Seuil 02-séquence-09 Jérémie, Megiddo
« Pourquoi cette débâcle ?
L'alliance avec Dieu était-elle périmée ? »
Tout ce sur quoi on s'appuyait s'effondre. Il ne reste rien que ce reflet de lumière qui, envers et contre tout, dit l'attachement, la fidélité au même Dieu.
"Au défilé de Megiddo..."
- -701 : Jérusalem épargnée
- Au lieu de prendre Jérusalem qu'il assiège, Sennachérib (Assyrie) repart dans son pays. Ézéchias reconnaît à YHWH les attributs royaux de domination empruntés aux dieux assyriens.
- Historiographie dynastique légitimée par Jacob , Abraham et David que Josias la prolongera.
- -687 : Manassé
- Syncrétisme et alliance avec l'Assyrie. Développement du commerce au Sud.
- On tente de regrouper les codes législatifs et religieux en leur donnant la forme officielle des traités de vassalité néo-assyriens.
- Développement de la figure de Salomon
- -642 : Amon
- -640 : Josias
- -626 : Reprise de territoires du Nord
- -622 : Deutéronome
- Reprise de la réforme entreprise par Ézéchias.
- -612 : Ninive prise par Babylone
- L'Assyrie voit sa capitale Ninive ruinée par les Babyloniens et les Mèdes.
- L'Égypte se porte à son secours, mais la nouvelle capitale, Haran tombe deux ans plus tard.
- -609 : Megiddo
- Le Pharaon Néko II (ou Néchao) tente de s'assurer les territoires assyriens situés à l'ouest de l'Euphrate et traverse la Palestine.
- Josias entend lui barrer la route au défilé de Megiddo. Mais c'est lui qui est frappé à mort avant même les premiers combats.
Le pari de Josias était ambitieux mais jouable. Aidé du prophète Jérémie, il galvanise ses troupes en leur rappelant ce qui est devenu la base du credo. YHWH roi a écrasé l'Égypte et délivré Jérusalem au temps d'Ézéchias. La délivrance d'Égypte devient le leitmotivporteur de toute l'histoire du salut, que celle-ci soit passée ou future. C'est Lui qui a noyé les troupes de Pharaon, au temps de Moïse, pour délivrer son peuple. C'est encore Lui qui a sauvé Déborah aux eaux du Qishôn près de Mégiddo. C'est encore Lui qui sauvera aujourd'hui à Mégiddo. Le credo devient fer de lance pour le combat. Hélas, Josias est tué à Mégiddo (2R 23, 29), trahi sans doute par ceux de ses soldats qui étaient partisans de l'Égypte. Toute sa stratégie s'effondrait !
La défaite de Mégiddo allait causer un véritable traumatisme dans la conscience du peuple. Si l'on raisonnait "donnant-donnant" - comme l'habillage néo-assyrien de l'Alliance inclinait, hélas, à le faire - on ne voyait pas quelle faute envers l'Alliance - sauf à en faire porter tout le poids sur Manassé - avait pu être à l'origine du désastre. Seule l'issue de la situation était claire: il devenait aisé de prévoir que Babylone, après la chute de l'Assyrie, ne tarderait pas à parfaire sa victoire dans la direction de Jérusalem, qui lui ouvrait le chemin vers l'Égypte.
"Jérémie ne comprend plus..."
La foi d'Israël tire son origine de l'irruption gracieuse d'un Dieu partenaire, qui tisse sa Parole en cheminant avec lui. N'oublions pas qu'Israël est un peupple qui ne peut pas se concevoir sans cette relation avec un Dieu partenaire, sans cette relation d'amour hors de laquelle il ne peut ni croire ni exister. Israël ne reviendra jamais en arrière de cette expérience fondatrice. Pour lui, revenir à des dieux étrangers, c'est nier sa liberté, c'est nier son âme. Dieu ne peut pas être non plus pour lui une sorte d'horizon vague qui recule quand on avance... Israël ne remet pas en cause la grâce de l'Exode, même si les temps de la conquête et du royaume sont à présent révolus. De ce point de vue, le Deutéronome représentera pour lui le livre "butoir".
Mais cette relation, dont il venait juste de mesurer la profondeur dans le renouvellement des promesses, où le mène-t-elle à présent ? La question est moins le silence devant Dieu, le silence de l'adoration commun à toutes les grandes démarches mystiques et religieuses, que le silence de Dieu.
On entre dans un paradoxe, presque comme dans un piège mortel... Comment Dieu qui a parlé au Sinaï et par la voix des juges et des prophètes peut-il se taire à ce point ? Comment faut-il entendre désormais la Parole du Sinaï ? Comment l'interpréter au travers de ces événements catastrophiques, au travers de ce silence lourd et oppressant ? Quel est donc ce nouveau davar ? Est-ce une nouvelle facette du Sinaï ? Mais comment le Sinaï qui nous a fait naître peut-il nous faire mourir à présent ?
Dieu pourrait-il se révéler dans son silence, dans son absence même ?
Comme toujours dans la Bible, les événements nous renvoient à la responsabilité de les interpréter. Israël est sous le coup d'événements mortels: sa foi est donc provoquée à nouveau. Peut-être va-t-elle grandir ? Peut-être va-t-elle sombrer ? Dans la palette de toutes les interprétations possibles du silence divin, le peuple de Dieu va collecter celles qui lui permettront de garder la foi, non comme une certitude dogmatique, mais comme une aventure dangereuse.
Après avoir été les veilleurs de l'histoire, les prophètes vont devenir les interprètes du silence de Dieu.
(Jean-Marie Beaurent, RTP p 160-161)
"Jérémie"
Né vers -645 à Anatot, à 4 kms au nord de Jérusalem, de la tribu de Benjamin, il est d'une famille sacerdotale de Silo. Il avait inspiré la réforme de Josias et en attendait le retour des exilés du Nord et leur réunification avec le Sud (Jr 31). Il ne comprend plus. À moins qu'il faille faire encore un pas de plus dans le sens de la Royauté universelle de YHWH, si bien mise en valeur par Isaïe et que Josias avait traduite en donnant à la Torah la forme d'un traité international ? Si YHWH avait cette dimension internationale, pourquoi ne pourrait-on pas aussi bien le servir à Babylone qu'à Jérusalem ? Jérémie se met à douter de ce qui'il avait contribué à mettre en valeur: l'inviolobilité de Jérusalem et du temple (Jr 26). Et, pour éviter que la confiance se limite aux alliances humaines, il recommande que l'on cesse toutes les manoeuvres politiques et qu'on se laisse mener par Dieu (Jr 22, 13-19), même si c'est à Babylone (Jr 13, 16) ! Ce qui aurait pu paraître une crise ouvrait la porte à une autre dimension de Dieu qui allait être le principal fruit de l'Exil.
(Jacques Bernard, Fondements bibliques pp 241-252)
"Ses écrits, lacérés, sont brûlés par le roi."
La composition du livre de Jérémie est complexe et controversée. Il pourrait y avoir un auteur ou deux. Il est possible de distinguer deux moments:
Période optimiste, avant la défaite de Megiddo, en phase avec les espoirs de réunification du royaume, reconstitué par Josias: territoires du Sud et du Nord. Il écrit alors les oracles de bonheur (Jr 30-31*-32). [Cf. séquence précédente "Josias, le Deutéronome"]
Période de silence : par interprétation de la différence énorme entre les poèmes de jeunesse pleins d'espérance et les écrits beaucoup plus sombres qui reflètent la situation historique postérieure à la défaite de Megiddo.
- Période de dénonciation de l'idolâtrie (Jr 17,1-2; 18, 13-15) et des alliances du roi Joiaquim avec les grandes puissances d'alentour (Jr 2, 18-19) [Cf. séquence 10 "Jérémie, Joiaqim-Joiakîn]
- Message défaitiste face à l'anéantissement imminent du pays (Jr 25, 1-13) [Cf. fin de cette séquence 9 et séquence 12 "Ruine de jérusalem"]
Les lamentations de Jérémie sont vraisemblablement l'oeuvre, après la ruine de Jérusalem en -585, d'un érudit qui n'a pas vécu les déportations.
(Gam II, pp 79-80)
Cf. Référen-Ciel : Les premiers credo de la Torah
"Jérémie s'enferme dans le silence."
L'expérience du silence fut déjà celle d'Élie (1R 18-19) : il vient de défier les prophètes de Jézabel au mont Carmel; Dieu lui a répondu en envoyant le feu du Sinaï consumer l'autel. Parole brûlante qui répond à l'appel prophétique : nous sommes dans le climat du premier seuil de la foi... Mais ce miracle n'a converti personne; Élie doit s'enfuir pour échapper à la police de Jézabel. Il entre alors dans une terrible épreuve: le désert lui révèle sa détresse profonde.[Cf. Séquence 1.11: Veilleurs de l'histoire, Élie / Théo-Philo "Alors se leva le grand prophète Élie"]
On parle ici d'un silence mystagogique : celui d'un Dieu dont le mystère se révèle dans la discrétion
Il y a aussi le silence comme combat : c'est celui de Jérémie. Dès son enfance il a baigné dans la Parole : il a cru en la puissance du mémorial et il a aidé Josias à faire sa grande réforme. Mais voilà la vigne de Dieu dévastée par la fureur des bêtes sauvages. Au moment de la plus grande sainteté, le silence s'installe et la prière se vide. La parole de Vie devient parole de mort : Jérémie se bat avec elle. Alors que les prophètes de cour l'acclimatent, l'expliquent, l'accommodent, la rendent facile et légère, pour le vrai prophète de Dieu, la Parole devient opaque, paradoxale, contradictoire, traversée par de lourds silences qui la rendent menaçante. Comme Jacob, Jérémie se bat avec une présence silencieuse et il en sort blessé. (Jr 23, 9-40; 20, 7-8).
Peut-être lui faudra-t-il simplement prendre la mesure de cette situation et admettre que Dieu retienne son souffle créateur tout en livrant son peuple à la violence historique. L'abandonne-t-il ? Se prépare-t-il à sauver à nouveau ? Qui pourra répondre sinon Dieu lui-même ? Le sommet de la prière est un véritable combat.
(Jean-Marie Beaurent, RTP p 163-164)
Devant l'anéantissement tout proche, chacun se raccroche à ce qu'il peut... Jérémie fustige toute fausse sécurité, tout faux espoir de salut. Il est jeté dans une citerne, ses écrits sont lacérés... Pourtant, jamais le prophète ne transige. Israël est-il attaché à Dieu pour ses dons ou pour lui-même ? Telle est la question que pose Jérémie. Plus tard, il deviendra l'emblème du prophète persécuté, incompris, mais fidèle à Dieu envers et contre tout. son cri vers Dieu, sa foi vive sans appui d'aucun signe deviendront lumière dans la nuit noire de l'épreuve pour beaucoup de générations (Jr 15, 10-18; 20, 14-18)
(Catherine Le Peltier, EFB p 172)
Tout était merveilleux, on était sûr de vaincre puisque l'on était juste ! Le combat s'engagea au défilé de Megiddo, là où quelques soldats suffisent à l'embuscade. Hélas, en un seul jour le peuple fut défait et Josias tué sans avoir combattu. qu'est-ce que cela voulait dire ? Jérémie ne comprend plus. On s'était converti au seul Temple de Dieu, on avait reconstruit un peuple fraternel, on aurait pu penser que Dieu, de son côté, voudrait bien nous bénir, ramener Israël de son lointain exil, refaire l'unité pour une ère de paix. Pourquoi cette débâcle ? L'alliance avec Dieu à peine formulée sous forme de traité, était-elle périmée ? À moins que l'on payât la dette pour les autres et que malgré la sainteté de Josias, Dieu n'ait pu oublier les fautes des ancêtres. Jérémie ne comprend plus et s'enferme dans le silence.