Ch10 §3 C. Le salut dans l'apocalyptique de Jésus (1) Pardon [FB/313]

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Le salut dans l'apocalyptique de Jésus
   Jésus apporte le pardon du Père  

L'apocalyptique de Jésus annonce en priorité le pardon, donné par le Père, au péché qui a « voilé » l'Alliance. Dieu a respecté, en s'effaçant, le refus de l'homme. Ce dernier a brisé la connivence avec l'Amour Créateur qui le rendait immortel. Ce refus, à l'instigation du Satan, l'a fait orphelin, réduit à sa fragilité de créature. « L'apocalypse » de Jésus est inaugurée dans le pardon du Père qui vient rendre à l'homme et à la création toute sa beauté originelle.

Jésus vient remettre les exclus dans le Royaume. Les exclus, ce sont ceux qui, étant rituellement impurs, ne peuvent s'approcher du Temple. Habituellement, sont rituellement impurs tous ceux qui, en s'approchant du domaine de la mort ou de celui de la vie, domaines réservés à Dieu, doivent s'en excuser auprès de lui par un rite de purification (ainsi celui qui passe près d'un cimetière ou d'une femme en couches). À Qumran, le domaine de l'impureté rituelle s'étend à toute personne qui porte en elle une trace de la meurtrissure due à la rupture originelle avec Dieu. Ainsi lit- on :

« Que nulle personne frappée de l'une quelconque des impuretés humaines n'entre dans l'assemblée de Dieu. Et toute personne frappée de ces impuretés, inapte à occuper un poste au milieu de la congrégation, et toute [personne] frappée dans sa chair, paralysée des pieds ou des mains, boiteuse ou aveugle ou sourde ou muette ou frappée en sa chair d'une tare visible aux yeux, ou toute personne âgée qui vacillerait sans pouvoir se tenir ferme au milieu de la Congrégation: que ces personnes-là n'entrent pas pour prendre place au milieu de la Congrégation des hommes de renom, car les Anges de sainteté sont dans leur Congrégation » (Règle annexe de la Communauté II, 3-9). Jésus vient comme Élie « ramener le cœur des Pères vers leurs fils et le cœur des fils vers leurs pères » en apportant le pardon du Père. Ce pardon doit restaurer l'homme dans sa beauté originelle. Jésus le manifeste en réintégrant dans la présence divine tous ceux qui en étaient exclus et lui marquent leur foi. Voilà pourquoi Jésus guérit dans les Évangiles tous les exclus pointés comme tels à Qumran. Ils sont rétablis dans leur beauté originelle, et la puissance de l'amour recréateur, dans lequel ils sont réintégrés, se manifeste pour eux par la guérison. Si eux, les exclus, sont réintégrés, à plus forte raison cela vaut-il pour les autres. Mais eux n'ont pas besoin de cette manifestation visible du pardon : « Ce ne sont pas les gens bien portants qui ont besoin du médecin mais les malades... C'est la miséricorde que je veux... Je ne suis pas venu appeler les justes mais les pécheurs » (Mt 9,12s). Les malades guéris deviennent les signes de cette restitution de l'homme dans sa beauté originelle par le pardon du Christ.

Voilà pourquoi Jésus n'a pas besoin de guérir tout le monde, même si les sommaires de guérison si fréquents dans les Évangiles nous disent que les miracles abondaient, même si tous les témoins extérieurs aux Évangiles en ont fait mention comme un des traits qui le caractérisaient.

   Exemple : le miracle du paralytique pardonné et guéri  

Prenons un exemple: le miracle du paralytique pardonné et guéri (Mc 2,1-12; Mt 9,1-8; Lc 5,17-26). Suivons-en la trame dans l'Évangile de Mc.

Jésus prêche à Capharnaüm. On lui apporte les malades et la maison est bondée au point qu'on est contraint de faire passer le paralytique par un trou fait dans le toit. Ce geste dit combien les gens ont foi en Jésus. Cette foi appelle les temps de la miséricorde. Jésus dit au paralytique: « Enfant, tes péchés sont remis [par Dieu], » Le judaïsme utilisait le passif pour éviter de nommer Dieu. Nous traduirions « Dieu t'a remis tes péchés ». Jésus se révèle une fois encore comme Élie ramenant, par le pardon, « le cœur des Pères vers leurs fils » (Ml 3,23s). Le pardon de Dieu une fois donné par le prophète, les gens étaient fondés à espérer une guérison. À Qumran, on savait aussi que le pardon du Père dévoilé par le prophète pouvait amener la guérison de la maladie causée par le péché (Q, Prière de Nabonide, Frg. 1-4).

Or, la guérison du paralytique, dans notre Évangile, ne vient qu'après une longue discussion.

Le récit s'interrompt en effet et l'on voit, dans cette maison dont on vient de nous dire qu'elle était pleine comme un œuf, un conseil de scribes sagement assis et discutant dans leurs cœurs (Mc 2,7). Il est clair que c'est un ajout tardif. Plusieurs indices permettent de le dater avec précision : la phrase « tes péchés sont remis [par Dieu] » est interprétée par les scribes comme un pardon donné par Jésus. Du coup elle déclenche une accusation de « blasphème » à l'encontre de celui qui se met ainsi à la place de Dieu. Cette accusation de blasphème par revendication d'identité divine est inconnue dans la littérature juive avant les années 85 de notre ère. L'ajout date donc de l'époque où l'Église est à son tour accusée de blasphème parce que, depuis la mort de Jésus au Calvaire, elle lui attribue le pouvoir de remettre lui-même les péchés.

Est-ce à dire que Jésus, en donnant le pardon du Père au paralytique, n'a pas pu y associer déjà le sien? Luc le suggère: ce pouvoir il l'avait déjà « sur la terre » (Lc 5,24; Mt 9,6). Matthieu ira plus loin encore: ce pouvoir a été transmis « à des hommes », les apôtres (Mt 9,8). On ne peut pas dissocier le premier geste de Jésus de l'écho qu'il a reçu dans l'Église. C'est un même mystère qui s'y déploie.

Paralytique
Paralytique, © Mess'AJE

Le texte en jaune peut se lire sans l'ajout en violet des années 90, reflétant l'accusation faite aux chrétiens.