Seuil 02-séquence-08 Josias, le Deutéronome
« Aujourd'hui tout un peuple, en entendant son roi,
se trouvait transporté au pied du Sinaï à écouter son Dieu. »
Dans cette séquence, beaucoup d'images évoquent les origines "idéales". La Torah et son interprétation envahissent tout, Moïse faisant unité.
"On l'appelait Josias. Il reprit aussitôt l'élan de la réforme."
Manassé avait enterré l'oeuvre de la réforme de son père Ézéchias et renouvelé les erreurs du passé (2R 21) en jouant à fond le syncrétisme en germe dans le nouveau "modernisme" de YHWH roi.
L'Égypte écrasée, l'Assyrie menacée à sa frontière orientale par Babylone, le nouveau roi, Josias trouvait toutes les conditions requises pour un abandon de la coûteuse tutelle assyrienne. Il fallait poursuivre l'oeuvre réformatrice d'Ézéchias en s'appuyant sur son prestige encore vivace et sur la délivrance miraculeuse de Jérusalem, qui avait consolidé la dynastie. Le texte de la réforme qu'i avait ébauchée, abandonné par Manassé, est retrouvé dans le Temple (2 R 22). Plus que jamais, YHWH sera vénéré comme roi de l'Univers dans le Temple unique de Jérusalem. Telle était la stratégie du nouveau roi.
La réforme une fois achevée (-622), les premiers fruits disent la bénédiction de Dieu. On reconquiert des territoires du Nord (-626) et le jeune Jérémie les encourage à la conversion (Jr 2, 20-30; 3,2s; 4,4; 6,10). Il rêve que les exilés du Nord vont revenir au pays (Jr 30, 9-11.18; 31, 2-8; 31, 16-22). Mais bientôt, un engrenage infernal se met en place : Babylone, la puissance montante, attaque l'Assyrie. Josias a le choix. Ou bien voler au secours de l'allié assyrien; dans ce cas, il peut en espérer une annulation du tribut à verser chaque année. Ou bien il peut s'allier avec Babylone. Là, il n'est plus besoin de verser tribut à l'Assyrie et le nouveau conquérant babylonien se montrera reconnaissant. Mais comment intéresser Babylone quand on est un partenaire aussi insignifiant ? Sur ces entrefaites, l'Égypte vaincu, tenue par traité à assister son vainqueur, part au secours de l'Assyrie. Josias saisit la balle au bond. Il projette d'attaquer l'Égypte qui, pour monter au secours de l'Assyrie, doit passer par Megiddo. S'il lui bloque le passage, l'Assyrie privée de son alliée tombera. Josias pourra alors attendre de Babylone une reconnaissance pour se bons et loyaux services.
(Jacques Bernard, Fondements bibliques p 250)
"... toutes les forces vives, et du Nord et du Sud."
La réforme s'étend au Sud et au Nord (2R 23, 1-20: v.5, Juda; v.15, Béthel; v.19, Samarie). Josias détruit tous les sanctuaires et les hauts-lieux, supprime leurs prêtres (2R 23,5) Il élimine radicalement les pratiques cananéennes, assyriennes et syncrétistes (2R 23, 20). Il instaure un lieu de culte unique : le Temple de Jérusalem. Il le purifie de toute pratique idolâtrique: destruction de la demeure des prostitués (Dt 23, 18; 2R 23,7), et du pieu sacré qui avaient été installés à l'intérieur du temple, destruction des autels aux autres dieux (Dt 16, 21-22; 2R 23, 12-14). La Pâque (Ex 12-13), précédemment rite familial, se célébrera désormais exclusivement au Temple de Jérusalem (2R 23, 21-23). Elle prend de la solennité. L'unité de culte est réalisée en -622. C'est un élément déterminant pour la foi d'Israël.
Le 'code de sainteté' : "Le Peuple serait saint, comme Dieu était Saint, séparé de tout autre."
Pour qu'elle soit efficace, la réforme doit s'inscrire dans la vie du peuple, dans le culte, dans la vie des prêtres. C'est l'objet du code de sainteté du Lévitique (Lv 17-26). Il met l'accent sur la sainteté de Dieu. Le peuple lui-même doit être saint (séparé, mis à part du sacré idolâtrique)... et nourrir une relation privilégiée avec ceux qui partagent la même sainteté. Tel est le sens de la pureté.
"Jérémie le prophète, chantait des hymnes de bonheur."
Les chapitres 30 à 32 du livre de Jérémie, centrés sur la nouvelle alliance, soutiennent la réforme de Josias. Optimistes, ils sont écrits dans une perspective de réunification des deux royaumes à la différence du reste du livre. Tous les exégètes ne s'accordent pas à dire que ces chapitres son de Jérémie.
(GAM 2ème seuil, p 73)
Le "modernisme" problématique de Josias.
Ce "modernisme" établissait une équivalence entre le salut opéré par Dieu et l'exigence d'une réponse humaine. Il pouvait paraître un progrès et correspondre à la réalité politique du moment, mais il n'était pas sans risque pour la foi. Qu'adviendrait-il si ce principe du donnant-donnant inclus dans le traité de vassalité ne fonctionnait plus ? Si le peuple vivait parfaitement l'Alliance sans que la bénédiction soit au rendez-vous ? C'est ce qui marquera plus tard l'épreuve de l'Exil.
(Jacques Bernard, Fondements bibliques p 250)
La théologie de l'alliance à la manière deutéronomique est piégée :
- On risque d'y présenter Dieu comme lié à un contrat, soumis à un code, donc coiffé par la Loi... alors que c'était lui qui avait donné à Israël et l'histoire et la Loi.
- On risque d'exiger de Dieu qu'il paie en victoires et en avenir dès lors qu'Israël a fait ce qu'il fallait...
- On risque de soumettre la justice à une réalisation d'oeuvres, à des actions calibrées, à des comportements conformes, et peut-être pas à un esprit.
- On risque d'interpréter les revers de l'histoire comme des punitions pour des fautes inconnues. Il s'agira donc d'enquêter sur les fautes humaines qui méritent de telles punitions.
Théologie limitée, certes, mais qui va marquer longtemps et qui n'est pas sans une certaine grandeur. La situation est là, dans sa brutalité. Israël s'aperçoit qu'il est entre deux néants : un passé certes prestigieux mais dépassé et un futur angoissant: tout amène les croyants à se poser la question : "Où en sommes-nous ? " Le retour à la mémoire est de toute façon indispensable.
La philosophie d'Augustin d'Hippone aide à saisir l'enjeu. Chaque homme est entre deux néants: le passé et le futur. Le passé n'est plus et le futur n'est pas encore. Qu'existe-t-il donc ? Le présent ? Mais le présent lui-même est insaisissable, fuyant; il sort toujours de lui-même... Touché, saisi, défini, il est déjà au-delà. Il est une extase permanente. En fait, le temps n'existe pas comme une chose; mais il est dans l'âme qui le vit. Ce paradoxe du temps n'est concevable que si le présent est quelqu'un qui se présente en lui, au travers de lui. Seule l'âme donne réalité au temps, parce qu'elle ne se contente pas d'être comme une chose inerte, mais elle existe, elle "ex-iste". Elle est présence de soi à soi comme mémoire, intelligence et amour. Mais désirant demeurer qui elle est, elle cherche à se dire à elle-même, pour pouvoir désirer l'autre et tendre vers lui. Car l'âme est perpétuellement inquiète, instable tant qu'elle n'a pas trouvé ce qu'elle cherche... Or le but qu'elle recherche est inaccessible, car c'est l'infini divin.
En somme, Israël est dans la même situation que l'âme augustinienne et celle-ci peut analogiquement nous introduire au mystère de l'identité historique d'Israël: il est lâché par son passé, son avenir peut lui signifier son anéantissement, son présent est plus qu'incertain... Voilà que tout le ramène à son âme. Qui es-tu Israël ? Toi qui es jadis sorti d'Égypte, toi qui es à présent sur ta terre, toi qui vas affronter les puissances internationales ?
(Jean-Marie Beaurent, RTP p 148-150)
"... réentendre à nouveau l'appel de Moïse."
Le Deutéronome : Le Livre de la Loi est la strate la plus ancienne du livre du Deutéronome. Il reprend le credo ancien qui avait été donné à un peuple nomade. À partir de là, on va se mettre à écrire et réécrire l'histoire du Peuple de Dieu. Josias met dans la bouche de Moïse des lois, des paroles adaptées à une civilisation devenue sédentaire, agricole, artisanale et commerçante.
C'est un moment de réunification des traditions du Nord et du Sud. On recueille l'héritage d'Élie, d'Amos, d'Osée, parfois considéré comme le père du Deutéronome, la dimension éthique et le souvenir de l'Exode. Ainsi li livre du Deutéronome, appelé aussi le "livre de l'Alliance", va se constituer peu à peu: codes, décalogue, histoire de Moïse et sortie d'Égypte... De nombreux livre de la Bible porteront la trace de la relecture deutéronomique. Josias se sert de ce livre pour asseoir sa réforme.
Code de Josias en style néo-assyrien
(5,1) Moïse convoqua tout Israël et leur dit: Ecoute, Israël, les lois et les coutumes que je prononce aujourd'hui à vos oreilles. Apprenez-les et gardez-les pour les mettre en pratique. Moïse s'adresse à la seconde personne à son peuple. Il leur dit "vous". Le code qui suit et que l'on appellera plus tard "décalogue" va occuper la place des "stipulations générales" dans l'ensemble de la structure des codes néo-assyriens. Dans cette structure, un "prologue historique" précède l'exposé des "stipulations générales" puis des "stipulations particulières" qui le suivent (Dt 12-16). Des "bénédictions-malédictions" (Dt 28) appartiennent à la même structure.
(5,2) Yahvé notre Dieu a conclu avec nous une alliance à l'Horeb. L'Horeb est l'appellation nordique du Sinaï. C'est donc bien le code sinaïtique qui va être donné, comme au livre de l'Exode (Ex 19-20) suivi du code d'Alliance (Ex 20,22-24). C'est donc encore Moïse qui parle. Mais cette fois, il parle à "nous", comme si le rédacteur avait voulu que Moïse s'adresse aussi à nous qui sommes contemporains du rédacteur au temps de Josias. Pourquoi cette "superposition" des destinataires dans le temps ? Comme pour actualiser le message de Moïse au temps de Josias qui centralise dans le temple toutes les anciennes traditions des sanctuaires tribaux désaffectés par Ezéchias après la chute de Samarie.
(5,3) Ce n'est pas avec nos pères que Yahvé a conclu cette alliance mais avec nous, nous-mêmes qui sommes ici aujourd'hui tous vivants. Moïse en (5,1) prononce l'exhortation à son peuple, en l'interpelant en "vous". Est-ce le rédacteur qui prenant le relais de Moïse s'adresse à ses contemporains en "nous", à l'adresse de tout Israël ? Ou le passé est-il parfaitement intégré dans le présent du rédacteur au point que les destinataires, ceux de Moïse et ceux des contemporains du rédacteur puissent être confondus ?
On a ici une première formulation de ce que l'on pourrait appeler un "mémorial d'Alliance" qui n'est pas encore un "mémorial cosmique" (Ezéchiel) ni, à plus fore raison un "mémorial d'éternité" (période hellénistique). C'est tout simplement une extension dans le temps du prologue historique d'Alliance par lequel les "mémoires" du passé, intégrées par l'ensemble des tribus comme faveurs divines, encouragent à pratiquer avec reconnaissance les obligations édictées dans les codes.
(5,4) Sur la montagne, au milieu du feu, Yahvé vous a parlé face à face, Parmi les souvenirs, il y a les victoires sur le Baal. Elles ont amené le rédacteur à décrire le Dieu de l'Horeb avec ses attributs du feu et de l'orage que YHWH a ravi au Baal. YHWH n'a plus rien à envier à Baal quand il énonce sa Torah.
(5,5) et moi je me tenais alors entre Yahvé et vous pour vous faire connaître la parole de Yahvé; car, craignant le feu, vous n'étiez pas montés sur la montagne. Il dit:
(5,6) "Je suis Yahvé ton Dieu, qui t'ai fait sortir du pays d'Egypte, de la maison de servitude. Non seulement YHWH a les attributs de Baal, mais le traité d'Alliance qui fixe les rapports entre Suzerain et vassal - entre l'Assyrie et les peuples que Sennachérib et ses prédécesseurs ont conquis - n'est plus ici un traité entre vainqueur et vaincu mais entre YHWH et son Peuple. Comme si le jeu des alliances politiques avaient peu d'importance (+1). Pour le rédacteur, tout se joue dans la main de YHWH. C'était lui le véritable vainqueur depuis les exodes multiples des ancêtres semi-nomades, leur entrée en terre de Canaan, leur victoire sur le Baal et finalement, bien que dans un apparent échec, la victoire par laquelle, alors que l'allié Egyptien était écrasé, le départ de Sennachérib et la survie de Jérusalem. Voilà le grand "credo" de Josias qui exprime de manière nouvelle, les codes, rites et institutions du Temple réunissant toutes les tribus à Jérusalem. .
(Jacques Bernard, Fondements bibliques p 242)
(Jacques Bernard, Catherine Le Peltier referen-ciel : Deutéronome 5)
Cf. Référen-Ciel : Décalogue
"Aujourd'hui tout un peuple... se trouvait transporté au pied du Sinaï..."
La mémoire d'Israël est hantée, habitée, partagée. Il la reçoit de l'Horeb, de sa relation avec Dieu. Si c'est là qu'il revient, s'il redevient contemporain de cet appel, alors il se recevra à nouveau des mains de son sauveur. Garder sa mémoire, pour Israël, c'est garder vivante la présence de son Créateur. Derrière des souvenirs, c'est une présence qu'il faut écouter et recevoir comme si on était encore sur la montagne. Israël tient sa mémoire d'un Autre: et ce retour à la Loi le suscite encore aujourd'hui.
L'Exode n'est pas seulement un événement passé, mais le "une fois pour toutes" de Dieu qui veut libérer son peuple définitivement: cette évocation est un enjeu actuel. En retenant son passé, Israël comprend les enjeux contemporains, perçoit les choix à faire et peut entrevoir l'avenir. En fait, la mémoire d'Israël le remet en Exode permanent: il n'a jamais fini de sortir d'esclavage, d'écouter son Dieu, de conquérir sa terre, d'être relevé de son péché, de devenir ce qu'il est.
Dès lors, les événements fondateurs se chargent d'une dimension éternelle: bien sûr en eux il y a cette facticité historique accessible à l'enquête historienne, mais ces événements contiennent une dimension de révélation: ils ont de l'éternité en eux, pour ainsi dire; et la première révélation cache en eux une lumière qui va en révéler les enjeux permanents.
Enracinés dans une époque, ils n'y sont pas enclos; ils sont porteurs de plus qu'eux-mêmes. En fait, l'Exode, le Sinaï, la conquête, sont des événements dont on n'aura jamais fini de scruter les significations... C'est comme si Dieu monnayait son Désir dans des temps et des lieux différents, en y mettant toute la richesse de son dessein: ils sont des événements-tournants, des situations spirituelles-types qui peuvent parler aux autres époques et dont celles-ci n'auront jamais fini d'inventorier les richesses.
Ainsi, l'histoire d'Israël devient-elle comme réversible: le peuple n'est pas définitivement installé dans sa foi, comme dans un héritage dont il serait devenu le propriétaire. L'Exode est passé, bien sûr, mais il est encore à venir si Israël redevient esclave... mais peut-être va-t-il devoir repartir en Égypte ? La révélation fait craquer l'histoire, comme s'il y avait dans le temps plus que le temps seul... Israël vit dans le temps, mais il n'est pas la simple résultante de ce qui arrive: il est suspendu à la Parole éternelle qui lui ouvre des chemins inconnus. Porté par des événements passés, Israël est transporté à travers eux vers une présence qui dévoile peu à peu son mystère. Il en avait perçu quelques lumières, mais ces événements qui la lui ont livrée sont plus riches que ce qu'il en avait vu. Dieu n'est pas un démiurge qui jadis a façonné le monde, pâle copie d'un prototype immuable. Il est une Parole vivante, un Sinaï sans cesse présent et l'Histoire sainte est le versant visible de son immense "prévenance"; immense interjection lancée vers le peuple élu : "Écoute Israël !"... D'époque en époque, il découvre dans les heurs et les malheurs des temps, l'écho de cet irréversible engagement dans son coeur. Le recentrage d'Israël autour de cette intuition unique lui promettait d'espérer participer un peu à cette irruption de l'éternité dans le temps.
(Jean-Marie Beaurent, RTP p 150-151)
Un jour pourtant, on crut les promesses réalisées. Il était apparu le grand roi pieux et bon, selon le coeur de Dieu. On l'appelait Josias. Il reprit aussitôt l'élan de la réforme. Il fallait réunir toutes les forces vives, et du Nord et du Sud, au-delà des tensions, retrouver l'essentiel du credo qui nous avait portés, remonter à la source avant la déchirure, réentendre à nouveau l'appel de Moïse. Il fallait que la foi refît de nous des frères, rende justice à l'opprimé, abolisse tout culte idolâtrique et plonge ses racines jusqu'aux sources de l'antique délivrance, jusqu'à cette mémoire, au coeur même de Dieu où tout prenait naissance. Aujourd'hui, tout un peuple en entendant son roi serait transporté au pied du Sinaï, à écouter son Dieu.
Au centre du pays, il y aurait le Temple, pour célébrer la Pâque, offrir pour le péché les sacrifices lévitiques.L'homme pourrait ainsi transformer en offrande, tout ce que Canaan tentait d'accaparer pour maîtriser la vie. Le peuple serait saint, comme Dieu était saint, séparé de tout autre et ce serait fini de ces jeux d'alliance, où pour s'allier un peuple, on s'alliait à ses dieux. On n'aurait pour allier que le Dieu de nos pères, pour unique Alliance, la Torah de Moïse. Il fallait massacrer les prophètes de Baal, et renverser leurs idoles. Grande fut la fête dans le pays. Comme après le pardon, on retrouve le visage du bonheur, le zèle des origines réanimait le peuple, l'aventure d'antan allait recommencer, on allait repartir à la conquête. Et justement, l'Égypte montait en guerre dans le Nord. Il fallait l'attaquer, la jeter à la mer, comme au temps de Moïse. Jérémie le prophète chantait des hymnes de bonheur.