Seuil 02-séquence-07 Isaïe, Ézéchias
« Les rois sont des gamins, mais Dieu, Lui, est fidèle. »
Cette séquence évoque le contexte historique au regard d'Isaïe :
la disparition du Royaume du Nord, les alliances politiques,
le Sud sauvé de justesse.
"Le danger se précisait au nord."
(Ce paragraphe prolonge l'analyse historique de la fiche 05)
- -724 :
- Salmanasar V attaque la Samarie (2R 17,3s). Osée se rend, mais le siège dure encore trois ans et c'est Sargon II qui pourra se vanter d'avoir pris Samarie en -722.
- -720 :
- L'Égypte cherche à soulever les Philistins de Gaza contre l'Assyrie. Le soulèvement est réprimé. L'Égypte doit payer un tribut à l'Assyrie et les chefs de Samarie, impliqués dans la révolte, sont exilés dans les provinces assyriennes (2R 17,24)
- -712 :
- Nouveau soulèvement, à Ashdod cette fois, soutenu par l'Égypte (Is 20). Des forteresses philistines en direction de Jérusalem sont prises (Gat, Azéqa). Juda pourra-t-il garder son indépendance ?
- -705 :
- La mort de Sargon donne le signal de nouveaux soulèvements. Ézéchias se trouve en tête du soulèvement fomenté par l'Égypte (Is 30,1-5;31,1-3) et Babylone, qui rêve de rivaliser avec l'Assyrie, encourage la sédition (2R 20, 12-19).
- Ézéchias se prépare à un siège en perçant le tunnel de Siloé (2R 20,20) et en renforçant les murailles (Is 22,8-11).
- Il cherche du soutien en direction de Samarie et de Mégiddo.
- Jérusalem devient un centre administratif (on a retrouvé des sceaux à symbole royal datant de cette époque).
- -701 :
- Sennachérib attaque le long de la côte (Tyr, Ashqelon), puis se dirige sur Jérusalem par Eqron.
- Il prend la forteresse de Lakish (relief du palais de Ninive : Is 10,28-32); Michée 1, 10-16).
- Ézéchias paye un tribut insuffisant pour épargner Jérusalem et l'émissaire assyrien le lui fait savoir (2R 18, 17-19).
(Jacques Bernard, Fondements bibliques p 242)
"Isaïe, révolté, dénonce le péché et l'infidélité ..."
Israël ne peut s'asseoir sur sa réalité en proclamant : c'est normal que j'existe, c'est un dû; dans la mesure où c'est donné, c'est normal que ça continue. La "nature" du peuple est sa vocation et sa responsabilité religieuse est de faire "eucharistie", de faire action de grâces. Ainsi, les situations de précarité rappelleront cruellement au peuple sa singulière naissance.
Dieu se présente à Israël comme une Torah, comme un chemin à vivre. Ce modèle va guider le peuple au sein des nouveaux événements dramatiques auxquels il va être confronté. Israël va être questionné : n'y a-t-il pas un nouvel appel de Dieu au travers même de ces événements négatifs ? Nous pourrons même avancer l'idée que le silence de Dieu pourra être interprété comme une nouvelle facette de sa Parole... Bien sûr, toutes les interprétations de ce silence seront possibles : mais toutes renverront à cette visite d'un Dieu qui questionne et responsabilise.
Si Dieu rend justice à son peuple, c'est en s'ajustant à lui et en lui donnant de s'ajuster à son propre désir sauveur. Dieu rend visite à Israël non pour faire les comptes, mais pour rapprocher les points de vue. Dans cette rencontre, force est souvent de constater l'éloignement de ces points de vue, la brisure de la relation après accumulation de malentendus. La question de Dieu révèle la blessure du peuple, l'ambiguïté de ses choix et les malheurs qui en découlent. La visite montre la nudité de l'homme derrière ses masques. Elle révèle sa honte, alors qu'elle devrait provoquer sa joie... Mais ce constat se fait dans l'histoire et la cruauté des événements. Les choix historiques des tribus, des élites, des rois, des théologiens ont entraîné le peuple loin de son âme. L'histoire est donc bien le lieu du jugement, le lieu révélateur du coeur d'Israël.
(Jean-Marie Beaurent, RTP p 138)
"Il prêche la conversion, édicte une réforme..."
Sous le règne de cet enfant roi (Ézéchias), après la chute de Samarie (-721), le royaume du Sud connaîtra un essor merveilleux. YHWH roi a un plan sur son peuple. Après qu'il ait été cherchér les peuples pour détruire Samarie pour son péché (Is 9,7-20) il a permis au Sud de se reconstruire avec les réfugiés du Nord comme au temps, idéalisé dans les "mémoires", d'un royaume de David avant la séparation (Is 9, 1-6). Ézéchias congédie les sanctuaires tribaux au profit du seul Temple de Jérusalem (2R 18, 4). On réunit les traditions qu'ils avaient conservées et on les rassemble en un héritage commun qui les fixe dans un écrit. Égypte et Assyrie règlent leurs comptes sans toucher à Juda (Is 7, 17-20). Juda regarde l'Égypte et l'Assyrie s'entretuer comme une vengeance exercée par son YHWH roi (Is 19). La prise d'Ashdod par l'Assyrie est commentée (Is 20). Juda échappait à tout cela et restait en paix.
Cette situation idéale dura jusqu'en -705. La prophétie d'Isaïe couvre aussi la période suivante, faite de clair-obscur. Ézéchias est convaincu que YHWH roi a un plan pour Jérusalem ! Son site, perché en haut de monts arides qui n'intéressent personne, ne suffisait pas à expliquer qu'elle ait échappé jusque-là à toutes les incursions assyriennes. Or elle avait grandi considérablement et le fait qu'elle soit restée seule en lice faisait d'elle le pôle de tous les foyers de résistance. Elle est sollicitée par l'Égypte en même temps que par Babylone qui souhaitait avoir des amis dans la place. Ézéchias aimerait se laisser convaincre, d'autant plus que le tribut à verser aux Assyriens est lourd. Isaïe s'oppose à l'alliance avec l'Égypte (Is 30, 1-5). Ézéchias fortifie Jérusalem et creuse le canal de Siloë. Isaïe veut une fois de plus éviter la guerre et il dénonce tous ces préparatifs (Is 22).
Hélas, Sennachérib écrase l'Égypte une fois de plus et se dirige sur Jérusalem. Tout semble perdu. Il détruit la forteresse de Lakish et les campagnes environnantes jusqu'à Jérusalem. Ézéchias paye un lourd tribut à Sennachérib pour le dissuader de prendre la capitale (2R 18, 14). Il n'en retire que mépris (2R 19). Isaïe intervient : YHWH roi défendra sa ville (R 19, 20-34; Is 37, 21-35). Sennachérib assiège Jérusalem. Or, voilà que sans qu'on en sache la raison, il repart dans son pays. C'est le miracle ! La victoire, inespérée, est attribuée à YHWH roi. Jérusalem est sauve, seule rescapée de la défaite de l'Égypte et de la retraite précipitée de l'Assyrie. Ézéchias reconnaît à YHWH les attributs royaux de domination sur le monde empruntés aux dieux assyriens. Il peut relire à la lumière de cette foi nouvelle les vieux récits d'Exode et en faire le socle spirituel de la dynastie.
Dans cet enthousiasme, une historiographie de la dynastie pouvait prendre place. De même que YHWH trônait devant l'autel dédié au dieu assyrien, il fallait installer Ézéchias dans une dynastie aussi vénérable qu'ancienne. Tien de tel pour cela que de voir David, le roi berger, siéger dans les fastes de la nouvelle Jérusalem décuplée et prospère. L'histoire de David fut réécrite.
(Jacques Bernard, Fondements bibliques p 242)
(Jacques Bernard, Catherine Le Peltier referen-ciel / Isaïe 7)
"Isaïe est déçu et s'en remet à Dieu ..."
Les événements dramatiques peuvent provoquer le croyant à se poser des questions... mais peuvent aussi le laisser abasourdi. Dieu provoque "à coups de marteau !" Ces événements agissent comme des électrochocs et remettent le peuple en chemin, en situation d'exode... alors même que les événements fondateurs se perdent dans la nuit des temps et que la conquête a réussi à donner au peuple une terre et une relative sécurité.
De grands spirituels, vivant avec les gens la même précarité, vont puiser dans la sainteté de la mémoire les sources d'une nouvelle prière; le don de la grâce ne doit jamais nous faire oublier la liberté de celui qui nous l'a offert. Le prophète n'anticipe pas sur les événements: il devine les enjeux qu'ils portent pour la foi du peuple. il reste que des décisions sont à prendre: dans la paix pour ne pas perdre sa vigilance, dans la tourmente pour ne pas perdre espoir, en tout temps pour ne pas perdre la main de Dieu.
(Jean-Marie Beaurent, RTP p 134)
Le terme hébreu nabi signifie "celui qui est appelé", sous-entendu par Dieu. Ainsi, plusieurs livres font-ils le récit de l'appel des prophètes en soulignant leur faiblesse : "malheur à moi, je suis perdu car je suis un homme aux lèvres impures." (Is 6,5) C'est bien YHWH qui appelle, envoie et donne la force de porter un message, souvent à contre-courant des évidences et des intérêts à courtes vues.
Le terme prophète en grec désigne celui qui parle à la place de, une sorte de porte-parole. En traduisant nabi par prophète, les traducteurs grecs de la Septante ont surtout voulu éviter les termes désignant les devins. (Dt 18, 10-11)
Le prophète biblique n'est pas un devin comme dans les autres royaumes de l'époque. Son message est à entendre dans un contexte historique et religieux précis. il éclaire la situation en faisant surgir la permanence et la nouveauté de l'Alliance.
Le prophète se distingue par le fait qu'il porte dans son coeur l'histoire de Dieu avec son peuple. Il est habité par l'Alliance. C'est cette Alliance qui lui donne de voir ce que les autres ne voient pas et d'accueillir la nouveauté de la situation, souvent inacceptable pour ses contemporains.
C'est encore au nom de l'Alliance qu'il a l'audace d'interpeller le peuple et ses chefs, parfois en s'opposant au pouvoir politique et religieux, toujours en dénonçant le péché, y compris celui des rois. Il permet au peuple de garder la foi vive, envers et contre tout. le souffle puissant des débuts doit inspirer le quotidien. Bien plus, grâce à lui, la foi franchit des seuils et s'ouvre à des dimensions insoupçonnées. Ainsi l'Alliance s'approfondit-elle.
(Catherine Le Peltier, EFB / 151-152)
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De fait, le danger se précisait au Nord. L'Assyrien revenait, plus puissant que jamais. Le royaume frère allié de Damas et d'autres petits rois, voulaient nous entraîner de force dans leurs jeux d'alliances. Attaqué dans le Nord, harcelé dans le Sud, le roi perd la tête, et contre l'avis du prophète, se jette dans les griffes du puissant Assyrien. Isaïe révolté, dénonce le péché et l'infidélité, mais faut-il pour autant, désespérer de Dieu lorsqu'un roi a failli ? Il reporte sa foi sur le jeune dauphin qu'on élève à la cour, dans l'attente de jours meilleurs. Quelques années plus tard, Samarie effondrée était démantelée aux quatre coins du monde. Le peuple de l'Exode est rayé pour moitié de la carte des peuples. Les rescapés du Nord se replient sur le Sud, y cherchent un refuge. Tout le monde prend peur. Le prophète Michée annonce la ruine de Jérusalem.
C'est l'heure où le jeune roi, espérance d'Isaïe, accède à la couronne. Il prêche la conversion, édicte une réforme... on se remet à espérer. Hélas, lui aussi s'affaire à l'inutile, renforce les remparts, les alimente en eau, compte ses cavaliers, pour enfin, demander l'alliance d'Égypte ! Isaïe est déçu et s'en remet à Dieu : les rois sont des gamins, mais Dieu, Lui, est fidèle. Il ne permettra pas que Sion soit détruite. Une nouvelle fois, l'Assyrien envahit le pays, il est là, sous nos murs... Lorsque, par un miracle, il retourne chez lui. Et, une fois encore, personne n'a compris. On se croyait sauvé, l'on faisait la fête. Bientôt Manassé succèderait à Ézéchias, et il faudrait enterrer l'espérance avant qu'elle ait germé !