Seuil-01-séquence-6-Sichem, Sinaï

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« Sichem, tu nous as vu tout partager,
notre histoire, nos traditions les plus sacrées. »

 

L’ensemble de cette séquence dont les tons évoquent le sacré (doré et vert), prend le relais du mythe ; mais désormais, c’est l’histoire qui devient sacrée. Dans le regard mémorial, intemporel, de ceux qui reviennent d’Égypte (63), on se souvient des origines. On voit déjà en Sichem (67-68) le lieu d’unification des tribus (69.70.71), du Credo (67.68), des traditions (64.65.66). L’Alliance découverte dans le quotidien de l’installation est célébrée à Sichem ; toutes les petites expériences d’alliance sont relues à la lumière de la grande Alliance du Sinaï. En arrière-fond, il y a toute l’assimilation-rejet qui fera l’objet de la séquence suivante.

Médite, creuse, interroge
  Exégèse-problématiques 

 

L’histoire est présentée comme si l’unité était pleinement réalisée à Sichem, une unité pré-monarchique. Ceci est dû à la relecture sacerdotale qui a fait de Sichem un lieu sacré. Certes, le récit de Sichem en Jos 24 porte les traces d’un traité archaïque, mais déjà toutes les tribus promises sont là, toute l’alliance promise. Il s’agit d’une vision rétrospective : après la division du royaume du nord et du royaume du sud, et en particulier à l’époque de Josias, dans la théologie du mémorial (63), Sichem deviendra en quelque sorte le Sinaï, auréolé d’une densité spirituelle et théologique (72). Toutes les petites approches précédentes (67-68) de l’Alliance deviennent la grande Alliance du Sinaï (63n72). (Gam 1er seuil, p88)
 

La Bible porte la mémoire de l’installation de tribus en Canaan. Mais comment cette installation s’est-elle faite ? Par une conquête triomphale, telle que le livre de Josué la raconte ? Ou bien par une sédentarisation très progressive, comme le livre des Juges le laisse penser ? Comment les tribus se sont-elles unifiées ? Autour de quoi ? Quelle était leur foi ? Et cette Alliance avec Dieu dont parle la Bible, comment est-elle née ? Les sources historiques, archéologiques et bibliques montrent que le peuple d’Israël s’est constitué très progressivement. Au temps des Juges, vers les XIe et XIIe s. av. J.-C., des tribus semi-nomades du désert s’installent et se fédèrent. Elles sont rejointes par certains groupes autochtones, tel que celui de Déborah.

Pour passer à ce nouveau type de vie sédentaire et agricole, les tribus semi-nomades doivent assimiler les coutumes du pays, qui sont nécessairement liées aux cultes à Baal, à Astarté. Pourtant, ces tribus restent attachées au Seigneur le Dieu compagnon du désert, qui, tant de fois, les a sauvées… Elles doivent donc choisir entre la fidélité au Dieu pèlerin et les cultes aux dieux installés du pays, censés assurer la stabilité, la fécondité et la réussite. C’est à travers ce choix, au travers aussi d’infidélités et de pardons que, peu à peu, la foi se précise et s’affermit.

(Catherine Le Peltier, EFB p 94)

  Théo/Philo-problématiques 

 

Quel fondement fait l’unité ?

Sichem, tu nous as vu tout partager. »

Qu’est-ce qui est assez puissant pour faire l’unité entre groupes d’origines, de cultures, d’histoires différentes ? Comme c’est une des caractéristiques du peuple chrétien que de rassembler des personnes de milieux, de pays, de cultures, de générations, de sensibilités différentes.
Le fondement de l’unité des tribus est dans l’expérience du salut : les tribus, quoique différentes, reconnaissent un même Dieu Sauveur. Contrairement à ce qui se fait dans les civilisations fondées sur le mythe, il n’y a pas de conquête ou d’annexion et de hiérarchisation des divinités. Ainsi, c’est l’expérience qui va être déterminante pour la foi : nous nous reconnaissons « sauvés » et déjà « choisis » non pas à cause de nos qualités, de nos mérites, mais « par grâce » ; parce que nous étions faibles, petits, incapables de nous en sortir seuls, il est venu et nous a « tirés des eaux ». (Cf. « Moïse » = « tiré des eaux »).

Comment une  « loi » peut-elle être  reçue de Dieu ?

«Dieu l’avait demandé du haut de la montagne. »

Nous traduisons de manière pauvre le terme « Torah » par « loi ». Torah veut dire beaucoup plus que cela : « direction », « sens », « orientation ». Si les dix commandements se sont élaborés peu à peu au cours de l’histoire du peuple d’Israël, il n’en reste pas moins que le peuple a fait l’expérience de recevoir une nouvelle direction, une nouvelle orientation qui va saisir et traverser toute sa vie. Cette Torah est reçue du Dieu Sauveur. Elle est donc liée au salut et à la naissance du peuple, liée à la rencontre de ce Dieu tout Autre. On raconte les événements qui ont permis cela, les points de repères qui nous empêchent de perdre la boussole, de perdre notre âme.

 

Quel lien entre la vie quotidienne, l’histoire et le culte ?

«…Heureux de découvrir récoltes et vendanges et les fêtes où l’on offrait à Dieu les fruits de la promesse. Dieu donnait tout cela… »

Cette nouvelle existence avec les autres et avec Dieu est intrinsèquement liée à la rencontre de Dieu dans l’histoire, la manière de vivre au quotidien (orthopraxie) et le culte qu’on rend à Dieu (orthodoxie) sont donc inséparables.
 (Gam 1er Seuil, p90)

Parle
  Exégèse-thèses 

 

Le livre de Josué, qui raconte la conquête de Canaan par les Douze tribus d’Israël comme une guerre sainte et radicale, ne correspond pas aux données archéologiques et historiques de l’époque. Ce livre a été écrit en partie au temps de Josias. Il tente d’idéaliser l’implantation dans la terre où coulent le lait et le miel. Les prêtres après l’Exil ont également apporté leur touche à cet écrit. (EFB , p 96)
Relectures de l’Exode

On se rappelait les « Exodes d’antan ». Ainsi naquit un texte écrit pour que tout le monde puisse s’y reconnaître, quelles qu’aient été les expériences inscrites dans les mémoires. On devrait y retrouver Déborah et le Qishon (Jg  5) Josué et le Jourdain (Jos 3), Moïse et la sortie d’Égypte (Ex 14) Les différents récits illustraient un acte de foi commun, un credo unique.
Chaque période ajouterait sa propre note, un trait de son paysage familier, et finalement sa théologie particulière. Lorsque, dans le contexte de la sortie de l’Exil, on découvrirait que le Dieu YHWH est le seul Dieu du ciel et de la terre, on raconterait l’Exode comme on racontait la création du monde dans les grands mythes babyloniens. Le peuple sauvé, passerait entre les murailles d’eau rappelant le partage du monstre marin pour qu’apparaisse la terre (Is 51,9 et Ex 14,22). Le nom, YHWH, serait porté au pinacle du « buisson ardent » par les prêtres après l’Exil (Ex 3,14). En Égypte hellénisée, on traduirait le « Je serai avec toi qui je serai » à la manière des philosophes : « je suis Celui qui suis ». Et puis, la tradition de l’Exode continuerait à se développer chez les juifs après l’Exil et chez les chrétiens jusqu’à nos jours.
(Jacques Bernard, LFB, p 140)

Cf. Referen-ciel : Sichem

Cf Referen-ciel : Jos 24

  Théo/Philo-thèses 

 

« Inter-dits » !
Les commandements ne sont pas des contraintes physiques ou militaires : ils désignent les points sensibles de l’existence où l’esprit de l’Exode va devoir marquer ses distances d’avec l’ancien monde qu’on a quitté. Ce sont des balises, des points de repère, qui indiquent un chemin sur lequel le peuple est attendu.
Une des premières conséquences de la révolution religieuse que vit Israël, c’est l’interdit porté sur la magie et sur la consultation des morts. Israël n’a pas à exiger de Dieu et des ancêtres d’être au rendez-vous de ses désirs. Il a quitté l’Égypte, ses pratiques « convocatoires » et son culte des défunts. Seul « Celui qui sera avec » détient la clé de son avenir. Il doit recevoir le fruit de l’arbre de vie et non le prendre.
Mémoire
Elle doit garder et transmettre la trace du passage d’un dieu nouveau, imprévisible, interrogateur. La mémoire n’est plus là pour transmettre des héritages génétiques, ethniques, culturels, sociaux ou politiques, elle devient ouverte ; elle peut se partager avec d’autres tribus, cumuler des faits nouveaux et dérangeants. Car ce qu’elle transmet c’est le souvenir vivant d’un dieu qui a parlé et continue de nous rassembler pour nous sauver des oppresseurs. Mémoire historique et mémoire partagée.
Peuple
Israël est suscité par un appel historique qu’il lit encore dans les situations contemporaines. Compagnon de route d’un dieu irreprésentable, il devient interprète de son propre chemin, discernant les hauts et les bas de sa vie, la volonté de son Sauveur. Il est essentiellement convoqué, rassemblé, appelé à un rendez-vous… en vue de ce discernement.
(Jean-Marie Beaurent, RTP  pp80-81)

Contemple
Sichem // troupeaux (3ème image) © Mess'AJE

Sichem ! Sichem ! Tu as vu naître un peuple. Avant même que Juda eût réuni des frères, tu as vu nos premiers pas dans le pays. Tu nous as vu commencer à vivre, comme nous avions rêvé de vivre. Élevés au désert, hommes de transhumance, on recevait de Dieu la terre où arrêter nos pas. Et il nous fallait tout apprendre à la fois, du labour aux semailles, heureux de découvrir récoltes et vendanges et les fêtes où l’on offrait à Dieu les fruits de la promesse. Dieu donnait tout cela, heureux de s’arrêter, lui aussi, dans un lieu, de fixer sa demeure en Béthel ou Silo, comme les autres dieux de la terre et des cieux. Sichem, tu nous as vu tout partager, notre histoire, nos traditions les plus sacrées, celles de nos ancêtres et celles de leurs dieux. En vénérant Jacob, chacun devenait frère, les fils de Léa comme ceux de Rachel ! Tous allaient se trouver confondus dans la même histoire, celle qu’on appellerait un jour « l’Histoire ». Ensemble, on apprendrait à cultiver la terre sans vénérer ses dieux, ses baals, ses prêtresses et ses cultes magiques. Dieu l’avait demandé du haut de la montagne, quand il avait parlé aux tribus de Moïse. Telle serait notre Loi, transmise d’âge en âge..