Seuil 02-séquence-12 Ruine de Jérusalem
« Jérusalem s'effondre et le Temple est pillé. »
Ces bas reliefs réalisés par le vainqueur disent l'événement politique : la prise de Jérusalem par Babylone en -587.
À la différence de la séquence 6, ces bas reliefs représentent plein de gens. C'est un retour à l'histoire.
"Et Babylone arrive."
Contexte : Le roi Sédécias, fils de Josias, placé sur le trône du Juda par le roi de Babylone, choisit encore la rébellion. La répression est décisive: Jérusalem est prise et incendiées, ainsi que le Temple. Tout est pillé, la population est réduite en esclavage: soit exilée massivement à Babylone (-587), soit maintenue au pays pour entretenir la terre. Un gouverneur, Godolias, est institué : il prône la soumission, ce qui lui vaudra d'être assassiné par les rebelles judéens qui se réfugient pour la plupart en Égypte. Cf. Jr 40,11-12; 41,1-3
Le roi Joïakin, qui s'était rendu, sera gracié pr le futur roi de Babylone, après plus de trente ans d'exil.
"On le jette dans un puits"
Jérémie : Jérémie n'a jamais dévié de sa prophétie, disant de la part de YHWHque celui "qui est pour la captivité, qu'il aille à la captivité." Jr 15,2. Il annonce la déportation, la chute de Jérusalem, et plus encore, il prêche la soumission à Babylone ! Message inaudible pour le peuple;
Au moment du siège décisif, il n'est toujours pas écouté (Jr 37,3) mais continue d'annoncer le désastre et la soumission (37, 8-10; 38, 1-3.17). Jeté au fond d'une citerne par ses adversaires, il échappe à la mort (38, 4-13) et tente encore de convaincre Sédécias (38, 14-28). Après les combats, il est confié à la protection de Godolias (39, 14) et finira probablement ses jours en Égypte, contre son gré (40-43).
Gam 2ème seuil p 99
Après le sac de Jérusalem, la déportation de la classe dirigeante, les drames successifs, la Judée sombra dans une crise démographique et culturelle profonde. Tous les indicateurs archéologiques signalent un véritable écroulement. Selon les estimations, le nombre de sites habités chute des deux tiers entre le VII° et le VI° siècle, passant de 116 à 41; leur surface moyenne chute elle aussi des deux tiers, de 4,4 ha à 1,4 ha. On peut en déduire que la population connut un effondrement de 85% à 90%. Les sites n'ont plus de murs d'enceinte ni d'édifices publics, l'artisanat de luxe a disparu, l'écriture qui ne sert plus à l'administration royale inexistante, devient rarissime. C'est bien d'une chute verticale qu'il s'agit. Seule la zone centrale de Benjamin en réchappe où s'était constitué le gouvernement collaborateur de Godolias: en témoignent peut-être des estampilles sur des amphores concentrées dans cette région pendant cette période.
Mario Liverani, La Bible et l'invention de l'histoire p 266
"Jérusalem qu'Isaïe avait dite invincible, s'effondre."
Jusque-là, les épreuves pouvaient se vivre comme des passages nécessaires à une pédagogie de maturation, comme des épisodes de tension compréhensibles dans toute relation d'amour. La fidélité supposait qu'on réinventât tous les jours le dialogue, au travers des ruptures, des absences, des retrouvailles et des pardons... Le silence de Dieu pouvait s'entendre comme une avancée dans le respect de l'altérité.
Mais nous savons qu'il y a dans l'Exil une interrogation plus radicale et qui touche aux fondements mêmes de l'existence d'Israël. Car c'est au moment précis où Dieu semblait ajuster sa Parole sinaïtique à son peuple avec le plus de tendresse, au moment même où la purification d'Israël le rapprochait de la sainteté de son Dieu, que l'histoire allait se retourner, disperser la nation et lui faire frôler la mort. La souffrance et la mort du juste ont toujours posé un grave problème à la sagesse des peuples; sans doute les sages d'Israël ont-ils partagé avec eux ces interrogations... mail il s'agit ici de bien davantage: Dieu va-t-il reprendre sa Parole à Israël redevenu juste ? Il ne s'agissait pas d'une épreuve passagère, ni même de la disparition de l'État, mais de la nation élue, renvoyée brutalement en deçà de l'Exode. De deux choses l'une : ou bien le Seigneur s'avérait être un dieu incapable de combattre aux côtés des siens, ou bien, après avoir créé son peuple, tel le potier mécontent de son oeuvre, il le renvoyait au néant... C'est l'image même de Dieu qui était remise en question , sa capacité créatrice et salvatrice ainsi que le sens de sa Parole et de sa promesse. La mort du peuple posait la question de la vérité du Dieu auquel il croyait.
Même si près des deux tiers des exilés vont se soumettre à la tutelle des dieux vainqueurs, une poignée de croyants va s'accrocher à la Torah comme à leur patrie et leur seul avenir. L'image de leur Dieu se faisait obscure et hostile ? La beauté de la Torah et la grandeur de ses exigences éthiques les faisaient se garder des idoles ! La confiance allait survivre au sein de la ténèbre, arc-boutée au mémorial mais sans plus aucune certitude dogmatique. Il fallait pouvoir préférer la Torah et son joug à Dieu lui-même et ses énigmes ! La réalité du sacrifice des innocents rendait impossible une confiance tranquille, mais plus urgente que jamais la patience des saints.
Jean-Marie Beaurent, RTP/205
Le malheur que Jérémie annonçait, sa prédication étaient insupportables à entendre. Pourtant son cri aura un long retentissement. En effet ses relativisations, inacceptables à la veille de l'Exil, deviendront des points d'appui pour les exilés à Babylone, les réfugiés en Égypte et ceux qui restent au pays: tous sont contraints de vivre sans les institutions (Roi, Terre, Temple). Ses écrits qu'on détruisait seront peu à peu précieusement collectés et complétés.
Plus tard, les Juifs qui seront à contre-courant ou en porte-à-faux avec les institutions se reconnaîtront dans le message de Jérémie. Sa vocation de prophète prendra alors tout son sens: celui-là même qu'on voulait faire taire était celui qui portait la Parole de Dieu. Il deviendra ainsi une figure emblématique de l'Exil: prophète persécuté, maudit, serviteur souffrant de YHWH. La parole du prophète va devenir levain pour la suite de l'histoire de la foi.
Gam 2ème seuil p 100
Il faut bien souligner que le royaume de Juda était totalement centré sur Jérusalem, avec une primauté quasi exagérée sur le reste du pays : primauté quantitative et qualitative, car ce n'était pas l'administration seule qui se trouvait centralisée à Jérusalem, mais le culte lui-même. La destruction de la capitale, et des rares sites d'une relative importance dans la Shéphélah (Lakish, Azeqa) fit de Juda une région de villages pauvres et de ressources médiocres, avec une population paysanne évaluée entre 10000 et 20000 âmes.
La conquête de la Palestine par Babylone marque la fin d'une longue trajectoire historique qui avait commencé six siècles plus tôt et avait intéressé tout la région du Levant. La documentation archéologique et textuelle, dans les limites où on peut les coordonner entre elles, nous permet de reconstruire un parcours doté d'un sens, cohérent dans ses liens de causalité et de contextualité, dans ses rythmes temporels, dans ses variantes locales, un parcours que l'on peut définir comme "normal", en ce sens qu'il est historiquement plausible.
Mario Liverani, La Bible et l'invention de l'histoire p 266
Avec la rencontre des dieux étrangers, la foi au Dieu du père qui avait marqué les héritiers du désert se trouvait menacée. Qu'il faille éviter de "convoquer" ce que YHWH donnait gratuitement dans son amour avait aidé à entrer dans l'environnement des cultes agraires sans perdre son identité fondamentale. Les transpositions essentielles avaient été faites avec les "prémices" et les interdits visant ce qui s'apparentait à la "convocation" magique.
Mais avec les dieux des grands empires, on entrait dans le monde de ce qu'on pourrait appeler les "grandes religions", c'est-à-dire des religions qui pensent l'universel au-delà de la satisfaction des besoins identifiés.
(Jacques Bernard : LFB/258)
"Les rescapés se terrent, dispersés et confus."
Pendant ce temps, à Jérusalem, tout semble s'effondrer. Le roi Sédécias multiplie les idoles, renoue avec l'Égypte, tout le monde s'aveugle. Seul Jérémie s'entête. Qu'on se livre à Babylone, que l'on parte en exil, puisque l'on se refuse à toute conversion. On le jette dans un puits. Rescapé de justesse, il est gardé à vue. Et Babylone arrive, elle est là, fait brèche dans nos murs. Le roi qui voulait fuir est capturé vivant, ses fils égorgés, lui-même mutilé. Jérusalem qu'Isaïe avait dite invincible, s'effondre et le temple est pillé, détruit de fond en comble. Ce qui restait d'élite rejoint les exilés.Les rescapés se terrent, dispersés et confus.