Seuil-01-séquence-10-Genèse 3

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« Et en plus du désenchantement, paraissait
le sentiment d'une cassure, d'une infidélité. »

Cette séquence se lit en parallèle avec la précédente : on retrouve les mêmes fondements, les mêmes symboles d'alliance : les Écritures qui renvoient à la Torah, l'arche et l'étoile de David. La suite 119 à 126 se lit en inclusion avec 106-112 de la séquence Gn 2, mais elle est cassée à partir de 122: images de mort et de ténèbres. Mais l'histoire ne s'arrête pas là, Dieu refait alliance. (127-128-129)

Médite, creuse, interroge
  Exégèse-problématiques 

 

"Ils ont aussi voulu inscrire au patrimoine de leur sagesse la longue expérience de tant de compromis qui avaient marqué leur histoire."

Ce texte fondateur n'a peut-être été mis par écrit qu'à l'époque de Josias, juste avant l'exil; il a été relu après l'exil, prenant une dimension universalisante, comme l'indiquent les versets 10 à 14. Cependant, le texte laisse entrevoir des préoccupations beaucoup plus anciennes, celles relatives à l'assimilation-rejet, celles liées à la proximité des cultes cananéens, fascinants, mais qu'Israël est appelé à quitter pour une alliance avec YHWH. Après l'exil, les prêtres ajouteront un autre récit pour dire leur foi en Dieu Créateur de tout l'univers : Gn 1. À l'époque de Jésus, des courants du judaïsme réinterpréteront ces textes dans différentes perspectives. Les chrétiens, à leur tour, les reliront dans le Christ. Ils verront dans la victoire du nouvel Adam sur le péché, la restauration de l'homme dans son statut originel, tel que Dieu l'a voulu. Ainsi, plusieurs sens se superposeront : l'arbre de vie, symbole des cultes de fécondité, deviendra la Torah, puis, pour les chrétiens, la Croix sera le véritable arbre de Vie qui donne le salut.

(Gam 1er seuil p 131)

"Il vous est interdit de toucher cet arbre de vie ?"

Dans le texte fondateur qui racontait les débuts du monde à l'image des commencements d'Israël, le seul commandement qui serait demandé à Adam consisterait à ne pas toucher à l'arbre au milieu du jardin, symbole du roi comme dans les mythologies du Moyen-Orient. On ne pouvait enfreindre cet interdit sans risquer d'être, comme Adam, expulsé du pays donné par Dieu. Et comme le respect du roi passait au temps de Josias par la reconnaissance des codes ancestraux qu'il remaniait à la lumière de sa réforme, le respect du commandement sur "l'arbre au milieu du jardin", désignant le roi, deviendrait aussi respect du commandement sur l'arbre de la "connaissance du bien et du mal", désignant la Torah. Le respect dû à Moïse et à la Torah rejoignait ainsi le respect dû à David.
PLus tard encore, quand on relira tous ces textes après être rentrés de l'Exil à Babylone, on verra l'arbre de vie dans le Saint des Saints du Temple que les prêtres avaient entouré de murs et de portes pour qu'il résiste à toute tentative de profanation. Adam et Ève ne toucheraient plus à l'arbre de vie. Ils ne toucheraient plus non plus au roi puisque après la mort de Zorobabel, le roi disparaîtrait de la vie publique des juifs. Le roi serait alors attendu du ciel par les mystiques de l'apocalyptique, dont hériteront les chrétiens.

(Jacques Bernard, LFB/199-200)

  Théo/Philo-problématiques 

 

"Il vous est interdit ... mais non..."

Un tentateur ? Lors de ses tentations, Israël ne semble pas être seul face à Dieu: la figure du tentateur s'interpose. Le Shatan (tentateur) ou Diabolos (diviseur), est certes une figure célèbre des récits de création. En général, il est là pour expliquer l'origine du mal, du dysfonctionnement de la nature. Mais sa présence est bien antérieure à l'humanité : en fait sa fonction est souvent de disculper et le Créateur et les créatures humaines des malheurs survenus. Dans le récit biblique, la tonalité est très différente. L'allusion aux forces "chtoniennes" primitives s'efface pour laisser plutôt place à la figure des cultes de fécondité, si bien connus des peuples anciens.[...] Le tentateur vient inoculer le soupçon et injecter dans le coeur humain l'illusion qu'il pourra se réaliser seul avec ses propres forces "naturelles". Dès lors, toutes les médiations du dialogue sont comme dénaturées : les lieux d'action de grâce deviennent objets de convoitise et finalement occasions de grande tristesse. [...] Mais le fait de découvrir ce malheur d'être coupés de Dieu est l'envers de la vocation: la conscience du péché est un effet de la grâce. Pouvoir nommer son idolâtrie est comme une révélation en creux. Repérer la tentation suppose de se savoir déjà appelé à autre chose. (RTP/108-109)

"Apparaissait, le  sentiment d'une cassure..."

Quel mal ? En stipulant à Adam l'interdiction de se saisir du fruit de l'arbre, le Créateur avait dit : "Du jour où tu en mangeras, de mort tu mourras." (Gn 2,17). De fait, après le péché, l'homme est abandonné à la mort et retourne à ses origines terreuses: "Tu es poussière et à la poussière tu retourneras." (Gn 3,19) [...] Si nous sommes cohérents avec le climat relationnel que nous avons repéré dans tous ces récits de salut et de création, nous ne pouvons faire de cette mort humaine une punition mécaniquement infligée à qui a enfreint la loi divine. Le Créateur est ici le Sauveur d'Israël, le dieu inconnu qui tire son peuple du désert pour l'installer dans le paradis de son amitié.[...] Est-ce à dire que les croyants d'Israël étaient soustraits à la mort ? Nous ne pensons pas que la mort biologique soit en cause ici. Sans doute la sainteté première d'Israël lui a-t-elle permis de vivre la limite de sa chair comme un appel à l'abandon dans les bras d'un Autre, comme un Exode ultime, comme l'acte fe foi final... La mort biologique a pu se vivre comme l'occasion de s'en remettre à l'altérité. Déjà l'aiguillon de la mort, dont parlera saint Paul, a pu perdre de sa dureté... Ce qui était, avant la foi, une simple situation naturelle, devient, après la foi et le péché, le retour brutal et désespéré vers la poussière qu'on avait quittée. Le pécheur est livré à nouveau à sa simple nature mortelle. Mais cette mort-ci n'est plus naturelle : elle se vit dans un climat d'abandon et de désespérance. Ce que Dieu déclare n'est donc pas la punition d'un dieu courroucé, mais le constat navré d'un père devant le désespoir de ses fils partis loin de lui. On comprend l'importance du pardon dans une telle situation brisée. (RTP/110)

 (Jean-Marie Beaurent, RTP/109-110)

Parle
  Exégèse-thèses 

 

"Ils ont aussi voulu inscrire au patrimoine de leur sagesse, la longue expérience de tant de compromis qui avaient marqué leur histoire."

Adam Gn2-3 Israël: Jg David: 2S11-12 Achab:1R21
Adam reçoit de Dieu la vie, une terre... un commandement. Il reçoit aussi la femme, comme vis-à-vis et soutien. YHWY fait de petites tribus insignifiantes son peuple. Il leur donne identité, terre et nouvelle manière de vivre (Torah) Alors qu'il était insignifiant, sans avenir, Dieu donne à David une capitale, un royaume, une dynastie, une Loi. Le roi Achab gouverne le royaume du nord, qui prend de la puissance et s'enrichit.
Homme et Femme sont fascinés par le pouvoir de l'arbre magique. Ils désobéissent à Dieu. Le peuple s'installe. Fasciné par les cultes cananéens, il se compromet en pratiquant les rites de fécondité. Devenu roi, David se comporte comme un despote cananéen : il prend la femme d'un de ses soldats et le fait impunément tuer. Achab se comporte comme les rois de Canaan en s'arrogeant la vigne de Nabot et en faisant tuer ce dernier.
Homme et Femme se cachent. Dieu les rechercher. Il les punit, mais les revêt également d'habits, en signe d'alliance renouée : il leur donne un avenir.

Les tribus retombent dans l'oppression.

Elles crient vers Dieu qui leur donne la victoire.

Le prophète dénonce le péché du roi David. Celui-ci reconnaît son péché et, bien que pécheur, reste roi, sa descendance est même assurée. Le prophète Élie dénonce le péché du roi Achab et lui annonce un châtiment.  Achab continue d'être roi
L'histoire avec Dieu continue L'histoire avec Dieu continue. L'histoire avec Dieu continue. et l'histoire avec Dieu continue

(Catherine Le Peltier, EFB/129)
(Jacques Bernard, referen-ciel : structure littéraire de Gn 2-3)
(Jacques Bernard, referen-ciel : Gn 2-3)

  Théo/Philo-thèses 

 

"Après le désenchantement, on se ressaisissait (...) pour recevoir de Dieu le don de la victoire." "Adam reçoit de Dieu les tuniques de peau."

Reconnaissance : Dieu ne se contente pas de révéler le péché et ses conséquences, il nous en sort. Le péché atteint pour ainsi dire Dieu lui-même : non seulement dans les signes de son salut: les pauvres qui rappellent à Israël son origine, mais dans son dessein intime : l'existence même d'Israël. Comment ne peut-il pas frémir en voyant son bien-aimé se ruiner ? Tant que l'homme sera capable de revenir, Dieu va venir le presser : c'est le sens de sa "colère". De tels anthropomorphismes ont pour but de faire saisir l'expérience du pardon comme une dimension essentielle au dessein de salut divin. Il y va de Dieu dans le retour de l'homme. Ici encore, il s'agit bien d'une expérience historique : le malheur des temps et les reproches des prophètes ont fait se ressaisir le meilleur d'Israël. La confession du péché et la conversion qu'elle engage sont peut-être l'occasion d'une reprise plus profonde de la relation. La capacité de vivre le malheur comme un châtiment et une purification n'est-elle pas le signe qu'Israël commence à renoncer à son indépendance ? Dieu va différer la rupture et les conséquences chaotiques qu'elle entraînerait: la patience de Dieu crée donc l'Histoire sainte qui part du premier salut de délivrance et va jusqu'à la délivrance du pardon.

"Plus d'autre arbre de vie que l'Arche dans son Temple."

Alliance renouvelée : L'expérience du péché est, pour Israël, déterminante dans l'accès à la maturité de sa foi. Elle lui révèle la dignité de ses responsabilités et la gravité de ses choix. Elle lui montre comme en "creux" la singularité de sa vocation. Sa véritable nature reçoit ses racines de l'appel du Dieu de l'Exode et du Sinaï : cette pâque l'expose aux yeux des nations et souvent les tentations sont grandes d'être "comme tout le monde". Mais les morsures de l'histoire le ramènent sans cesse à sa mémoire; et ses blessures peuvent devenir un chemin de guérison.

(Jean-Marie Beaurent, RTP/111)

 

 

Contemple

Dans la méditation de ce jeune de sixième, l’arbre du milieu du jardin est devenu l'arbre de la croix qui lui-même devient fleuve d'eau vive aux quatre bras comme ceux de la Genèse. Le serpent, bien aplati par le pied ! est radicalement vaincu. Le soleil de la résurrection s'élève à l'horizon annoncé par les cloches, et c'est sa lumière qui écarte la porte du tombeau.
Séquence catéchétique

De même que les poètes avaient voulu chanter l'Exode sur l'air des récits de création, ils ont aussi voulu inscrire au patrimoine de leur sagesse la longue expérience de tant de compromis qui avaient marqué leur histoire. Ils avaient dû, pour vivre en Canaan, apprendre cette science magique et ce pouvoir divin qu'on disait nécessaires pour cultiver la vie. Ils en avaient été fascinés et meurtris. Adam, comme Israël, se laisse fasciner.

Le serpent, le plus intelligent et aussi le plus nu de tous les animaux, s'en vint trouver la femme encore épanouie de sa nouvelle gloire : "Il vous a interdit de toucher cet arbre de vie ? Mais non, vous ne mourrez pas ! Mais, si vous en mangez, vous deviendrez intelligents, connaissant bien et mal". L'arbre parut à Adam désirable pour acquérir l'entendement. Ils mangèrent et leurs yeux s'ouvrirent... En fait d'intelligence, ils découvrirent qu'ils étaient nus et se cousirent des feuilles.

Ce désenchantement, les tribus, elles aussi, l'avaient connu et l'on avait grand peur qu'il succédât aux fastes de l'empire. Dieu rendit visite à l'homme. Il vit Adam qui se cachait. Et voilà qu'en plus du désenchantement, apparaissait le sentiment d'une cassure, d'une infidélité envers Celui qui nous avait menés de l'Exode à la Terre Promise. Et, au lieu que la vie soit simplement la vie, avec son quotidien de souffrances et de peines, avec aussi la mort, elle portait le poids comme d'une rupture et devenait par là bien plus lourde à porter.

Elles ne s'y tromperont pas, les générations, quand elles comprendront la lutte du serpent contre l'homme, les douleurs de l'enfantement, le travail à la sueur du front et l'horizon de mort comme autant de malédictions prononcées par le Dieu de l'Alliance, quand, lors de sa visite, il demande des comptes. "Maudite soit la terre à cause de toi. Tu enfanteras dans la douleur et tu retourneras à la terre."

Mais on savait aussi par l'histoire des tribus, qu'après le désenchantement, on se ressaisissait, faisait appel au frère pour lutter à nouveau, et recevoir de Dieu le don de la victoire. Et c'était un autre âge qui recommençait... Adam reçoit de Dieu les tuniques de peau "c'est l'âge de la chasse après celui de la cueillette" et cet âge nouveau verra l'arbre de vie protégé pour qu'on n'y touchât plus. Il n'y aurait bientôt plus d'autre arbre de vie que l'Arche dans son Temple, protégé par les deux Kérubim au glaive fulgurant. Ainsi écrivait-on l'histoire en termes d'origine, comme le fondement sur lequel on vivait.

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