Ch02 §4 La bible s'est inspirée de ce patrimoine des religions

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Jacques Bernard, Fondements bibliques, p70

Quand, en 1820, Champollion parvint à déchiffrer les hiéroglyphes égyptiens de la pierre de Rosette, il devint clair que les textes de la Bible avaient emprunté à la littérature de leur temps. Quand, plus tard, on découvrira la littérature de Sumer (-3000), on en conclura que « l'histoire commence à Sumer » et non avec la Bible. Par toutes ces découvertes, la Bible perdait son exclusivité.

L’ignorance des littératures parallèles empêchait jusque- là de voir les emprunts littéraires dans la Bible, en même temps que I originalité de leur utilisation. On attribuait l'ensemble du texte au Dieu d'Israël guidant la main des prophètes. On sait depuis que, pour se révéler dans son originalité, le Dieu biblique a eu besoin des alphabets et des cultures environnantes. On ne peut connaître vraiment la Bible sans connaître son arrière-plan culturel. C'est vrai pour le langage sur Dieu : il y a des harmoniques entre certains hymnes égyptiens et les psaumes. C'est vrai aussi pour les récits : les récits du déluge (Gn 6-9) et de la tour de Babel ont leurs correspondants dans la littérature mésopota- mienne. C'est encore vrai dans le message des prophètes: Is 51,9 est repris de Babylone. Et l'Alliance du Sinai, réglant les relations de Dieu et de son peuple, emprunte aux traités néo-assyriens d'alliance entre suzerains et vassaux. Les cultures religieuses sont comme des langages: tout dépend de l'usage que l'on en fait.

   Le peuple de la Bible continuera
  à s'inspirer des religions de ses vainqueurs.

 

Rappelons les débuts : Au IXe siècle, dans le contexte de l'alliance entre Josaphat de Juda et Achab d'Israël, (1 R 22,1 ;2 R 8,18-28), une première mise en commun des « mémoires » en littérature a pu être entreprise à l'initiative du Nord. Elle s'est poursuivie après la chute du Royaume du Nord (Samarie -721), mettant à profit l'afflux des réfugiés vers le Sud. Elle était, à cette date, soucieuse de lutter contre la religion cananéenne et les Baals.

Vingt ans plus tard, Ézéchias a tenté de regrouper les populations autour d'une réforme du Temple (2 R 18). Après l'intermède de Manassé, cette réforme a été reprise, un siècle après, par Josias (2 R 22). Il connaissait une période de paix, et a pu donner à cette littérature naissante l'ampleur d'une fresque historique susceptible d'intégrer, dans le Royaume du Sud, ce qui restait du Royaume du Nord. Les traces de traités néo-assyriens y abondent. Les bases étaient posées, bien marquées par I Alliance entre Dieu et son peuple.

Un siècle plus tard encore, ces bases allaient aider les exilés de Babylone à se différencier de la religion de leurs vainqueurs. Fort heureusement, la religion babylonienne connaissait une crise, ce qui rendit la confrontation moins pénible. Quelques emprunts babyloniens figurent néanmoins dans les textes que l'on rédige à cette époque, donnant à la

Bible sa dimension cosmique: la création du monde et de l'homme, le déluge et la tour de Babel ont leur correspondant dans le mythe babylonien, sans que cela nuise à la fol marquée par l'Alliance.

La crise fut plus rude avec la Perse (-538). Cyrus avait une religion basée sur un monothéisme qui ne vénérait plus que la « Lumière » derrière les astres qui la laissaient transparaître. Il avait un tel prestige religieux que les sages de Babylone lui ouvrirent les portes de leur ville. Ne craignant plus rien des dieux, Cyrus permit aux exilés de retourner sur leur terre, les encourageant à reconstruire leur Temple et à parfaire leur Bible. C'est dans ce défi qu'lsraël conserva jalousement la religion de l'Alliance. Il a fait le choix du monothéisme de l'amour contre celui « des lumières ». Il adapta le fond religieux des anciens à la nouvelle religion. La lumière fit son entrée triomphale dans le premier verset de la Bible (Gn 1), mais elle n'était plus que la première création du Dieu d'amour en faveur de son peuple. Plus tard, la religion perse abandonnera le monothéisme de la lumière pour le dualisme du bien et du mal.

Puis Israël rencontra la Grèce (-333). La religion des Grecs, somme toute assez sommaire avec son polythéisme anthropomorphe, ne pouvait guère rivaliser avec la religion de l'Alliance. Le défi se situa au niveau de la philosophie qui, à la suite de Platon et d'Aristote, entendait découvrir les principes premiers sur lesquels étaient fondés le monde et l'homme. Avec l'hellénisme, la Bible rencontrait une pensée humaine en quête de métaphysique et de Sagesse. La Bible emprunta, en les travestissant, bon nombre de concepts de la pensée grecque. La Sagesse, fondatrice du monde, devint la Torah préexistante à la création (Si 24,23; Ba 4,1).

Vint enfin la religion romaine (-63). Aux yeux des juifs, elle n'était pas plus valable que celle des Grecs. Et pourtant les Romains auront leur rôle à jouer dans la Bible.