f) Église, nouveau mémorial du Sinaï
L'Église demeure le mémorial du nouveau Sinaï de plusieurs façons: elle raconte ce qui s'est passé et surtout elle continue de le vivre et de le célébrer; il lui faut des lieux et des temps pour reconnaître que cet événement, ce « sens », cette vie nouvelle, ne vient pas d'elle mais d'un Autre: de Jésus Christ et, finalement, du Père.
Église et liturgie
Elle célèbre le don du Père depuis sa phase initiale, dans l'Ancien Testament, jusqu'à sa phase finale, en Jésus. La célébration de l'Église continue la longue célébration d'Israël, c'est pourquoi elle en reprend les formes anciennes (la Pâque, la Pentecôte...); il y va de son identité.
Dans la célébration, elle stabilise des gestes précis, dont le nombre a varié selon les époques, des « lieux gestuels » qu'elle reconnaît comme « mémoriaux » de l'événement de Jésus: les sacrements; ils actualisent aujourd'hui le témoignage que Jésus donnait hier, ils redisent aujourd'hui Jésus vivant, ressuscité, présent au milieu de nous.
L'un de ces gestes stabilisés garantit que tout est sans cesse référé à la source, au Père par Jésus dans l'Église: c'est le sacrement de l'Ordre qui continue le témoignage des apôtres; il « ordonne » toute l'expérience ecclésiale en la référant au point de départ; c'est la garantie que l'Église, le nouvel Israël, est bien « mémorial » du Nouveau Sinaï. Par toute sa vie, celui qui est « ordonné » indique Quelqu'un d'autre que lui-même, Quelqu'un d'autre que l'Église; il indique Jésus comme Jésus, lui-même le « grand Ordonné », a indiqué par toute sa vie Quelqu'un d'autre que lui: le Père.
Église et Parole de Dieu
Pour pouvoir vivre tous les jours, la foi a besoin du témoignage fondateur, de la présence de la Parole. Les évangiles sont sans doute nés de la célébration de la Parole; c'est à la dimension liturgique de la catéchèse que nous devons les récits célébrés de la Passion qui constituent le premier noyau de l'Évangile. Après le kérygme, viendront les parénèses, les prédications, l'enseignement des conséquences de la foi pour la vie morale.
Il faut sans cesse « ressourcer » la morale et la foi chrétiennes dans les témoignages d'origine... Lorsque les gens s'engagent dans l'action, ils ne tardent pas à s'apercevoir qu'il leur faut remotiver leur action : « Quel est donc Celui-là pour qui nous agissons? »
On comprend alors que les évangiles aient été écrits bien après que l'Église ait commencé de croire et d'agir !
Les lettres de Paul ne sont pas des récits, mais des injonctions à la foi et aux conséquences de la foi, des reprises en main de la vie communautaire, au nom de son ministère apostolique. Paul n'exprime qu'en peu de mots l'événement sur lequel il s'appuie (1 Co 15,3-8) ; nous le devinons cependant et les passages où il l'explicite sont de petits joyaux qui annoncent, précisément, les récits évangéliques. Ces récits- témoignages de la vie de Jésus seront plus tardifs.
Les récits évangéliques veulent transmettre l'événement fondateur, le point de départ; ils sont une Présence transmise à la génération suivante, un « Testament »... La Parole déjà déployée, interprétée par la génération précédente, est répercutée, orchestrée par tout un « Corps » ; elle est vivifiée, incarnée dans la vie concrète des croyants.
Nous-mêmes ne sommes pas tant fils du Ier siècle, mais du xixe siècle ou plus exactement de Vatican II, lui-même fils de Vatican I. Nous ne devons pas oublier que c'est une Église (une matrice de foi) concrète qui nous a engendrés, non une Église abstraite, reconstituée à notre gré... En fait, ce qui nous a formés dans la foi, c'est la génération de nos parents.
Le « Testament » qui nous parvient n'est pas l'héritage de l'unique Ier siècle, mais aussi des siècles qui nous ont précédés :
• nous ne pouvons jamais faire fi de ce qui nous a formés;
• ni opposer les deux pôles d'incarnation de la foi : la source, le fondement, et le monde d'aujourd'hui tel qu'il est dans son épaisseur historique.
Il reste à l'Église des disciples à s'ajuster sans cesse à ce qui advient déjà en elle grâce à Jésus: c'est l'Esprit de Jésus qui la conduira à approfondir cette expérience et donc à sonder la profondeur du Mystère à l'œuvre.
C'est bien un nouveau « Mémorial », mémorial d'un Sinaï fondamentalement neuf, dont la nouvelle Loi et le nouveau Prophète ainsi que le peuple appelé sont la vie même de Jésus de Nazareth partagée avec ses disciples.