'acte du croyant a des conséquences, rejaillit sur ceux du peuple auquel il appartient et, avec le deuxième Isaïe, cette portée s'étendra à la création toute entière.

La conscience du péché s'approfondit donc considérablement avec la découverte du mémorial. Ce péché, qui n'était qu'une simple infidélité à ce que Dieu avait donné, va peu à peu devenir conscience d'une fracture, d'un divorce.

Certains diront : Dieu a créé le monde avec le mauvais et le bon, le mal fait partie de la création, mais Dieu a donné sa Torah à Israël pour que celui-ci s'oriente et choisisse le bien. La restauration et le pardon sont donnés par l'intermédiaire du Temple et de la Torah. Tel est le courant officiel, après l'Exil.

D'autres diront : Dieu a créé le monde bon, mais celui-ci est tombé dans les mains du Mauvais. Le divorce est mémorial, la rupture advient dès l'origine. Ceux-là ont une vive perception que l'homme, s'il est responsable pour une part du mal qu'il fait, est dépassé par son péché et n'en a pas pleinement conscience. La fracture est si grande, que le Temps est inapte à réconcilier le peuple avec son Dieu. Ce courant attend un rédempteur personnel, une intervention miraculeuse de Dieu. Tel sera le courant apocalyptique après l'Exil.

Le christianisme s'inscrit dans cette théologie et ne peut se comprendre sans elle. Voir en particulier Rm 5-8. Non seulement le salut et donc le péché ne sont jamais envisagés de manière individuelle, mais ils ont, l'un et l'autre, une dimension mémoriale. Ils prennent un poids d'éternité dès lors qu'ils appartiennent à la relation à Dieu, à "l'histoire sainte". Le chrétien mettra l'accent non plus sur le "mea culpa" mais sur la grâce de la Rédemption obtenue par le Sacrifice du Christ. Il chantera alors le "felix culpa", l'heureuse faute qui a valu un tel Rédempteur, même si une telle souffrance passionnée révèle la profondeur de la brisure à recréer.

Gam 2ème seuil p 104

Parle
  Exégèse-thèses 

 

"Détecter la faute comme clé du malheur"

Textes : L'école deutéronomiste héritière de l'école deutéronomique.

Depuis Josias, les historiographes ont fait culminer le récit de la période royale d'Israël dans l'événement de la réforme. Succédant dans la Bible au Deutéronome, libre de la Loi de Josias, les livres de Jos, Jg, 1 S, 2 S, 1 R, retraçaient une histoire ascendante qui culmine en Josias lorsque l'unité de culte se réalise.

Une relecture de toute l'histoire.

Les auteurs deutéronomistes sont les successeurs de ces historiographes de cour ; héritant de l'école deutéronomique, initiée par Josias, l'école deutéronomiste va à son tour relire les livres historiques : le Deutéronome, les livres de Josué, des Juges, les livres de Samuel et des Rois et d'un certain nombre de prophètes. Le travail littéraire entrepris est colossal; reprenant tous les livres, il pointe les infidélités.

L'enjeu deutéronomiste

"Qu'avait-on fait de mal pour mériter pareil châtiment ?" telle est la question du deutéronomiste qui relit l'histoire d'Israël en termes de "mea culpa". Il s'agit de trouver les coupables, de repérer où est la faute et qui a été infidèle pour que YHWH inflige à son peuple une telle punition. Le péché d'une génération ne peut y suffire. L'explication de l'exil se trouve alors dans les péchés répétés de génération en génération, notamment par les rois et les prêtres. Ceci à la différence de la théologie d'Ézéchiel ou de Jérémie pour qui la responsabilité est personnelle.

Les caractéristiques

Le style est aisément reconnaissable, un accent moralisateur traduit dans une phraséologie typique : "Tu n'as pas été comme mon serviteur David qui a observé mes commandements...", "Il fit ce qui était mal aux yeux de YHWH..." Il ressort une théologie "mea culpiste".

Quelques références caractéristiques :

Jéroboam : 1R 14, 8-10
Achab : 1 R 21, 17-26 (Référen-ciel)
Omri 1 R 25, 26
Achab, Jézabel : 2 R 9, 7-10
Manassé : 2 R 21, 1-6
Fidélité à l'alliance : 1 R 8, 46-53; Dt 30, 1-4

Gam 2ème seuil p 104

  Théo/Philo-thèses 

 

"Qu'à jouer avec Dieu, les jeux sont inégaux..."

Job, ce "prophète tragique" affronte son juge, en sachant qu'aucun avocat ne peut plaider sa cause, sinon le seul cri de sa détresse, de son désir et de son amour trahi...

Sa vision est originale. Job appellera la mort comme la seule vraie délivrance de son tourment mystique: là tout est pareil et le réprouvé n'entend plus la voix du garde-chiourme qui le réveille pour inquiéter à nouveau sa conscience... Le drame dans lequel Job est plongé, c'est-à-dire cette part d'Israël qui se reconnaît dans son téméoignage, porte plus sur la relation avec le Créateur que sur le destin de son âme immortelle. L'angoisse du poète a sa source dans cette impossible relation avec un Dieu créateur qui, dans le même mouvement, suscite un être désireux de lui et se dérobe à sa vue. C'est une évidence que Dieu peut anéantir sa  créature... Mais le scandale c'est qu'il la maintient en vie et, par là même, l'emprisonne dans un tourment que seul, lui, Dieu pourrait arrêter. Mais personne ne peut rien exiger de lui, sans se mettre à sa place ! Pourquoi Dieu maintient-il en vie Israël ? À quelles fins, si c'est pour lui signifier désormais que les fils ne pourront plus jamais entrer en relation avec leur Père ?

S'il y a une Résurrection, Job ne la salue pas comme une délivrance, mais bien plutôt comme la possible prolongation du cri à la face d'un Créateur qu'enfin on pourra peut-être voir face à face. À ce niveau, le "rédempteur vivant" ne peut être encore interprété comme le pressentiment de la Résurrection chrétienne... Là où Job se situe, ce ne peut être que sa plainte elle-même qui plaide pour lui devant le tribunal d'un Dieu inaccessible. Le sommet de la prière frôle donc le blasphème: toutes les évocations des médiations possibles, et en particulier la vénérable Torah des fidèles du mémorial, sont pour ainsi dire biffées. Et ce qui s'inscrit au burin sur la pierre, au lieu et place des Paroles divines, c'est le seul cri du supplicié.

Le premier testament nous offre là quelques pages des plus grandioses de sa mystique. Il nous invite à soumettre la croyance en une Résurrection hypothétique à la relation avec le Créateur, dont toute existence dépend dans son émergence, son sens et sa fin ultime. Ressusciter dans un au-delà où aucun vis-à-vis ne pourrait ni nous interroger ni nous répondre, reviendrait à sombrer dans la désespérante roue cosmique, tant redoutée des hindous, ou le néant des athées, si pressés de clore le sens sur ce qu'ils peuvent maîtriser.

Jean-Marie Beaurent, RTP / 210

 

Contemple
sq-2-13, © Mess'AJE

 

À quoi se fier encore si notre Dieu était battu ? Il y avait bien l'Alliance, mais servait-elle encore ? Donnée pour le bonheur, elle ne faisait plus qu'accentuer la servitude, à l'instar des traités de vainqueurs à vaincus. Elle promettait bonheur à la fidélité, et en fait de bonheur, c'était l'écrasement. Qu'avait-on fait de mal plus que par le passé, pour mériter pareil châtiment ?

Un groupe de fidèles allait se donner pour tâche de relire l'histoire, des Juges à nos jours, pour détecter la faute comme clé du malheur. À bien y regarder dans la mémoire de Dieu qui surplombe le temps, ils la voyaient partout. Chez les rois, pécheurs trop souvent, chez les prêtres, qui depuis Aaron, toléraient les veaux d'or. La tâche était immense et l'enjeu incertain. Où était le péché, où était la justice ? 

Pourquoi n'aurions-nous pas tout aussi bien raison à penser que l'Alliance aussi échappe au contrôle de l'homme ? qu'à jouer avec Dieu, les jeux sont inégaux, et qu'on ne sait pas pourquoi le mal s'est abattu. On regardait le ciel, mais sans te deviner, caché que tu étais comme par-delà un voile, un voile de respect qu'on ne pouvait franchir. On creusait seulement des chemins dans la brousse opaque du mystère. Chacun creusait le sien, mais sans savoir jamais s'il ne poursuivait pas une chimère

Document PDF