Document-Exégèse:Synopse / La vocation des disciples

16 Comme il passait sur le bord de la mer de Galilée, il vit Simon et André, le frère de Simon, qui jetaient l'épervier dans la mer; car c'étaient des pêcheurs.
17 Et Jésus leur dit : "Venez à ma suite et je vous ferai devenir pêcheurs d'hommes." 18 Et aussitôt, laissant les filets, ils le suivirent.
19 Et avançant un peu, il vit Jacques, fils de Zébédée, et Jean son frère, eux aussi dans leur barque en train d'arranger les filets;20 et aussitôt il les appela. Et laissant leur père Zébédée dans la barque avec ses employés, ils partirent à sa suite.
18 Comme il cheminait sur le bord de la mer de Galilée, il vit deux frères, Simon, appelé Pierre, et André son frère, qui jetaient l'épervier dans la mer; car c'étaient des pêcheurs.
19 Et il leur dit : "Venez à ma suite, et je vous ferai pêcheurs d'hommes." 20 Eux, aussitôt laissant les filets, le suivirent.
21 Et avançant plus loin, il vit deux autres frères, Jacques, fils de Zébédée, et Jean son frère, dans leur barque, avec Zébédée leur père, en train d'arranger leurs filets; et il les appela. 22 eux, aussitôt, laissant la barque et leur père, le suivirent.
1 Or il advint, comme la foule le serrait de près et écoutait la parole de Dieu, tandis que lui se tenait sur le bord du lac de Jennésaret, 2 qu'il vit deux petites barques arrêtées sur le bord du lac; les pêcheurs en étaient descendus et lavaient leurs filets. 3 Il monta dans l'une des barques, qui était à Simon, et pria celui-ci de s'éloigner un peu de la terre; puis, s'étant assis, de la barque il enseignait les foules.
4 Quand il eut cessé de parler, il dit à Simon:"Avance en eau profonde, et lâchez vos filets pour la pêche." 5 Simon répondit : "Maître, nous avons peiné toute une nuit sans rien prendre, mais sur ta parole je vais lâcher les filets." 6 Et l'ayant fait, ils capturèrent une grande multitude de poissons, et leurs filets se rompaient. 7 Ils firent signe alors à leurs associés qui étient dans l'autre barque de venir à leur aide. Ils vinrent, et l'on remplit les deux barques, au point qu'elles enfonçaient.
8 À cette vue, Simon-Pierre se jeta aux genoux de Jésus, en disant : "Éloigne-toi de moi, Seigneur, car je suis un homme pécheur !" 9 La frayeur en effet l'avait envahi, lui et tous ceux qui étaient avec lui, à cause du coup de filet qu'ils venaient de faire; 10 pareillement Jacques et Jean, fils de Zébédée, les compagnons de Simon. Mais Jésus dit à Simon : "Sois sans crainte; désormais ce sont des hommes que tu prendras." 11 Et ramenant les barques à terre, laissant tout, ils le suivirent.
35 Le lendemain, Jean se tenait là, de nouveau avec deux de ses disciples. 36 Regardant Jésus qui passait, il dit : "Voici l'agneau de Dieu." 37 Les deux disciples entendirent ses paroles et suivirent Jésus. 38 Jésus se retourna et, voyant qu'ils le suivaient, leur dit : "Que cherchez-vous ?" Ils lui dirent : "Rabbi - ce qui veut dire Maître - , où demeures-tu ?" 39 Il leur dit : "Venez et voyez." Ils vinrent donc et ils virent où il demeurait, et ils demeurèrent auprès de lui ce jour-là. C'était environ la dixième heure.
Un premier coup d'œil sur les récits de la vocation des disciples laisse perplexe.
Mt 4,18-22 : Jésus marche le long de la mer de Galilée. Il rencontre deux pêcheurs, Pierre et André, qu'il n’a jamais vus. Il les appelle à être pêcheurs d’hommes. Idem pour Jacques et Jean. Eux laissent tout et le suivent. [pour une approche spécifique de Mt 4,12-25 voir Referen-Ciel]
Mc 1,16-20 : Idem à quelques détails près.
Lc 5,1-11 a une tradition beaucoup plus étendue. Jésus connaît déjà Pierre dont il a guéri la belle-mère. On est toujours en Galilée mais la barque de Pierre sert de podium à la prédication de Jésus, puis a lieu une pêche miraculeuse fort semblable à celle de la tradition johannique du ch. 21. Pierre tombe à genoux et fait déjà une confession de foi fort chrétienne : il appelle « Seigneur » celui devant qui il se reconnaît pécheur. La terreur sacrée s’empare de lui comme devant le ressuscité ou Dieu lui-même. Et il reçoit déjà la direction de la mission : « Ce sont des hommes que tu prendras. »
Enfin Jn a une tradition encore différente pour les mêmes apôtres. Cette fois-ci on n’est plus en Galilée mais à Béthanie au-delà du Jourdain. Jean Baptiste désigne à deux de ses disciples baptistes Jésus qu’il appelle « l’Agneau de Dieu » (pas encore l’agneau immolé sur la croix en rémission des péchés mais sans doute seulement ce qui convenait à la prédication apocalyptique du baptiste, à savoir : voici l’agneau de l’Apocalypse qui amènera la fin des temps. Et cette désignation pouvait convenir à Élie selon le livre d’Hénoch où Élie est représenté par un bélier). Les deux disciples suivent Jésus et passent avec lui le sabbat. Il s’agit d’André (Jn 1,40) et vraisemblablement de Jean. André annonce la nouvelle à son frère Simon dont on ne dit pas qu’il fût baptiste. Philippe qui connaît André et Pierre parce que tous trois sont de Bethsaïde, en haut du lac de Génésareth, s’adjoindra aux trois autres lors de la première montée de Jésus en Galilée. Puis il y aura la rencontre de Nathanaël qui ne sera pas apôtre. La théologisation n’est pas moindre chez Jean mais elle est différente. André désigne déjà Jésus comme le Messie et en réponse à cette confession de Césarée faite avant la lettre et par André, Jésus désigne Simon comme Céphas, Pierre (Mt 16,17-18).
Que les apôtres soient issus du monde baptiste, — au moins deux d’entre eux : Jean et André —, voilà ce que la théologie chrétienne naissante fortement antibaptiste a tout intérêt à cacher (Cf. Baptême de Jésus dans Mt). Si Jean et André ont dans Jn leur vocation dans ce milieu, c’est que c’est vrai. Pour le reste les théologisations sont trop conformes à la théologie de l’Église primitive (Jésus Messie ou Seigneur, Simon appelé rocher) pour qu’on ne puisse guère préciser quoi que ce soit.
Le fait que ces gens de Bethsaïde soient des pêcheurs n’est pas attribuable à une théologie juive. Le judaïsme et l'A.T. n’ont guère de culte pour le bateau ou la mer qui sont symboles de paganisme ou de forces du mal. Bethsaïde d’autre part, ainsi que Capharnaüm étaient villes de pêche et de chasse (Bethsaïde = maison de la chasse). Le fait d'être petits propriétaires de bateaux (Pierre travaillait chez son beau-père à Capharnaüm qui devait être plus fortuné) n’est en rien une figure facilement récupérable dans une théologie juive ou chrétienne.
La méthode des différences significatives par rapport au judaïsme donne dans ce chapitre des disciples de Jésus des résultats fort inattendus.
La position de disciple par rapport au rabbin est bien connue en judaïsme. On sait que le disciple doit suivre son Maître et peut même vivre dans son intimité la plus proche, jusqu’au lit conjugal ou aux toilettes ! Mais c’est pour voir comment il s’acquitte de la Torah. Le disciple change d’ailleurs volontiers de maître pour s’approfondir dans leurs richesses multiples. Ce n’est jamais un attachement à la personne du rabbin mais un attachement à la Torah dont il est l’interprète vis-à-vis du consensus majoritaire des sages. Or ici, ils quittent père (Zébédée), métier (barques), épouse (femme de Pierre). Avec Jésus le rapport de maître à disciple est plus qu’étrange pour un juif, comme d’ailleurs pour un chrétien. La preuve en est que les apôtres qui ont connu Jésus du baptême à l'ascension auront un statut sans équivalent dans la tradition chrétienne.
Avec Jésus ce n’est pas le disciple qui choisit son maître, c’est lui qui appelle et demande au disciple de quitter père, mère, frère, sœurs, métier pour le suivre lui personnellement et non comme guide d’interprétation de la halakhah dans le consensus des sages. C’est comme si, en fait, il tenait la place de la Torah.
Ne citons qu'un seul exemple. Nos rabbins disent : « Si deux ou trois sont réunis autour de la Torah, Dieu est au milieu d’eux. » Jésus dira : « Si deux ou trois sont rassemblés autour de moi, Dieu est au milieu d'eux. »
Une telle prétention n’est pas pensable en judaïsme. Elle n’est pas non plus une théologisation de la primitive Eglise paulinienne, car Jésus n’y est pas célébré comme nouveau Moïse mais dans une dimension accessible aux grecs : Sagesse, Seigneur, Nouvel Adam, Corps, Temple, etc. Elle doit être ou attribuable à Jésus lui-même ou attribuable à l’Eglise judéo-chrétienne. Mais l’Église judéo-chrétienne aurait-elle inventé d’elle-même une attitude si étrangère au judaïsme ? Il faut donc remonter à Jésus lui-même. Ceci d’autant plus que tous les évangiles mentionnent ce trait de l'abandon des parents, du métier et de l’épouse.
En clair : la vocation des apôtres a dû avoir lieu dans un tel climat apocalyptique qu’on n’a pas hésité à suivre Jésus, comme celui qui était l’annonciateur des temps de la fin, quitte même à prêter le flanc aux critiques officielles qui devaient regarder d’un mauvais œil une telle soumission au maître remplaçant celle qu’on devait avoir pour la Torah. Voilà qui nous oriente vers une christologie de type « Jésus nouveau Moïse ou nouvelle Torah », christologie non pas déduite de concepts théologiques tardifs mais d’une pratique constatée de son vivant et rapportée unanimement bien que de manière très plurielle, ce qui confirme encore le fait.
- Le récit de Jean cadre pas mal avec ce que nous avons dit du baptême et des origines baptistes de Jésus. Qu'il ait parmi ses propres disciples deux disciples qui lui viennent de Jean Baptiste est cohérent. Voilà pour André et peut-être Jean (non nommé dans l’évangile de Jean).
- Que ce noyau se soit agrandi à partir du frère de l’un d’entre eux, Pierre frère d’André, on ne peut le contester sans a priori systématique et on comprend aussi que la tradition synoptique ait estompé ce récit pour mettre Pierre en avant selon la place qu'il tient en fait dans l’Église. Jean a des raisons de nous donner un autre récit si ce récit correspond à sa propre vocation. Voilà pour Pierre.
- Si on en croit les synoptiques, la famille a joué aussi pour ce qui est de Jacques, frère de Jean, appelé fils de Zébédée. En résumé deux baptistes ont convaincu chacun leur frère non baptiste et bien implanté dans la vie (on dirait aujourd’hui des artisans-propriétaires de l’outil de production) de suivre Jésus. Un dénominateur commun : ils sont tous galiléens, en contact avec les païens, mais on ne pouvait pas les appeler des pauvres à l’époque.
D'autres apôtres paraissent pouvoir être situés eux aussi : Simon le Zélé. Les Zélotes ne s’organiseront qu’après 66 ap. J.-C.. Par contre, il y avait depuis les Maccabées, des Zélés pour la Torah.
Judas Iscariote : Iscariote a peu de chance de venir des Sicaires qui n’existaient pas encore de manière organisée avant 44. Par contre c’est une désignation classique en judaïsme et signifie l’homme de Cariote, village non loin de Jérusalem, presque un compatriote de Jésus. Il n’y avait donc pas que des galiléens dans l’équipe des apôtres.
Lévi peut encore être situé (Lc 5,27-5027 Après cela il sortit, remarqua un publicain du nom de Lévi assis au bureau de la douane, et il lui dit : "Suis-moi." 28 Et, quittant tout et se levant, il le uivait...). Publicain (riche collecteur d’impôts), c’était un genre de collaborateur qui était assez riche pour avancer l’impôt public sur ses deniers et assez puissant pour se faire rembourser ses avances par la force auprès de ses administrés avec un intérêt jamais contrôlé. Autant dire qu’il n’était pas aimé et était exclu du peuple saint. Mais Jésus parle aussi à Zachée et vient aussi pour ces pécheurs-là.
Tout ceci ne permet guère de situer les apôtres dans une classe populaire bien définie. André (galiléen, baptiste), Jean (galiléen, baptiste ?), Pierre (galiléen, petit patron de pêche), Jacques (galiléen, fils de patron de pêche, Cf. sa mort en Ac 12,2Il (Hérode) fit périr par le glaive Jacques, frère de Jean) ; Simon le Zélé (pharisien pieux, anti-romain), Judas (judéen), Lévi (riche collecteur d’impôts), Jacques fils d’Alphée est aussi à ranger dans les pharisiens convaincus. Les quatre autres ne permettent pas de préciser. Définir leur idéologie d’après ces quelques bases deviendrait du roman fiction. Ainsi on ne peut pas dire qu’ils ignoraient la Torah. Les deux anciens baptistes et les deux pharisiens la connaissent sûrement même si, à la suite de Jésus et dans la ferveur apocalyptique, ils cessent de jeûner comme lui, enfreignent comme lui le sabbat et les règles de pureté. On ne peut dire non plus qu’ils étaient tous galiléens et il ne faut pas se laisser prendre à la systématisation synoptique.
Jésus a appelé des disciples à le suivre lui-même personnellement et non comme un des multiples maîtres susceptibles d’interpréter le lien entre la loi écrite et la tradition orale des anciens. C’est Jésus qui appelle lui-même et ce n’est pas le disciple qui choisit son maître. Il appelle à vie et radicalement au-delà de toutes les autres conjonctures de métier, de famille et de biens. Il appelle enfin quelle que soit la situation : riche (Lévi), pauvre (?), baptiste (Jean, André) ou pharisien (Simon, Jacques), marié (Pierre) ou célibataire (Jean), propriétaire (Pierre, Jacques, Jean) ou non (?), galiléen (Pierre, André, Jacques et Jean fils de Zébédée) ou judéen (Judas de Carióte), pécheur (Lévi) ou non (?). C’est vraiment lui qui appelle et il appelle à lui, et non plus à l’étude de la Torah comme faisaient les rabbins.
On est en pleine atmosphère apocalyptique comme Baptiste appelait à lui. baptisait lui-même dans la foi qu’un événement imminent allait se produire. Cette annonce de la manifestation imminente de Dieu rétablissait le prophétisme qui renversait les cadres anciens. Si Jean Baptiste dans son charisme personnel a pu être pris pour Élie, à combien plus forte raison Jésus. Il était annoncé comme tel par Jean Baptiste et toute sa vie en donnait le signe depuis son baptême à la suite de Jean Baptiste jusqu’à son comportement qui reproduisait l’essentiel du charisme personnel de Jean Baptiste même si la prédication avait changé. L’atmosphère apocalyptique et de visite de Dieu restait présente en lui avec tous les radicalismes qu’elle entraînait.
On relirait ensuite ces souvenirs de vocation des Apôtres en superposant les autres événements qui auraient été des appels confirmant cette première rencontre. Les débuts de la prédication en Galilée qui a dû être très importante pour les apôtres, donneront leur cadre au récit, ceci d’autant plus que c’est dans le même cadre du lac que la vocation définitive des apôtres à la mission allait se produire après la Résurrection dans une telle profusion de bénédictions divines qu’elle pouvait être signifiée par une pêche miraculeuse, que celle-ci ait eu lieu réellement ou qu’elle ait servi à poétiser la réussite de la mission et partant de la vocation de Pierre. Pierre après le reniement pouvait bien dire : « Retire-toi de moi, car je suis un pécheur. » Il pouvait alors avoir cette crainte révérencielle devant celui qu’il appelait déjà son « Seigneur » ressuscité.
Jacques Bernard / Exégèse 3ème seuil pp 2.12-2.15