Seuil 02-séquence-11 Ézéchiel

version PDF

 

« Il est des douleurs qui ne supportent pas
d'autre baume que la grandeur. »

 

Mystique périlleuse : "Qu'avait-on prouvé à mettre Dieu si haut ?" Pourtant mystique très belle: si l'homme n'est rien devant Dieu, Dieu peut prendre toute la place en lui.

 

Médite, creuse, interroge
  Exégèse-problématiques 

 

"À la tête des déportés ..."

Le contexte : Pour le contexte historique du premier exil se reporter à la fiche précédente "exégèse "Et l'horizon s'obscurcit encore..."

Les déportés sont confrontés à la religion du vainqueur : les fêtes babyloniennes en l'honneur du dieu Mardouk sont marquées par des processions impressionnantes et fascinantes. Le risque est grand pour les exilés de s'assimiler totalement, d'oublier la foi de leurs pères, ce que beaucoup feront. Autre difficulté vis-à-vis de YHWH cette fois, se pose la grande question : "Pourquoi l'exil ? Qui est YHWH pour avoir fait cela ?"

 

"Ézéchiel, un prêtre mystique ..."

Ézéchiel, © F. Burtz

L'auteur : Ézéchiel fait partie du sacerdoce officiel du Temple de Jérusalem, on ne peut l'oublier sous peine de ne pas comprendre son vocabulaire, son style, ses préoccupations, son souci des règles de pureté. Avec la rupture de l'exil, sa réaction aurait pu être "intégriste" avec un repli nostalgique sur les institutions fortes : le roi, la Loi, le Temple. Cependant sa vocation de prophète-guetteur va le pousser beaucoup plus loin, vers une parole visionnaire, dure, audacieuse et nouvelle, adressée aux exilés de la part de YHWH : c'est une parole "efficace". "Ce que je dis est dit et se réalisera". (Ez 12,28); "... Vous saurez que moi YHWH j'ai parlé et je fais." (Ez 37,14)

 

"Justifier l'exil ..."

Le livre : Le livre (48 chapitres) est d'une construction littéraire rigoureuse, contrairement à Jérémie, d'un style teinté de juridisme, et souvent difficile à lire sans faire de contresens. Il porte la trace de relectures. Beaucoup des événements qu'il relate sont datés précisément et vérifiables par rapport à un texte de la cour de Babylone: "la chronique babylonienne". (Ez 11, 13; 24,1ss)

(Gam 2ème seuil p 91)

Référen-ciel : Ez 10, 9-22

Le chapitre 10 d'Ezéchiel relate une vision... de même que le chapitre 1.

Mais quelle étrange vision ! Incompréhensible et impossible ! Quel en est le sens ? Dans quel contexte a-t-elle été donnée ?

Référen-ciel : Ez 12, 24-28

Dans ces versets, l'insistance sur la parole est impressionnante; celle du prophète, comme celle de Dieu. Dans quel contexte le prophète a-t-il la révélation de la puissance de la parole de YHWH ? Cette puissance de la parole n'était-elle pas l'attribut du dieu de Babylone, Mardouk ?

Référen-ciel : Ez 14, 12-23

Dans ce passage, comme dans l'ensemble du livre, la question du péché est très présente. Le prophète prend ici le contrepied de ce que l'on trouve dans le livre du Deutéronome; à savoir que le péché d'une génération se reporte sur la deuxième et la troisième génération. En même temps, toute la théologie d'Ézéchiel fait référence aux fondamentaux, c'est-à-dire à l'expérience de l'Exode qui s'est traduite dans des récits, des institutions, des rites, des codes. (Voir aussi Ez 18, 1-5)

 

  Théo/Philo-problématiques 

 

"La gloire de YHWH... indescriptible de sainteté."

L'axe majeur du message d'Ézéchiel est la découverte de la transcendance de Dieu: Dieu ne peut se réduire à ce que l'homme en perçoit et comprend dans l'histoire. Déjà l'homme ne pouvait plus prétendre marchander avec lui, maintenant l'Alliance elle-même n'est pas à la mesure de l'homme et ne dépend pas finalement de lui. C'est Dieu qui fait, qui fait tout, et parce qu'il le veut.

Une telle vision théologique pose problème au chrétien : Pour Ézéchiel, l'homme qui reste petit, pécheur, perdu, ne peut rien invoquer de bon en lui devant Dieu. Pour le chrétien, c'est par grâce qu'on est sauvé, mais dans la foi catholique, l'homme uni au Christ coopère à son salut et à celui du monde. Là s'ouvre le vaste débat du rapport entre "nature et grâce".

"Tout cela échappait à l'humaine mesure. "

Peuple pécheur et responsable : Comme tous les autres prophètes avant lui, Ézéchiel dénonce le péché d'Israël. Personne ne peut se dire fidèle à côté de l'Amour dont Dieu avait comblé Israël (Ez 1-17; 20; 23). Contrairement à l'idée répandue qu'Israël aurait été puni pour la faute des anciens, le péché de la génération actuelle lui vaut l'exil. Chacun est responsable devant Dieu et dans le châtiment (18), il y va de la gloire de YHWH (20,44). Personne, même les plus justes, ne peuvent rien pour les autres (14, 14-20). Le péché ronge tous les membres du peuple et plus fortement les anciens (14, 1-3), les pasteurs (34) et même les prophètes (13). Devant Dieu, rien n'est jamais acquis ni en mal ni en bien; c'est la faute présente qui est jugée (33, 12-16). Mais quand Dieu reviendra de sa colère, le pardon mettra le peuple dans la confusion, il devra se souvenir de sa conduite et face à Dieu en garder honte (20, 43-44) L'endurcissement radical empêche l'homme de recevoir la purification. L'emploi à répétition du mot "endurci" ou "rebelle' (2, 4-5; 3,7; 12,2) ne reflète pas chez Ézéchiel le mépris de l'homme, mais c'est la seule explication que peut donner le prophète à l'impossibilité de recevoir la purification promise. C'est à travers l'épreuve de l'Exil que les coeurs endurcis pourront être purifiés (36,24ss)

Ce n'est pas le fait que l'homme soit engagé personnellement dans le péché qui est incompatible avec la foi chrétienne, au contraire, le christianisme développe cette responsabilité personnelle, mais en même temps, il affirmera toujours une solidarité entre les hommes. C'est dans la perspective de cette solidarité, cette interdépendance dans le péché comme dans la fidélité à Dieu que se joue le salut en Christ (Rm 5)

"Une vision le terrasse."

Mémorial spatial : Avec cette vision irreprésentable, le prophète signifie la grandeur sans mesure de Dieu. Ézéchiel voit le char de YHWH, sa présence, sortir du Temple de Jérusalem et accompagner les déportés à Babylone. Le trône divin semble exploser jusqu'aux quatre coins du monde. Ézéchiel voit le Dieu d'Israël, sa présence et sa parole, non seulement surplomber le temps (Cf. mémorial / Josias) mais surplomber l'espace. La grandeur de Dieu est telle qu'il déploie sa présence auprès de son peuple, non plus seulement à Jérusalem, mais où qu'il soit. C'est une étape dans la découverte de l'universalité du Dieu biblique.

"La manne du désert et l'eau jaillie du roc."

Les gestes prophétiques : Comme les autres prophètes, Ézéchiel parle à travers des gestes symboliques. Il témoigne du sens de l'Exil par le mime de l'exilé, symbole annonciateur pour la maison d'Israël (Ez 12, 1-20). L'exilé mange son pain en tremblant (v. 17-20). Le prophète signifie que tout est donné par Dieu, le pain comme la sécurité. Tout ce que le peuple a reçu lui vient de Dieu, c'est toute la vie du peuple qui dépend de la volonté divine. Autre geste : Ézéchiel perd sa femme et renonce à respecter les rites de deuil, signe pour le peuple qui ne pourra faire le deuil du Temple et de Jérusalem après leur destruction (Ez 24, 5-18).

(Gam 2ème seuil, p92)

Parle
  Exégèse-thèses 

 

Josias, Isaïe, Jérémie, Ézéchiel : relectures

L'oeuvre de Josias aura marqué à jamais la littérature de la Bible. Après l'Exil, elle servira d'étalon pour réviser toute l'histoire des Rois à la lumière de la Torah et montrer comment l'idolâtrie à tous niveaux a amené la perte du pays. Ce sera l'oeuvre des deutéronomistes.

L'oeuvre d'Isaïe connaîtra deux relectures. L'une, durant l'Exil ou à son retour, quand la foi sera confrontée au monothéisme perse et que le prophète, appelé parfois le deuxième (deutéro) Isaïe, témoignera du Dieu d'amour comme seul Dieu du ciel et de la terre. L'autre, le troisième Isaïe, après la déception du retour, quand les yeux se tourneront vers le ciel pour donner à l'humble réalité du pays la dimension d'une création nouvelle attendue du ciel.

L'oeuvre de Jérémie est plus dure à suivre. Elle a subi de perpétuelles relectures. Le texte n'en est fixé que tardivement et la version grecque des LXX est plus courte que sa soeur en hébreu.

L'oeuvre d'Éséchiel allait trouver son aboutissement dans deux courants apparemment étrangers. Ce Dieu si grand qu'il ne peut être rejoint que s'il vient lui-même habiter dans l'homme, allait ouvrit l'apocalypse juive reprise par les chrétiens. Mais cette grandeur de Dieu allait donner le jour à une autre apocalypse, quelques siècles plus tard. Ce sera l'apocalypse du Coran, révélée à Mohammad, et qui donnera l'Islam.

Plus les prophètes s'approchent de l'Exil, plus il est difficile de distinguer la première rédaction des relectures qui en sont faites.

(Jacques Bernard : LFB/254)

  Théo/Philo-thèses 

 

"Il est des douleurs qui ne supportent pas d'autre baume que la grandeur."

Le silence de Dieu : Ézéchiel, inondé de la vision reste muet, mais il est imprégné de la présence divine. Après avoir mangé le livre de la Parole, il ne peut la transmettre (3, 1-4). Cette parole intransmissible est chargée de signification. Dans le silence du prophète, c'est la Parole de Dieu qui devient silence; ce silence reste chargé d'une présence, trace de la transcendance indicible de Dieu.

Comme Jérémie son contemporain, Ézéchiel dit comment il est possible de rester fidèle à Dieu dans la perte de tous les repères sociaux et religieux causée par le séisme de l'exil. Porteur d'une grande vision mystique, il parvient dans l'extrême détresse à maintenir l'espoir, en refondant la foi dans les institutions transcendées : Temple transposé, histoire du peuple rétablie, peuple lui-même ressuscité par le créateur qui seul est maître du monde.

Cette théologie arrive en réaction à celle du Deutéronome, où finalement, c'était encore l'homme qui était maître du jeu: "Si je suis fidèle, alors Dieu me bénira..." Pour Ézéchiel, c'est l'homme qui dépend radicalement de Dieu: Dieu fait ce qu'il veut, comme il veut; nul ne peut lui demander de compte ! De même dans le livre de job (Jb 38, 1 - 40,5)

Cette réaction d'Ézéchiel est un pas décisif vers le monothéisme; elle peut aider à comprendre l'Islam qui, lui aussi, d'une certaine manière, est une réaction de monothéisme absolu préservant la transcendance de Dieu, face à un judaïsme et un christianisme devenus trop à la mesure de l'homme: dans le judaïsme, la Torah close et entière devient interprétable à l'infini par les rabbins; dans le christianisme, l'Incarnation met, en quelque sorte, Dieu à la portée de l'homme qui risque d'en faire ce qu'il veut...

(Gam 2ème seuil  p 94)

Contemple
sq2-11-dia, © Mess'AJE

 

À la tête des déportésÉzéchiel, un prêtre. Mystique intransigeant de la grandeur de Dieu. Une vision le terrasseil voit la Gloire de YHWH emportée dans le ciel, indescriptible de sainteté, elle quitte Jérusalem par le mont des Oliviers et va rejoindre les déportés. On a vu Dieu trop petit, on a voulu le mesurer à l'histoire, l'enfermer dans l'histoire comme on l'avait enfermé dans le Temple. La manne du désert et l'eau jaillie du roc, les victoires et la terre et le culte du Temple, tout cela échappait à l'humaine mesure.  Nous n'avions pas de comptes à exiger de Lui. Point n'était plus besoin de battre la coulpe des pères pour justifier l'exil, notre propre péché y suffisait assez pour peu qu'on ait compris la grandeur de Dieu. La leçon était dure à entendre, et qu'avait-on prouvé à mettre Dieu si haut ? Si l'homme ne pouvait que rester écrasé, que ce soit par le péché, l'exil ou même le pardon, personne ne se lèverait plus pour paître le troupeau. Mais il est des douleurs qui ne supportent pas d'autre baume que la grandeur

Document PDF