Ch10 §3 C. Le salut dans l'apocalyptique de Jésus (4) Jésus Messie [FB/323]

Si Jésus pouvait être perçu comme Élie et même comme réalisation des espérances que l'on plaçait dans le pardon du Temple, il pouvait aussi, par ses origines nazôréennes, laisser espérer qu'il rétablirait la dynastie de David. C'est cette ferveur nationaliste qui faisait peur aux Romains et servira de prétexte aux prêtres pour faire condamner Jésus pour le motif clairement exprimé par l'écriteau de la croix: « Jésus le Nazôréen, roi des juifs » (Jn 19,19). Et pourtant, depuis le massacre par Hérode des agitateurs menés par Judas le Galiléen (-6), on préférait, comme à Qumran, attendre des temps plus propices pour la venue du Messie d'Israël. Il viendrait avec les anges reconquérir le Temple dont il permettrait la réforme en attendant le Temple final qui ne serait plus fait de main d'homme. Jésus semblait précipiter les choses en allant au-delà d'une simple réforme. Il visait un remplacement du Temple et annonçait un pardon qui vaudrait pour tous les peuples et pas seulement pour Israël. Était-il le Messie d'Israël attendu?
Il se peut qu'il ait soulevé dans la population des espérances légitimistes. De fait, Jésus annonçait « le Royaume », la « basileia/royauté » de Dieu ou des « cieux » (euphémisme pour Dieu). Jésus en parle une centaine de fois durant son ministère dans les Synoptiques, alors que le mot n'apparaît presque plus dans les écrits d'après Pâques (Actes et Paul). C'est donc bien une réalité pré-pascale que la mort de Jésus a différée, au point qu'il a fallu ensuite en parler autrement. Trois fois on parle de Royauté du Christ, mais c'est après Pâques (Ep 5,5; 2 P 1,11 ; Ap 11,15). Le Royaume annoncé par Jésus est donc la réalisation concrète du règne de Dieu proposé à l'accueil que l'on fera de sa personne et de son « programme ».
Ce Règne/royaume de Dieu que Jésus prêche comporte le choix des douze apôtres comme représentants des douze tribus d'Israël. Le Royaume est donc bien en place, non seulement du fait de la présence de Jésus mais aussi du fait que les tribus ont, en germe, retrouvé leur unité autour des douze (Mt 19,28). Le pouvoir des douze lors de la manifestation de Jésus est envisagé comme bien réel par la mère des fils de Zébédée, qui voudrait que ses fils siègent en bonne place (Mt 20,20). Mais bien qu'inaugurée par les douze, ¡'Alliance nouvelle, à l'inverse de ce que l'on vivait à Qumran, concernait chez Jésus toute la création réconciliée et donc le monde entier, même si le salut passait par Israël (Jn 4,22). En venant à la colline de Sion, les nations étaient censées découvrir la nouvelle alliance (Isaïe 56,1-8 et 66,17- 24; Mt 10,5) et s'y joindre. Lorsque Israël aura en partie failli à son rôle, la mission des disciples se tournera alors vers l'extérieur.
Le récit de la vocation des premiers apôtres, piliers des douze tribus, inaugure le Royaume. Pierre y occupe la première place. Le récit de sa vocation, chez les Synoptiques, superpose tous les avatars de la vocation de Pierre, de Bethsaïde, le berceau de son enfance, à Rome. Contrairement à l'Évangile de Jean, où les premiers apôtres appelés sont des disciples de Jean-Baptiste (Jn 1,35-51), les Synoptiques font de Pierre le premier appelé au bord du lac de Galilée. Mais, dans la barque, il confesse déjà son péché (Lc 5,8) et est établi dans sa mission de pêcheur d'hommes (Lc 5,10). Luc, à l'évidence, laisse percer derrière son récit celui que fait Jean de la réhabilitation de Pierre après la résurrection (Jn 21) lorsque par trois fois le Ressuscité demande à Pierre « Pierre, m'aimes-tu? ». Il faut dire que pour les chrétiens, la vocation de Pierre comportait aussi le pardon de son triple reniement. Deux traits cependant sont commun à tous les Évangiles synoptiques et pourraient bien refléter le caractère apocalyptique des tout premiers moments passés avec Jésus :
Les récits de vocation des apôtres dans les Synoptiques se terminent par « laissant tout [leurs filets] ils le suivirent » (Mc 1,18). Cela rappelait évidemment la vocation d'Élisée à la suite d'Élie (1 R 19,20s). Les apôtres sont appelés par celui qui vient du ciel, à prendre, eux aussi, la succession d'Élie.
Les apôtres sont appelés « par Jésus » alors que, chez les juifs, c'est le disciple qui choisit ses maîtres, chacun pour la part qu'il a de la connaissance de la Torah. Et comme aucun maître ne peut prétendre connaître toute la Torah, le disciple des rabbins se choisira plusieurs maîtres. Dans les Évangiles, c'est Jésus qui, comme Élie, appelle à lui et il faut tout abandonner pour le suivre, sans regarder en arrière ! Il était à Lui seul toute la Torah dévoilée. Le chapitre suivant le précisera.