Ch10 §3 A. Récit de la triple "mise à l'épreuve" de Jésus [FB/309-310]

Une fois investi de la vocation du prophète par son baptême et doté de l'Esprit Saint, Jésus peut commencer sa mission qui est de restaurer la basileia, le "Royaume" de Dieu sur la terre. Bien évidemment cette restauration ne peut être achevée sans les croyants, qui sont libres d'y adhérer ou de la refuser. Telle sera la grande épreuve de tout l'Évangile.
Peirasmos (en grec), Nissayon (en hébreu), et le faux ami temptatio (en latin) signifient tous « mise à l'épreuve » (objective) et non « tentation » (subjective). Un récit de « mise à l'épreuve » de Jésus par Satan est rapporté par Mt et Lc. Il se déroule en trois temps: l'épreuve du pain, celle du Temple, et celle du monde. Mt et Lc suivent ensemble une ancienne catéchèse appelée « source Q » (de l'allemand Quelle, source) absente chez Mc. Il y a juste une inversion chez Lc et Mt des deux dernières tentations (temple et monde). Jésus, révélé dans le baptême comme prophète investi de l'Esprit Saint, est conduit au désert par ce même Esprit pour y être « mis à l'épreuve » par Satan. Ce récit montre bien le monde « dans les mains de l'ennemi », à la manière du modèle apocalyptique évoqué, au chapitre précédent, par le Siracide (15,14 en hébreu).
Satan est présent aussi chez Mc qui, aussitôt après le baptême, a une version courte de cette tradition de mise à l'épreuve (Mc 1,12s). Un exorcisme inaugure, en effet, la prédication de Jésus, juste après l'appel des premiers disciples. C'est l'un des exorcismes les plus révélateurs de tout l'Évangile (Mc 1,21-28). Satan y est dit connaître Jésus comme « le Saint de Dieu » et Jésus le fait taire (Mc 1,24). Sa vie durant, chez Mc, Jésus cherche à passer inaperçu de Satan. Il recommande aux miraculés de se taire (Mc 5,43). Même après la Transfiguration, il faut encore se taire (Mc 9,9). Ceci aussi est un trait caractéristique du courant apocalyptique. Dans ce modèle, en effet, il est clair que si le Satan a pu briser l'harmonie initiale quand il a vu Dieu faire l'homme à son image, le drame peut recommencer le jour où le Messie viendra rechercher son image. Le Messie devra donc se faire oublier (Jn 7,27).
Jésus, en visitant son peuple après le baptême (Mt 4,1- 11 ; Lc 4,1-13), veut lui être solidaire dans l'épreuve. Il vient rendre à l'homme sa splendeur originelle; le risque est grand d'un nouveau détournement par le Satan. Déjà, par son baptême, il a voulu être solidaire de la conversion prêchée par le Baptiste. Il veut communier aux « épreuves » de son peuple mais il évitera les pièges dans lesquels Israël est tombé.
- La première « épreuve » est celle du pain. Changer les pierres en pain investirait la puissance divine de Jésus dans le retour d'une manne matérielle. Jésus répond en reprenant l'Écriture: « L'homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu » (Dt 8,3). La manne était depuis le Deutéronome symbole de la Torah et c'est cette Torah, décrite par le Siracide comme préexistante au monde, que Jésus vient « dévoiler ». Ce dévoilement n'a pas à être attesté par un signe. Si Jésus le concédait, il situerait les « sages » en arbitres de « l'envoyé de Dieu ».
- « L'épreuve » suivante a lieu en haut du Temple. Satan propose que Jésus se jette en bas. Conformément au Ps 91,11s, les anges voleront à son secours ! La divinité serait prouvée par le miracle et, là encore, arbitrée par les hommes. Jésus refuse: « Tu ne tenteras pas le Seigneur ton Dieu » (Dt 6,16). Cette épreuve sera permanente dans la vie de Jésus qui fera tant de miracles pour les croyants et, au risque d'irriter, les refusera toujours à ceux qui prétendent l'arbitrer par les signes qu'ils lui demandent. Luc verra, dans cette épreuve, l'annonce de la Passion, et il placera cette épreuve en dernier, alors que Matthieu la met au centre.
- « L'épreuve » est enfin sur la montagne où le Royaume du Messie devrait se recevoir de la victoire du Satan sur le monde. Jésus a prêché au peuple d'Israël dans l'espoir que le monde entre par lui dans le Royaume. Il refuse le ghetto tout autant que la collaboration avec les païens. L'un comme l'autre signeraient la mainmise du Satan sur le monde. Ce choix lui attirera la condamnation par les prêtres, champions de ces idées reçues. Il s'attirera finalement le monde mais par sa victoire sur Satan acquise sur la croix. Cette épreuve au temps de Jésus est aussi la plus actuelle. Le monde bouge ! Peu importe en quel sens, il faut le condamner ou « le rejoindre » ! C'est le travesti de « l'Église au monde ». Jésus y répond encore par l'Écriture: « Dieu seul tu adoreras » (Dt 6,13).
(Voir aussi : synopse "Exode // Deutéronome // Lc 4")