Seuil 02-séquence-01 Nouvel horizon

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« On ne voyait pas que tout changeait d'échelle »

Cette séquence introduit aux grands thèmes du 2ème seuil:
1- la Mémoire : Prophètes et sanctuaires portent le "credo" du 1er seuil et permettent à la foi de survivre, de se creuser.
2- la dimension Géopolitique: Israël et Juda se trouvent propulsés dans d'autres histoires, d'autres alliances où ils ne seront plus qu'un fétu de paille.
3- la dégringolade, le chaos : l'histoire n'est plus en faveur du petit peuple, mais semble au contraire vouloir l'anéantir.

 

Médite, creuse, interroge
  Exégèse   

 

"Le peuple de la conquête était devenu un royaume divisé." Rappelons-nous la trajectoire depuis l'origine...

La documentation archéologique et textuelle, dans les limites où on peut les coordonner entre elles, nous permet de reconstruire un parcours doté d'un sens, cohérent dans ses liens de causalité et de contextualité, dans ses rythmes temporels, dans ses variantes locales, un parcours que l'on peut donc définir comme "normal", en ce sens qu'il est historiquement plausible. En voici les grandes lignes.
Après l'effondrement du système politique et culturel de l'âge du Bronze, qui était centré sur les cités palatiales, sous l'effet conjugué de pressions internes et externes, tout le territoire dut se restructurer selon de nouvelles perspectives. Les XII° et XI° siècles enregistrent une croissance démographique progressive, et l'introduction de nouvelles techinques de contrôle du teritoire et d'exploitation des ressources, où l'élément pastoral pèse d'un poids plus grand que lors de la période précédente. À côté d'éléments de continuité concentrés sur la côte (cités philistines et phéniciennes) et dans le nord de la Syrie (États néo-hittites), on assiste à la lente coagulation de nouvelles entités politiques, à base tribale et perspective "nationale". Parmi ces nouvelles entités, notre ouvrage étudie tout particulièrement celle d'Israël (centre-nord de la Palestine) et celle de Juda (sud).
Ce n'est que lentement, et nous pourrions dire péniblement, que, au cours des X°-IX° siècles, ces nouvelles formations politiques se dotent de structures étatiques solides, de formes d'urbanisme et d'architecture remarquables, d'organisations administratives foctionnelles. Le processus est plus rapide au nord et sur la côte, grâce aux éléments de continuité dont nous avons parlé, puis s'étend vers le sud et vers l'intérieur des terres. Durant cette phase, toute la bande syro-palestinienne jouit de l'indépendance politique, peut disposer de ses propres ressources, peut élaborer une culture qui lui est propre.
Cette évolution atteint son apogée, aussi bien sur le plan démographique que sur celui des réalisations culturelles, aux IX°-VIII° siècles au nord, aux VIII°-VII° siècles au sud. Les centres néo-hittites comme Karkémish et Patina, araméens comme Alep, Hamat, Damas, phéniciens comme Arwad, Biblos, Tyr, Sidon, philistins comme Gaza et Ashdod, israélites (Samarie et Megiddo), judéens (Jérusalem), et transjordaniens (Rabat Ammon, Bosra) donnent naissance à une culture extrêmement dynamique, dont témoignent d'importantes réalisations dans tous les domaines : urbanisme, architecture, art et artisanant (métallurgie, ivoire), épigraphie et administration (avec un emploi croissant de l'écriture alphabétique), littérature et religion.

"Tout changeait d'échelle !" ... et l'énorme crise imminente.
Le monde du Levant, un monde riche et prospère, animé et original, entra en crise devant la montée des forces impériales : tout d'abord les Assyriens (entre 750 et 640), puis les Babyloniens (entre 610 et 550) intervinrent en force dans la région, sous l'impulsion indubitable de leurs idéologies expansionnistes et totalitaires, mais attirés aussi de façon fort concrète par le prestige économique et culturel de la région. Le schéma se répète : ils nouèrent tout d'abord des rapports commerciaux, puis soumirent les royaumes au tribut, enfin conquirent, annexèrent, détruisirent et déportèrent. Si l'intervention impériale, dans un premier temps, eut des effets bénéfiques en insérant les économies locales dans des circuits régionaux plus vastes, dans la seconde phase, elle fut absolument désastreuse.

(Mario Liverani, La Bible et l'invention de l'histoire p 271-272)

 

 

   Théo/Philo   

 

"Il était loin le temps de la conquête où nous avions pris corps..." Souvenons-nous...

Juste avant la crise, Israël vient de faire une découverte fondamentale. Les croyants découvrent, avec l'aide des prophètes, que Dieu a fait vivre à son peuple des événements d'une portée considérable. Israël n'a pas pu les comprendre en une seule fois. Dieu est une immense mémoire qui re-suscite sans cesse le présent du peuple: chaque génération se retrouve brûlée au feu du Sinaï pour découvrir une nouvelle facette tu mystère.
Le "mémorial" invite Israël à se remémorer sans cesse l'appel de la Torah comme un enjeu actuel, comme une urgence, comme une ouverture sur l'avenir, comme une parole qui engage le futur. Se recevoir de cette parole, c'est la garantie d'une promesse, d'une espérance en son salut, d'une certaine unité au travers des générations, d'une certaine stabilité nationale, même si on sait que c'edst là un cadeau et que Dieu peut toujours reprendre ce qu'il a donné. La Parole mystérieuse du Sinaï demande à Israël de ne plus habiter le pays promies comme un territoire à conquérier et à exploiter "comme les autres". Israël est unique comme son Dieu est unique. Il faut sans cesse retourner au contrat des fiançailles, à l'Allilance qui scellait leur amour depuis les origines, pour en retrouver l'esprit. Car il s'agit bien d'amour, d'une élection dans laquelle Israël est pathétiquement appelé à se replonger.
Les devarim (paroles-événements-avènement) sont donc menés jusqu'à une grande profondeur. L'Exode, le Sinaï, la Torah font entrer Israël dans le mystère de Dieu; et il continue de discerner les échos de cet appel dans les événements d'aujourd'hui. il le fait avec beaucoup de sainteté lors de la grande réforme de Josias. Il recentre toutes ses forces autour d'un culte purifié, d'un roi spirituel, d'une terre-sacrement à sauver comme au temps de Josué.
Soudain les événements se retournent et les grands signes de l'Alliance se vident de toute réalité : plus de terre, plus de roi, plus de temple...

Seuil...

Une série d'événements va se produire, à partir desquels plus rien ne sera comme avant. Israël va vivre une crise très grave.
Nous entendons le mot "crise" au sens étymologique du terme krisis. À vrai dire, toute épreuve oblige à un discernement : soit parce qu'on est invité à redire ses repères, soit parce qu'on est contraint à en changer. Inversement, tout discernement est une épreuve, parce q'uil remet en place une hiérarchie de valeurs que la vie ordinaire ne distingue pas forcément clairement... et cette remise en cause fait souvent très mal. Toute épreuve révèle le coeur des gens : Israël va vivre un crise analogue. Il va être éprouvé comme l'or fin dans un creuset. L apart d'or et celle des scories vont apparaître. Israël va se trouver réduit à presque rien, il va perdre ses assurances institutionnelles et spirituelles. Ses communautés vont être dispersées au risque de ne plus percevoir le sens de leur unité...
Et cependant, comme toujours, ce sont ces événements qui vont imprimer dans le peuple un souffle nouveau et faire apparaître l'avènement d'une Parole paradoxale, traversée par un silence tout à la fois inquiétant et profond. De cette crise naîtra le judaïsme, témoignage admirable de foi monothéiste, du martyre, de la prière et du péché, de la dimension éthique de la révélation.

(Jean-Marie Beaurent, RTP/120)

Parle
   Exégèse   

 

"... la bourrasque des armées qui allaient ravager le pays."

Assyriens et Babyloniens abservèrent des stratégies différentes pour le contrôle et l'exploitation des payas conquis, mais ils obtinrent un même résultat : ils cassèrent brutalemtn aussi bien la croissance démographique que l'exploitation capillaire du territoire, et l'originalité créative et culturelle de ces pays. Il n'y avait plus délites locales pour commander des oeuvres d'architecture ou d'artisanat, pour promouvoir des débats d'idées : les "restes" des populations subirent ainsi un processus de déculturation, bien connu également dans d'autres cas analogues, mieux documentés, de conquête impériale et de mélange ethnique forcé. En quelques décennies, échelonnées en succession du nord vers le sud, tous les royaumes, tous les peuples qui avaient donné naissance à ce monde levantin si animé du second âge du Fer s'effondrèrent, démographie et culture réduites à leur minimum : c'est la fin d'une époque, la fin d'un monde, quelque chose que les livres d'histoire de type traditionnel n'arrivent pas à visualiser de façon adéquate, mais qui constitue en réalité un événement historique crucial : car la crise d'identité va devenir à son tour point de départ pour une nouvelle trajectoire..

(Mario Liverani, La Bible et l'invention de l'histoire p 272)

Comment la foi en YHWH peut-elle encore trouver sa place dans un tel contexte ? Des prophètes vont, avec force et lucidité, annoncer le malheur qui se profile à l'horizon. Incompris, souvent seuls car rejetés, ils appellent à rester fidèle à Dieu, même dans la défaite. Ce sont eux qui permettront à la foi de tenir en se creusant. Dieu aime son peuple depuis toujours et pour toujours. C'est à cette source, dont la profondeur se découvre peu à peu, qu'il faut revenir et à laquelle il faut puiser.

(Catherine Le Peltier, EFB/138-139)

referen-ciel : La Bible et les grands empires

referen-ciel : Grands repères (jusqu'à 4'45'')

   Théo/Philo   

 

"Israël divisé ne serait plus que paille emporté dans la bourrasque des armées qui allaient ravager le pays."

Le Sacrifice d'Abraham, © Rembrandt Harmenszoon van Rijn (1635)

Israël a reçu son avenir des mains de Dieu et voici ses fils partis en exil, promis à l'extermination. Dieu se mettrait-il à réclamer des vies comme le Moloch ? Déjà l'autel du sacrifice est dressé et le vieil Israël - Abraham - se résout à voir son avenir - Isaac - partir en fumée... Soudain les événements se retournent : Dieu retient la main du sacrificateur. Israël aura un avenir et pourra offrir l'holocauste du bélier dans un temple rebâti.

(Jean-Marie Beaurent, RTP/image 4)

Contemple

 

Le peuple de la conquête était devenu un royaume divisé. Au sud, il y avait les descendants de David, le Temple et Jérusalem. Au nord, il y avait les prophètes, Sichem, et les sanctuaires qui avaient été le berceau du peuple.

Il était loin, le temps du coude à coude où nous avions pris corps, quand nous existions à peine et qu'il avait fallu changer de vie en s'installant dans le pays, se battre pour que l'essentiel ne soit pas perdu. Des hommes de Dieu nous y avaient aidés. Et puis la roue avait tourné.

Parvenus au sommet, on était retombés, entraînés par le poids même du succès, incapables de vivre autrement que ceux que l'on avait combattus.  Les Cananéens contre lesquels on s'était forgé son âme, étaient assimilés, dissous dans le pays, d'autant plus dangereux qu'on ne les craignait plus. L'entraide fraternelle pour bâtir le pays avait cessé. C'était la division, les guerres anonymes et toutes ces alliances  où peu importe avec qui on s'allie du moment que l'on gagne.

Et l'on ne voyait pas que tout changeait d'échelle. Qu'à peine devenu peuple, Israël divisé ne serait plus que paille emporté dans la bourrasque des armées qui allaient ravager le pays.