Seuil 02-séquence-10 Jérémie, Joiaqim-Joïakîn
« Poussé par Dieu, Jérémie annonce le malheur. »
L'ambiance de cette séquence est donnée par les bas reliefs. Ils prennent toute la place, on étouffe ! On est pris par les événements, les jeux d'intérêts, les manigances... L'idolâtrie, le péché sont partout (péché "mémorial") comme Josias avait vu la gloire partout !
"Et l'horizon s'obscurcit encore..."
- -609 : Karkémish
- Le Pharaon Nechao, après avoir vaincu Josias à Megiddo, déporte en Égypte l'héritier au trône Joachaz et donne la couronne à un autre fils de Josias, Joiaqim (ou Élyaqim) qui règne en payant tribut à l'Égypte.
- Nechao tente de soumettre le Hatti (syro-phénicie) mais est vaincu par Nabuchodonosor à Karkémish puis à Hamat.
- L'Égypte étant évincée de Palestine, Juda récupère provisoirement son indépendance.
- -598 : Joiaquim, Joïakîn
- Joiaqim qui payait tribut à Babylone depuis 3 ans, se révolte.
- Écrasé par Babylone, il meurt au début du siège de Jérusalem. Il est remplacé par son fils Joïakîn (18 ans) qui capitule aussitôt.
- 1ère déportation en Babylonie: Joïakîn, sa famille, la classe dirigeante, les artisans spécialisés. (2R 24, 14-16)
- Nabuchodonosor installe Sédékias, oncle de Joïakîn, comme régent et vassal à Jérusalem.
"Tous les chefs sont aveugles, qu'ils soient rois, prêtres ou prophètes."
Les relativisations.
Comme les autres prophètes, Jérémie dénonce le péché et annonce le malheur. De plus il relativise les points d'appui les plus sûrs de la foi du peuple :
- l'institution royale (Jr 22, 1-7; 33, 20-26)
- l'Alliance (Jr 10,23-24): Il n'est pas donné à l'homme qui marche de diriger ses pas... (Torah = direction). L'homme n'est plus capable de discerner la conduite à tenir à partir de la Torah. Le mariage comme signe de l'Alliance est lui aussi relativisé (Jr 16,1-2; 29,6)
- L'institution du Temple (Jr 7,1-14; 26,1-12) et les sacrifices (Jr 6,19-20)
- la terre et Jérusalem (Jr 7,20; 19,14); l'indépendance nationale: il prêche la soumission à Babylone (Jr 29,4; 38,1-3.17)
- les rites religieux et les valeurs sacrées : la circoncision (Jr 9,24-25)
- la crédibilité des prophètes et des prêtres (Jr 23, 9-14).
Pour Jérémie, toutes les cohérences sont brisées, Dieu est plus grand que nos théories, il ne peut être enfermé dans une réforme. Jérémie relativise tout ce que Dieu avait donné: roi, Temple, terre, rites, prophètes, prêtres et même l'Alliance. Autrefois, l'action de salut de Dieu se lisait au niveau du peuple, et se vérifiait dans la victoire. Elle se lit maintenant au niveau du prophète et se vérifie dans l'accomplissement de l'exil annoncé.
"Plus de justice pour le pauvre."
Le recentrage de la foi sur l'éthique
En même temps qu'il relativise les repères jusque-là utilisés pour la foi, Jérémie redit les comportements que cette foi suppose, si elle est sincère. Il montre le péché derrière les fausses valeurs et appelle à la conversion : Cf. Jr 4, 1-2 qui éclaire Jr 4, 4.
"Que l'on se livre à Babylone."
Le message exprimé par des gestes symboliques
Jérémie manifeste son message par des récits de sa vie : Jr 11,18; 12,6; 15,10-21; 20,7-18 et par des gestes prophétiques :
- les deux corbeilles de figues : Jr 24, 1-10
- L'épisode chez le potier : Jr 18,1-11
- La ceinture de lin : Jr 13, 1-11
- L'achat d'un champ à Anatot : Jr 32, 6-15
On mesure la dureté du message de Jérémie, la profondeur des remises en cause du prophète; Comment un tel message peut-il être accepté ?
(Gam 2ème seuil, p87)
"Jérémie"
Contre un sacerdoce s'érigeant en "pouvoir", contre l'application strictement matérielle de la Loi, Jérémie invoque la pureté de coeur, réprouve le luxe, condamne Joiaqim et la maison du roi qu'il taxe d'injustice et de corruption. Dans la critique qu'il fait de la maison royale, le prophète mène une action qui devient politique au sens propre du terme : la recherche d'un appui étranger, l'Égypte en l'occurrence, relève, pour Jérémie, de l'apostasie. On l'accuse de défaitisme, on lui intente un procès, il risque la condamnation, et ne doit son salut qu'à des notables liés à la famille de Shafan (Jr 26). Il apparaît clairement que deux partis s'affrontent alors à Jérusalem qui expriment, à travers des messages prophétiques, leurs politiques respectives de soumission ou de rébellion, de choix entre l'Égypte et Babylone: le parti probabylonien et antiégyptien semble dirigé par le fils de ce Shafan qui, et tant que secrétaire de Josias, avait porté au roi (ou l'avait peut-être même écrit !) le livre de la Loi retrouvé dans le Temple, c'est-à-dire une personnalité très proche de Josias dans sa politique de réforme religieuse et d'opposition à l'Égypte. Mais si la position antiégyptienne pouvait trouver des motivations théologiques, lorsqu'elle devenait probabylonienne, elle laissait entrevoir tout son réalisme trop humain. Au milieu d'un théâtre politique chargé de haines et de coups fourrés, la vitalité même de la réforme finit par s'estomper rapidement.
Et pourtant, loin de rester sans effet, l'action du roi réformateur eut un impact décisif sur la longue durée. Ce fut justement ces événements tragiques qui lestèrent cette tentative de réforme de valeurs fondamentales pour la survie du peuple d'Israël. Ce fut le projet politique de Josias qui fournit le modèle d'une unité, ethnique et étatique, qui n'avait jamais été réalisée auparavant, ni même conçue. Ce fut son modèle du pacte de fidélité au Seigneur Dieu qui fournit une clé de lecture pour tous les malheurs qui allaient s'abattre sur Juda. Et ce fut, surtout, le modèle historiographique qu'élabora sons son règne le "Proto-Deutéronomiste" qui ouvrit la voie pour une reconstruction rétroactive de l'histoire d'Israël qui allait s'affirmer dans les siècles à venir.
(Mario Liverani, La Bible et l'invention de l'histoire, pp 249-250)
Cf. Référen-Ciel : Grands repères
(Confirmer les repères déjà placés à partir des 4 premières minutes de la vidéo)
"Poussé par son Dieu, il annonce le malheur."
Le cri de Jérémie
Qu'est-ce qui permet à Jérémie de relativiser les repères de la foi ? Il prend le contre-pied de l'attitude classique de la foi, s'appuyer sur ce que Dieu a donné et reconnaître sa présence dans les signes de l'histoire. S'il peut le faire, c'est qu'il a un point d'appui plus profond. "Tu m'as séduit, Seigneur..." Jr 15,10-11. 15-18; 20,7.
Dieu a déposé en lui une confiance indéfectible et un abandon à sa vocation de prophète. Cette confiance et cette vocation sont vécues dans la perte de tout repère et de tout signe, de toute vérification extérieure. Il ne reste que le cri, la révolte comme ultime lien à Dieu. Ce lien est "mémorial", il a une dimension d'éternité, car il vient de Dieu. Le prophète vit cette relation comme Alliance mémoriale, il y puise l'acceptation d'être seul contre toute évidence, contre la parole officielle. Ce cri est l'acte de foi même du croyant dont la vie a été croisée par Dieu. C'est Dieu le maître de cette relation, véritable Loi inscrite au fond des coeurs (Jr 31,31-34).
Jérémie est fidèle envers et contre tout, jusqu'à l'apparente absurdité. Cette fidélité, il la vit en réponse à l'appel reçu et pour le peuple élu. Qui est le vrai gardien de la foi, sinon Dieu lui-même ? Que peut faire Dieu face à son Peuple qui le refuse, si ce n'est trouver des hommes qui lui seront indéfectiblement attachés ? C'est dans cet attachement que le peuple retrouvera sa vraie liberté.
(Gam 2ème seuil p 88)
"Le prophète est à la fois séparé et solidaire du peuple (Cf. Ps 106,23); ses paroles sont accompagnées de gestes symboliques où il implique sa vie : le mariage d'Osée (Os 1-3); Isaïe avec sa femme est ses enfants (Is 8,3.18); le célibat de Jérémie (Jr 16,1-9); le veuvage d'Ézéchiel (Ez 24,15-27). Il y a des moments de découragement, exprimés selon le tempérament de chacun: ainsi Moïse (Nb 11, 11-15), Élie (1R 19,4), Jérémie (Jr 15,18-19), Ézéchiel (Ez 3,14-15). La parole prophétique se heurte à l'incompréhension (Jr 7,27) ou parfois la provoque (Is 6,9-10); Ez 2,5-7; 36,38); Jérusalem tue les prophètes (Ne 9,26; Mt 23,37-38; 1Th 2,15), mais la prophétie devenue Écriture transcende leur mort comme un testament (Ha 2,2-4; Cf. He 9,15-17) en vue d'un accomplissement (Mt 13,14-15; Jn 12,38-40; Rm 10,16-21; 1 P 1,10-12). La figure du Serviteur de YHWH, mis à mort pour le péché du peuple (Is 53,7), est le sommet d'une intercession constante (Is 37,4; Ez 22,30)"
(Étienne Nodet, L'odyssée de la Bible p 744)
Tout le monde est désemparé. Pourquoi se convertir si Dieu ne répond pas ? Et l'horizon s'obscurcit encore. L'Égypte qui voulait secourir l'Assyrie contre la puissante Babylone, est défaite à son tour. Fallait-il secouer le joug du Pharaon et s'allier au vainqueur ? À qui faire confiance ? Sur quel parti miser ? Le nouveau roi est faible. L'idolâtrie reprend, aussi vive que par le passé. Jérémie doit alors sortir de sa retraite et poussé par son Dieu, il annonce le malheur. Juda se prostitue avec les dieux païens, plus encore que ne l'a fait Israël. Plus de justice pour le pauvre, tous les chefs sont aveugles, qu'ils soient rois, prêtres ou prophètes, ils vendent l'illusion et ne voient pas venir le châtiment de Dieu. Il ne restera rien, ni de Jérusalem, ni du Temple. Qu'on ne se marie plus, qu'il n'y ait plus d'enfants, puisque la foi est morte et ne fait plus grandir. Que l'on parte en exil et que l'on s'y installe, que l'on se livre à Babylone, c'est YHWH derrière elle, qui purge le pays. Jérémie doit s'enfuir, ses écrits lacérés, sont brûlés par le roi. Moins de trois ans plus tard, la ville est assiégée, le roi épouvanté se rend sans coup férir, et l'élite du peuple grossit, chaînes aux pieds, le trophée du vainqueur.