Seuil-01-séquence-4-Déborah
Onglets principaux

« Il y avait d'autres dieux que ceux que nous connaissions,
des dieux qui étaient avec nous. »
Cette séquence raconte un événement historique peu connu mais rapporté dans un style archaïque au livre des Juges.
Après avoir évoqué le couple royal (séq. précédente), on ne voit que trois enfants : ce n'est pas l'aventure de l'homme qui se libère par lui-même... Mais celle d'un petit peuple de la plaine qui s'est trouvé une héroïne (43); sa prophétesse exprime le caractère propre de la tribu. Au combat, les dieux seront-ils favorables (44-45) ? Non: le dieu de l'orage est contre nous, nous sommes perdus (46-47). Mais dans le bourbier, la situation se renverse (48-49). On reconnaît que d'autres dieux sont en notre faveur (50), c'est comme le passage de Josué au Jourdain (51). La dernière diapositive (52) dit l'alliance; la photo est étrange, d'ailleurs (Cambodge), la lumière presque surnaturelle dit que l'alliance ne vient pas de nous, de al terre, mais d'ailleurs, elle est donnée par le Ciel.
C'est l'irruption de Dieu comme sauveur dans l'histoire.

Ces deux extraits remontent à une source ancienne. Le chapitre 4 est raconté dans un style d'école proche de la guerre sainte, tandis que le chapitre 5, archaïque pour le fond, a pris une forme liturgique, comme le chant de Myriam après la traversée de la Mer en Ex 15. On en retrouve un bon parallèle dans le Ps 68, lui aussi d'inspiration cananéenne.
Jacques Bernard, LFB p94d
Un texte relu : au VIIème siècle, le cantique de Jg 5 donne naissance à un autre récit en Jg 4 qui reflète la foi au temps du roi Josias: il rappelle la délivrance du joug égyptien et met l'accent sur l'unité du peuple, à une époque qui rêve de revivre la victoire de l'Exode contre l'Égypte et la réunification du pays autour de la foi de YHWH. Ce texte sera encore relu et complété dans la liturgie du Temple après l'Exil.
Catherine Le Peltier, EFB p 80
Cf. Referen-ciel : Histoire et Foi
Cf. Referen-ciel : lire la pédagogie de Dieu en seuils de la foi
Il faut admettre qu'Israël est un véritable "habit d'Arlequin" ! Il met ensemble des tribus d'origines naturelles très diverses, dont nous percevons les grandes tendances : agriculteurs, nomades, semi-nomades... autant d'univers qui, dans la logique des religions primitives, ne peuvent rien avoir en commun, tant leurs implantations et leurs soucis diffèrent. Qu'y a-t-il de commun entre un dieu cosmogonique, garant de la fécondité de la terre et un dieu nomade, suivant la tribu et le troupeau dans leurs transhumances ?
De plus, l'époque est dure avec les faibles : famines, oppressions de toutes sortes, migrations, mettent à mal l'identité des peuples sans moyens. Beaucoup sont mis en esclavage, assimilés dans les empires, en révoltes précaires et souvent désespérées, ou essayant de s'intégrer sans perdre leur identité... Israël aura toujours en mémoire l'humilité de ses origines.
Mais il va garder surtout le souvenir ébloui du miracle de son existence.
Il raconte comment cette mosaïque de groupes humains va pouvoir fonder son alliance et donc son identité communautaire, grâce à l'irruption d'un dieu inconnu. Cette rencontre est tout en même temps salut, sauvetage de la disparition et vocation, don d'un style de vie nouveau. Israël se définira avant tout comme ce travail permanent de mémorisation, qui entretient la secousse de ces événements pour qu'elle soit encore aujourd'hui un avènement de sens et de responsabilité.
À la marge des grandes nations et, par conséquent, des grandes religions de l'époque, un regroupement de tribus disparates s'effectue autour d'un credo, exprimant une expérience religieuse singulière: il y est question d'une délivrance par un dieu qui n'agit plus par un ordre des choses, ni par une stabilité naturelle ou politique, mais qui intervient dans des événements sauveurs.
Les tribus nomades du sud, ou les serfs de Déborah ne sont pas à la tête des mondes où ils vivent, elles sont petites et souvent écrasées. Selon les vues historiques habituelles, elles doivent s'attendre à voir leur identité intégrée, digérée... mais par révolte ou par fuite, elles sont pourtant poussées à ne pas mourir. Une démarche religieuse originale les maintient en vie, tout en les fédérant.
Jean-Marie Beaurent, RTP p76
La Bible est née d'un événement inspiré, d'une teneur spirituelle intense. Celui-ci a eu un écho tellement fort, que l'on s'est longtemps refusé à en restituer le souvenir autrement que de bouche à oreille. [...]
Le texte inspiré recueillera les "mémoires". Il ne peut rendre compte, avec les mots de tous les jours, d'un vécu trop lourd. Comme disent les gens: "Les mots me manquent". Les poètes parlent de muse, les prophètes de vision. Pour les uns comme pour les autres, ce qui arrive à la conscience requiert les mots et les images d'une culture. [...]
Quand ses expressions sont ouvertes à la rencontre du "mystère", l'auteur inspiré devient l'homme du passage. Il se reçoit de cet au-delà où il se risque et transmet son expérience en retour, tout en sachant que l'essentiel est au-delà des mots. Cet essentiel continuera son chemin, à travers les mots, en quête de nouveaux lecteurs et de nouvelles rencontres.
Mais qu'adviendrait-il de tout cela si le peuple qui entend n'était lui aussi inspiré ? C'est lui qui reconnaît comme ouvrant un avenir à sa quête d'infini, ce qui a été porté si longtemps dans les "mémoires", puis fut écrit par un poète, un prophète ou un catéchiste.
Enfin, le peuple trouvera un éditeur, lui aussi inspiré. Le processus est plus complexe. [...] L'éditeur a la lourde charge de faire en sorte que se correspondent les élans du peuple et les projets des grands. C'est là que réside son inspiration à lui.
La place qui lui est donné confère au texte une portée inattendue que l'on pourrait appeler un "sur-texte". [...] Ainsi, l'année liturgique chrétienne dispose-t-elle les textes de la Bible en un cycle de lecture de trois ans. Ceci constitue un "sur-texte" qui imprime au texte une signification nouvelle, inspirée elle aussi.
Jacques Bernard, LFB p108
"Mais alors ..."
L'intervention est inattendue: c'est Dieu qui a l'initiative, le premier il intervient librement.
L'événement (davar), victoire et salut, ne pouvait être espéré par le peuple et ne pouvait, compte-tenu des circonstances, être envisagé. Il est reçu comme cadeau, gratuit, que manifeste l'Action de grâce, le cantique. c'est en ce sens qu'il convient de parler plutôt de délivrance que de libération. Le terme garde la mémoire de l'intervention de Dieu en faveur de son peuple.
"Nous nous sommes organisés avec de petits moyens..."
Dieu n'est pas du côté des chars. Il choisit le parti des petits, des pauvres, des humiliés... Leurs moyens sont dérisoires, l'événement est donc minime à l'échelle du monde. L'action de Dieu n'est pas d'abord spectaculaire.
"Il y avait autre chose ..."
L'événement devient avènement. Une première forme de perception de la Révélation pourrait peut-être se dire : 'Dieu a rendu possible, ce qui était impossible.' Le renversement de la situation prend une valeur incomparable, parce que jusque-là, il était impensable de quitter le mythe dans être anéanti.
"Il y avait d'autres dieux que ceux que nous connaissions."
La présence agissante de Dieu est contenue dans un événement historique vécu. La connaissance de ce Dieu nouveau et différent est inséparable d'une expérience dans l'histoire. L'Action de grâce qui accompagne le récit, indique une relation naissante.
"Notre délivrance avait fait de nous des hommes nouveaux."
Le peuple s'ouvre à la présence de Dieu. Sans connaître encore la cause de ce changement en eux, les délivrés éprouvent une liberté neuve, une dimension nouvelle de leur existence qu'ils vivent comme un cadeau divin.
"Des dieux étaient avec nous."
Dieu est sauveur. Ce n'est pas seulement la révolte qui a permis la délivrance. Il a fallu une force dépassant les moyens humains. Cette délivrance est révélation.
"Il nous fut alors impossible de retourner en arrière."
C'est une invitation à un nouveau comportement. Si Dieu intervient dans l'histoire, nous rencontre, cela implique des changements comme un autre regard sur les autres, et sur nous-mêmes, vivre différents en suivant ce Dieu, sans mourir, dans un univers massivement sacral. (Gam 1-4.p73)
Et nous nous sommes organisés avec de petits moyens. Nous n'avions pas de chars comme les rois cananéens, mais une prophétesse, Déborah. Comment nous en sommes arrivés là ? On ne saurait le dire. Toujours est-il qu'on s'est retrouvé face à face au milieu de la plaine. Pensez, la plaine était un terrain idéal pour les chars; et le début de la bataille ne fut pas en notre faveur. Les eaux inondaient le pays et la terre tremblait, les étoiles du ciel prenaient part au combat. En un instant, nous avons compris que tout était perdu, que nous avions eu tort.
Le Quishon débordait, la tempête faisait rage et les chars s'embourbaient... Et les chars s'embourbaient ? ... Mais alors, la victoire ? ... Il y avait autre chose ! Il y avait d'autres dieux que ceux que nous connaissions, des dieux qui étaient avec nous... Il nous fut alors impossible de retourner en arrière, car notre délivrance avait fait de nous des hommes nouveaux. Et finalement n'avions-nous pas raison, puisque l'histoire nous donnait raison, puisque nos premiers pas d'enfants nous avaient fait quitter ce berceau d'esclavage.