Seuil 02-séquence-06 Isaïe

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« Isaïe avait eu une vision dans le Temple...
Dieu va venir brouiller les cartes de l'histoire. »

 

Le rouge du feu dit le sacré, le divin (33), l'ouverture au mystère (34), l'expérience d'Isaïe (Is 6) dans le Temple, sa vision indicible (35) : il voit YHWH intronisé de manière solennelle (chant) (36). Isaïe découvre la majesté, la transcendance de YHWH (37-38) qui est maître de l'histoire et transforme la réalité. Cette vision mystique (39-40) d'Isaïe se heurtera aux ténèbres (41), à l'incompréhension du peuple (42)

 

Médite, creuse, interroge
  Exégèse-problématiques 

 

"Isaïe avait eu une vision dans le Temple..."

Isaïe a sa vocation l'année de la mort d'Ozias (Is 1,1). Celui-ci est l'un des derniers rois dans l'ascension de la dynastie vers Ézéchias. Son fils, Yotam, qui lui succède en -740, est lui aussi agréable à YHWH, même si les hauts lieux ne dispararaîtront qu'avec Ézéchias (2 R 15, 22-25)

Dans le récit de sa vocation, Isaïe voit YHWH installé, à la manière assyrienne, comme un roi dans le temple (Is 6, 1). Il est, lui aussi, entouré d'anges qui le disent trois fois "qadosh/séparé" et son manteau remplit tout le Temple, ne laissant aucune place au dieu rival. Encore une fois, pour combattre le dieu ennemi, on emprunte son rituel et on installe YHWH à sa place. Le Dieu du père, qui suivait son peuple au désert après avoir connu les attributs de Baal, est maintenant assis dans son propre temple sur le trône des dieux assyriens. Isaïe, à la manière d'Élie, mais avec un tout autre dieu comme adversaire, préparait son peuple à vivre ce qu'Achaz était en train d'imposer comme épreuve à la foi. Il pallie au danger d'idolâtrie par un nouveau modernisme. YHWH est, comme le dieu assyrien, un roi qui trône dans le Temple. Ces attributs royaux donnés au Dieu des ancêtres semi-nomades en changeaient toutes les dimensions; Il avait maintenant 'un plan sur le monde" (Is 6, 11-13). Lui aussi n'avait qu'un mot à dire pour que les peuples lui obéissent. Il dirigeait mystérieusement le guerres dont on croyait subir les méfaits. Isaïe accueille cette mission. Il devra veiller à ce que les fidèles acceptent ce nouveau défi de la foi, qu'ils abandonnent les critères d'autrefois, acceptent de "voir sans comprendre", sous peine de "retourner en arrière" en pensant y trouver la guérison (Is 6, 9s). Isaïe voit ainsi se dérouler l'histoire devrant lui.

"Dieu va venir brouiller les cartes de l'histoire..."

Après Damas, Samarie est vaincue à son tour (-721) malgré un appel à l'Égypte rapidement défaite. Les chefs de Samarie sont dispersés sur le territoire assyrien (2 R 17, 24-28). La victoire des Assyriens sur la coalition allait amener les réfugiés de Samarie dans le Royaume de Juda, dont ils décupleraient la population. Béthel, l'antique sanctuaire des tribus du Nord, servirait de mirador aux troupes assyriennes pour surveiller la frontière du Sud.

Isaïe a maintenant trop confiance en la royauté de YHWH et à son plan sur le monde pour entrer dans le jeu politique. Il sait que Menahem, dans le Nord, a déjà payé tribut à l'Assyrie. Devant les attaques de Péqah et de Raçon, il veut convaincre Achaz : celui-ci n'a rien à craindre de "ces deux bouts de tision fumant" qui veulent entraîner le Sud dans la guerre (Is 7, 4-9). C'est pourquoi il s'oppose à Achaz. Il le menace en évoquant la succession du jeune dauphin Éséchias dont il a la tutelle: "Voici que la "Alma" (la reine à son premier enfantement) va mettre au monde [ mettre sur le trône royal ] un fils" (Is 7, 14). On est en -733. "Avant que l'enfant ait douze ans, elle sera désertée, la terre dont tu redoutes les deux rois", Péqah et Raçon (is 7, 16). C'est ce qui arrivera de fait en -721. L'enfant aura alors douze ans, l'âge où, avec la puberté, on entre en adulte dans la religioon, devenant capable de "rejeter le mal et choisir le bien" (Is 7, 16) et, de ce fait, apte à exercer la fonction royale.

(Jacques Bernard, Fondements bibliques p 240)

  (Référen-Ciel : Isaïe 6)

 

  Théo/Philo-problématiques 

 

"Les lèvres d'Isaïe purifiées par le feu ..." 

(Différente de la réponse philosophique à la manière de Kierkegaard ou de Heidegger, pour qui c'est le butoir de la mort qui donne son ressort à l'histoire, et la manière individuelle dont l'homme l'affronte, la foi biblique atteste la primauté du salut, de la délivrance en peuple.)

La foi d'Israël est née comme un événement communautaire et non d'abord comme une décision subjective. Même si la personne individuelle va prendre de plus en plus d'importance dans l'évolution religieuse d'Israël, elle ne se détachera jamais de l'aventure populaire.

D'autre part, la liberté, pour un croyant biblique, ne s'éprouve pas d'abord dans l'expérience de la décision, mais dans celle de la délivrance en vue de la louange et de la responsabilité.

(Jean-Marie Beaurent, RTP p 132)
 

"un tourbillon d'anges dont le chant proclamait à la terre la sainteté de Dieu. Saint, saint, saint est le Seigneur..." 

(De plus, même si les réponses philosophiques de Kant ou de Bloch, marquées par l'espérance, sont plus proches de la foi biblique, elles n'attestent pas suffisamment cette transcendance, ce dépassement vécu à l'intérieur même de l'histoire. La vocation prophétique, celle d'Isaïe ici, l'affirme au contraire avec intensité. La pensée de Lévinas permet de l'approcher.)

Le tissu de tragédies qu'est l'histoire est en même temps le lieu où la transcendance de l'autre fait irruption dans le cercle tranquille de la jouissance où le moi se réfugie. Ce regard qui me vise au travers du spectacle que je me fais de lui, à la fois me supplie de l'accueillir non comme un objet mais comme un sujet et à la fois m'élève à une dignitié éthique en suscitant en moi cette responsabilité. Et, sans cesse, le tiers vient rompre le cercle douillet du dialogue pour m'interpeller et m'appeler à un accueil sans limite.

Cette aggravation de la responsabilité, voilà ce que Lévinas salue comme la trace de la "gloire", au sens où la langue hébraïque utilise le mot Kabod pour désigner le "poids" de la présence divine, la force de son rayonnement et la gravité de ses exigences.

On devine que ce propos est guidé de bout en bout par l'intuition prophétique pour qui la révélation du Dieu biblique est en même temps l'engagement dans une aventure éthique..

(Jean-Marie Beaurent, RTP p 134)

Parle
  Exégèse-thèses 

 

"...une vision grandiose... "

La vision d'Isaïe révèle la sainteté de YHWH :"saint" - kaddosh - c'est-à-dire "séparé" ; YHWH est autre, il ne correspond pas à ce qu'on croyait de lui.

YHWH est roi : contrairement aux évidences, c'est YHWH qui règne et non le puissant dieu assyrien. C'est YHWH qui mène le jeu, malgré les apparences, il est maître de l'histoire - c'est-à-dire maître de ce qui se passe en ce lieu et à ce moment. 

 

Le prophète est impur et habite un peuple impur : cette impureté est due à l'alliance que le roi Achaz a fait avec l'Assyrie qui se manifeste par la présence du dieu assyrien dans le Temple de YHWH ; Dieu seul peut purifier.
L'endurcissement du cœur : lorsque Dieu parle à son peuple, c'est pour le guider, l'éclairer. Ici sa parole se fait ténèbres et provoque une crise. Il s'agit de renoncer à s'appuyer sur les repères connus de la foi pour entrer dans de l'inconnu. Pour cela, le peuple n'a pour appui que la parole du prophète. Il doit accepter de ne pas comprendre, de ne pas voir, car il risquerait de se "convertir", "de retourner en arrière" c'est-à-dire de croire qu'en revenant à YHWH, en se coalisant avec le royaume frère contre l'ennemi, il aura la victoire. Le peuple ne doit pas se fier à ce qu'il connaît de la foi, mais mettre sa foi en YHWH, alors même que les signes extérieurs de sa Présence s'effacent ou se brouillent.


Pourtant, c'est bien YHWH qui mène le jeu.


Isaïe affirme la distance entre les vues humaines et le plan de YHWH. La pédagogie de Dieu ne passe plus par la conversion qui conduit à la victoire, mais par la fidélité à YHWH envers et contre tout. C'est dans le creuset de l'épreuve que l'or de la foi pourra sortir purifié (Is 1,25). 


Il y a ici un pas décisif vers le monothéisme d'Alliance.

(Jacques Bernard, Catherine Le Peltier referen-ciel / Isaïe 6)
Cf. Référen-Ciel : Situation historique et biblique du 1° Isaïe

 

  Théo/Philo-thèses 

 

Dieu "maître du monde" ?

Nous trouvons dans le premier Isaïe la première expression d'un plan de YHWH sur le monde (Is 5, 19) À l'inverse du premier seuil, le péché fait obstacle au plan de Dieu (Is 5, 18). YHWH semble venir se battre contre son peuple (Is 5, 25-26). Le chant de la vigne (Is 5, 1-7) à la fois dit l'amour de Dieu pour son peuple et annonce la destruction en raison du péché. En s'ajustant à nous, en se rapprochant de nos situations, en faisant peser sa présence, il révèle ce que nos chemins ont d'aventureux et d'égoïste. En ce sens, les événements sont bien porteurs d'une révélation, d'une intervention, d'un jugement de Dieu : non que l'histoire déroulerait un plan divin, ou qu'elle serait divine elle-même... mais bien parce qu'elle est la mise à nu de l'homme.

(Gam 2d seuil, p 60)

Cf. Jean-Marie Beaurent, RTP pp 136-138 (fiche II-03: Révélation et histoire)

"...pour qu'en entendant, vous ne compreniez pas..!"

Isaïe dénonce avec véhémence ce qui entre en concurrence avec la grandeur, la sainteté de Dieu (Is 2, 17-18) : l'arrogance et l'insulte (3,8), l'exaltation de la sagesse humaine (5,20-21;29,14), les constructions fastueuses (22,16) et l'étalage du luxe (3, 16; 32,9-11), l'injustice sociale et l'élitisme (1, 15-17), les projets diplomatiques et militaires mensongers au mépris de Dieu (28, 14-15). Il dénonce aussi les enfantillages des rois (3,4) et les cultes magiques : Achaz sacrifie son fils au Moloch (2R 16,3)

Mais comment comprendre Is 6,10 : "Appesantis le coeur de ce peupme..." ? Dieu pourrait-il vouloir empêcher la conversion de son Peuple, lui pervertir le coeur ?

L'état de crise est un passage obligé pour accueillir une nouvelle révélation. Renoncer à s'appuyer sur les repères utilisés jusqu'ici (premier seuil) et s'appuyer sur la seule parole phophétique est nécessaire pour perdre toute certitude dans la manière de comprendre.

"Appesantis le coeur de ce peuple" ne veut pas dire que Dieu se sert de sa puissance pour égarer son peuple, mais que lui, YHWH-Dieu est maître de l'histoire et qu'il appelle son peuple à entendre et recevoir quelque chose de nouveau. Ce n'est pas Dieu qui doit répondre aux attentes de son peuple, mais le peuple qui doit recevoir une vision nouvelle de l'histoire et une vision nouvelle de Dieu.

(Gam II-6, p60)

Contemple
sq-ii-06-Isaïe (vocation), © Jean-Noël Michalik

 

Mais voilà qu'au milieu de cette cour de  prophètes, un trouble-fête avait surgi. On l'aurait bien fait taire, mais il était de si bonne famille. 

Isaïe avait eu une vision dans le temple, une vision grandiose, dans un tourbillon d'anges dont le chant proclamait à la terre la sainteté de Dieu. Saint, saint, saint est le Seigneur. Les lèvres d'Isaïe, purifiées par le feu, annoncent le malheur. 

"Dieu va venir brouiller les cartes de l'histoire, Il va prendre les armes, se battre contre vous. Voici venu le temps de l'endurcissement,tout se passera  pour qu'en entendant, vous ne compreniez pas, pour qu'en voyant, vous ne puissiez saisir, que votre coeur s'endurcisse et que vous ne vous convertissiez point."


Qu'est-ce que cela voulait dire ? Était-ce la fin d'un monde ? La fin d'une croyance et le commencement du malheur ?

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