Seuil-01-séquence-3-Ambiguïté de l'attitude sacrale
Onglets principaux

"Alors, le monde pouvait être bain de jouvence, la révolte grondait..."
Après la longue séquence deux, belle mais emprisonnante,
on passe à la dénonciation de l'enfermement, de l'écrasement par la cohérence du mythe.
Il n'y a plus de ciel, on étouffe; sauf au sommet du mont (33) où l'on espère retrouver le divin.
Les lieux permanents de nos fragilités humaines: le sexe (34), l'argent, l'avoir (35), le pouvoir (36) sont évoqués.
Au désir, au cri de l'homme, Dieu va répondre
en faisant lui-même le premier pas...
Répétitions et cycles rythment la vie humaine : ceux des astres, ceux de la journée, de la vie. L'homme dort, se lève, il a faim et de nouveau besoin de dormir... Il naît, grandit, se reproduit, a peur de mourir... et meurt. Et la nature tout entière fait de même.
Ces cycles qui sont paisibles, chez l'animal, sont source d'exaltation ou d'angoisse chez l'homme à qui ils rappellent inexorablement sa finitude. Les rêves eux-mêmes auxquels il consacre le plus clair de son temps ne lui suffisent pas. Quant à l'histoire, elle est aussi marquée par la finitude, le changement et la précarité. Il a essayé la violence de la guerre et y a déployé son génie plus que partout ailleurs, en affrontant le risque de la mort. La Bible l'a aussi vécue, et y a exprimé l'originalité de sa foi.
De nos jours, pour lutter contre la guerre, on ne hiérarchise plus les dieux. On les marginalise pour laisser le champ libre à une paix qui ne soit plus qu'humaine, réglée par la science et les droits de l'homme, seuls langages accrédités dans la conquête de l'Univers. La raison prend le pas sur la guerre dans la quête de l'universel. Mais a-t-on pour autant supprimé la violence en écartant les dieux ?
Pour Nietzsche, la religion est illusoire : elle est née de la peur devant le manque de sens. Il faut que l'univers se "range" pour nous délivrer de nos angoisses ! La religion est l'appropriation "humaine, trop humaine" de l'infini.[1] Elle réduit le réel à l'homme... comme si l'insecte pensait que la forêt était faite pour lui !
L'homme est un animal malade: distendu par des désirs pluri-formes, il se réfugie dans son "ego"; effrayé par la disparité du désir des autres, il les soumet à une morale ; effrayé par la pluralité des interprétations du monde et la froideur du cosmos, il se réfugie dans le Point de Vue sur les points de vue: l'absolu d'un Dieu juge et créateur, principe et norme universelle de toute la réalité.
Si donc il y a un sacré "en bonne santé", c'est ce qui échappe à tout apprivoisement, c'est "l'indemne", comme dira Heidegger. Il faudrait en somme que le vrai Sacré échappe à toute religion qui veut l'emprisonner. Car l'homme est un créateur de beauté, de bonté, d'idéaux: il crée des valeurs, il se dépasse sans cesse lui-même dans la procréation, l'action, les arts. Il faudrait qu'il ose affronter l'infini qu'il peut trouver dans l'altérité véritable. (RTP p66d)
L'athéisme s'est imposé en reprenant de manière simplement humaine les idéaux de la religion qu'il remplace. Mais sans s'en rendre compte, il abaisse le niveau des valeurs de celle-ci. Jusqu'au jour où, l'idéologie installée ne satisfaisant plus la quête de transcendance inhérente à l'homme, elle a besoin du goulag pour s'imposer. La dictature et la corruption s'installent. Qu'un Soljenitsyne déconce le phénomène, et toutes les forces spirituelles se réveillent pour renverser le régime soviétique ou le mur de Berlin.
Pensée : Si tu ne veux pas faire Dieu à ton image (convocation), renonce à tout désir. Tu éviteras la souffrance (sagesse bouddhiste). À moins qu'à le chercher tu reçoives tant de joie qu'il devienne évident que c'est Lui qui t'a trouvé (foi biblique).
Jacques Bernard, LFB Ch.2 p59ss
Cf. referen-ciel : vidéo : Le baal
Cf. referen-ciel : plan : Canaan
À cette critique incisive, il faut oser renvoyer cette question : En quoi "autrui" est-il une occasion d'ouverture à l'infini ? N'est-ce pas en ce qu'il révèle un au-delà de nous-mêmes, en ce qu'il montre une autre facette du réel, une distance qui dilate l'étroitesse de nos points de vue ?[...] Mais n'y a-t-il pas encore davantage dans une rencontre ? Autrui se livre à mon désir comme un "commandement" éthique : "Tu ne tueras pas." Ce n'est évidemment pas un ordre ou une contrainte. En fait, "autrui" n'au aucun pouvoir: mais par sa fragilité, il me révèle mes propres pouvoirs. En me suppliant de ne point l'anéantir, il me révèle ma possible violence.[2]
Jean-Marie Beaurent, RTP Ch.2 p59
Cf. Documents : vidéo : Calvin Russel (l'autre)
Cf. Documents : vidéo : Lambert Wilson (rencontre)
Cf. Referen-ciel : le mythe
Et tout ce petit peuple vivait sous la domination des puissants de ce monde qui avaient grands palais, prêtresses à leur service, qui se croyaient artistes en modelant le monde et se prenaient pour dieu, parce qu'ils étaient très riches et qu'ils pouvaient ainsi apporter le secours en cas de grand danger.
Comme on l'avait aimé, ce monde de toujours, ce monde sécurisant où tout était dans l'ordre, où tout avait un sens, puisqu'immanquablement la nuit succédait au jour et le jour à la nuit.
Mais, quand au sacré succédait l'esclavage de ces femmes prêtresses d'un instant, quand le roi s'adjugeait les récoltes du peuple, quand la puissance des uns soumettait la liberté des autres, alors, le monde pouvait être bain de jouvence, il n'en restait pas moins qu'au détour du chemin, la révolte grondait...
Oh non, ce n'était pas une révolte pensée, pas de grands stratèges ni d'énormes étendards, mais, bien plus simplement, nous en avions assez de vivre un esclavage où l'on nous enfonçait chaque jour davantage.